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Polémique

Publié le 26 juin 2023Lecture 6 min

Quand reconduire après un DAI en prévention secondaire ?

Claude KOUAKAM, Institut Coeur-Poumon, Lille

La conduite automobile après implantation d’un défibrillateur (DAI) est réglementée en France depuis 2005 par un arrêté qui a été actualisé et publié au Journal Officiel le 3 avril 2022(1). À l’ère des DAI modernes « plus intelligents » et de la prise en charge « up-to-date » des patients, l’incidence des chocs et des thérapies non essentielles a considérablement diminué, sans pour autant augmenter le taux de syncopes chez les patients implantés(2). Parmi les questions fréquemment posées concernant l’impact du DAI sur la vie quotidienne, celle relative à la conduite automobile suscite sans conteste le plus grand intérêt. S’il semble évident que les patients porteurs d’un DAI restent à risque, pour eux-mêmes et vis-à-vis des tiers lors de la conduite automobile, les études récentes rapportent des incidences de chocs et de syncopes très faibles, et qