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Polémique

Publié le 15 oct 2020Lecture 6 min

L’électroporation peut-elle révolutionner l’ablation de fibrillation atriale ?

Stéphane COMBES, Toulouse et Pierre JAÏS, Bordeaux

Depuis près de 40 ans, la radiofréquence s’est imposée comme l’énergie de référence dans le traitement des troubles du rythme cardiaque et notamment de la fibrillation atriale. Son utilisation est limitée par les dommages collatéraux que l’énergie thermique peut induire. Afin d’améliorer la lésion créée et de diminuer les effets secondaires, il s’est développé en rythmologie d’autres énergies tels que la cryoablation, le laser, l’ultrason ou enfin l’électroporation. Nous allons voir quels peuvent être les intérêts dans l’ablation de la fibrillation atriale de cette « nouvelle » énergie alternative et non thermique.

L’électroporation qu’est-ce que c’est ? Technique d’ablation à énergie non calorifique, elle utilise un champ électrique pulsé de haute amplitude. La délivrance de ce champ à haute tension reste un challenge technique. Son intensité et son effet dépendent de très nombreux paramètres tels que la durée d’application (nanoseconde, microseconde, milliseconde), le niveau de tension (de 1 à 10 kVolts ou plus), la forme et la pente de l’onde, son caractère mono- ou biphasique, le nombre d’impulsions (de 1 à 100), le nombre de phases et leur délai… Chacune de ces variables va pouvoir être modifiée pour obtenir l’effet tissulaire souhaité. Son effet lésionnel sur la cellule provient de l’augmentation de la perméabilité de la membrane cellulaire qu’il procure par la formation de pores membranaires (figure 1)(1). Plusieurs mécanismes sont suspectés comme la modification de l’homéostasie cellulaire, la modification du gradient de voltage cellulaire ou l’inactivation de certaines protéines transmembranaires, mais ils restent encore aujourd’hui sujets à controverse. Il est intéressant de noter que cet effet cellulaire peut être plus ou moins réversible en fonction de l’intensité du champ électrique produit. L’électroporation pourra être utilisée alors dans des spécialités très différentes comme la cancérologie pour le traitement des tumeurs solides (effet irréversible par nécrose/apoptose) ou la biologie cellulaire, pour le transfert intracellulaire de gènes, de métabolites ou d’anticorps (augmentation simple de la perméabilité membranaire). Figure 1. Effets potentiels de l’application d’un champ électrique de haute tension sur le tissu cardiaque : réversible (perméabilité membranaire) ou irréversible (nécrose/apoptose) (Sugrue A et al. 2019)(1). Sur le plan histologique, l’effet tissulaire va dépendre, outre les caractéristiques du champ électrique vues plus haut, des propriétés intrinsèques du tissu comme l’orientation des fibres, la taille cellulaire, la qualité du tissu extracellulaire, celui-ci étant souvent épargné. Des travaux ont montré une grande sensibilité du tissu myocardique à l’égard de l’électroporation. Les cardiomyocytes soumis à un champ électrique à haute tension semblent avoir un plus faible seuil de sensibilité comparé à des cellules de tissus différents (figure 2)(2). Il pourrait ainsi apporter un effet lésionnel spécifique de cette énergie sur le tissu cardiaque, en diminuant ses effets néfastes sur les tissus ou organes avoisinants (vaisseaux coronaires, oesophage, veines pulmonaires) (figure 3)(3). Un autre avantage est à souligner. Au contraire de la radiofréquence, l’électroporation est une énergie qui ne produit que peu de chaleur locale, incriminée dans la formation de nécroses de coagulation, hypothèse histologique de la sténose de veines pulmonaires ou du syndrome de « l’oreillette rigide ». Figure 2. Seuil irréversible de l’électroporation (SIE) en fonction du type cellulaire : GR : globule rouge ; CMLV : cellule musculaire lisse vasculaire (Ramirez D et al. 2020)(2). Figure 3. Coupe histologique avec coloration Masson trichrome de veine pulmonaire de chien. A : avant ablation ; B : après ablation par électroporation. On remarque la disparition complète des cardiomyocytes (en rose) avec respect de la matrice extra-cellulaire (en bleu), sans sténose de veine pulmonaire (Witt CM et al.)(3). Cependant, la combinaison optimale entre les multiples paramètres du champ électrique, les caractéristiques tissulaires auxquelles doivent s’ajouter le design des électrodes délivrant le champ électrique (circulaire, linéaire), la distance inter-électrodes ou le contact, reste complexe à déterminer, mais fondamentale à la sécurité d’utilisation de cette technique. Son application en rythmologie : une « vieille » histoire C’est dans les années 1980 que l’électroporation a été utilisée pour la première fois dans l’ablation des troubles du rythme cardiaque. Gallagher JJ et coll.(4) ont proposé son utilisation dans l’ablation de la jonction nodo-hissienne. Un courant électrique continu d’une énergie comprise entre 200 et 300 joules sur une durée de 5 à 15 ms était délivré à partir d’un appareil de défibrillation au moyen d’un cathéter équipé d’électrodes de 2 mm. De nombreuses ablations ont ainsi été réalisées au moyen de ce que l’on appelait à l’époque la fulguration. Bien qu’efficace, cette énergie était difficile à contrôler et exposait à des récidives. De plus, des effets arythmogènes et des perforations cardiaques lui feront rapidement préférer la radiofréquence. Ce n’est que trente ans plus tard que les premières études animales sur l’électroporation du myocarde seront réalisées(5). Ces travaux précliniques ont permis de déterminer les caractéristiques optimales du champ électrique à appliquer pour éviter tout potentiel dommage collatéral, bien connu lors de l’isolation électrique durable des veines pulmonaires. À titre d’exemple, dans le travail de Neven K et coll.(6), il est mis en lumière le faible impact du champ électrique pulsé lors de multiples applications sur l’oesophage, innocuité encore démontrée par d’autres travaux histologiques de la même équipe néerlandaise sur l’endothélium vasculaire ou le nerf phrénique(7). Il est important de comprendre que le type d’onde utilisé dans les travaux les plus récents n’est en rien comparable avec la fulguration que Gallagher utilisait dans les années 1980. Les énergies émises par les défibrillateurs externes auxquels étaient connectés les cathéters délivraient une onde monophasique monopolaire de « longue » durée (environ 10 ms). La tendance actuelle est à des générateurs dédiés qui permettent d’envoyer des trains d’ondes de l’ordre de quelques microsecondes. Certaines compagnies travaillent sur les nanosecondes. L’utilisation d’ondes bipolaires et surtout biphasiques de courte durée permet de réduire et même d’éliminer les contractions musculaires périphériques, et donc l’emploi de curares. Les générateurs les plus récents (Farapulse) utilisent des technologies qui n’étaient pas disponibles il y a 5 ans. Ces ondes biphasiques ont donc des avantages certains, mais elles nécessitent presque 2 fois plus de tension que les monophasiques. Les résultats des premières études cliniques Le premier essai de faisabilité et de sécurité chez l’homme a été publié en 2018(8) sur une population de 22 patients atteints de fibrillation atriale paroxystique, dont 15 ont eu une ablation par voie endocardique et 7 par voie épicardique chirurgicale. Le cathéter utilisé (figure 4) pour l’ablation endocardique a permis un isolement initial de 100 % des veines pulmonaires pour un total moyen de 3,3±2,5 lésions par veine. Chaque lésion comprenait 8 tirs de durée très brève (quelques secondes). Figure 4. Cathéter dédié (Farawave®) à la délivrance du champ électrique aux veines pulmonaires. Les résultats de 2 autres essais récents ont été associés dans la même publication en 2019(9). Il s’agit des essais IMPULSE (NCT03700385) et PEFCAT (NCT03714178) qui ont inclus 81 patients avec fibrillation atriale paroxystique. Dans ces travaux, l’isolation antrale des veines pulmonaires a pu être atteinte chez 100 % des patients pour un temps d’ablation total moyen ≤ 3 min et ± 6,4 applications par veine. Une nouvelle exploration électrophysiologique à 3 mois a pu être effectuée chez 52 patients, confirmant un taux persistant de déconnexion entre 18 % et 100 % en fonction des caractéristiques utilisées (monophasique vs biphasique) du champ électrique. Le suivi à 12 mois a révélé un taux moyen de 88 ± 6 % des patients sans arythmie atriale (figure 5). Figure 5. A : Cartes de voltage de l’OG immédiatement après l’ablation et à 3 mois. B : Analyse des récidives d’arythmies atriales (> 30 s) (courbe de survie Kaplan-Meier). Il faut noter qu’il est mis en lumière dans ce travail l’innocuité de la technique sur les structures adjacentes, par l’absence de lésion œsophagienne lors de la réalisation sur 29 patients d’une endoscopie, ou d’embole cérébral (13 patients ont bénéficié d’une IRM cérébrale). Ces études prometteuses devront être confirmées par d’autres travaux en cours, notamment dans l’ablation de FA persistante (PersAFOne [NTC04170621], PULSED- AF [NTC04198701]), favorisés par la volonté des industriels de la rythmologie de développer leur propre système d’électroporation. Après avoir été utilisée en biologie moléculaire, l’électroporation, mécanisme lésionnel de l’ablation par champ électrique de haute tension, apparaît maintenant dans le domaine de l’ablation des troubles du rythme cardiaque et particulièrement de la fibrillation atriale. Elle devrait ouvrir prochainement une nouvelle ère, tant les premiers travaux chez l’animal et l’homme sont prometteurs, notamment par son excellent rapport efficacité sur risques collatéraux. Les futurs essais, de plus grande ampleur, devront valider les résultats de cette énergie promise à un bel avenir rythmologique.

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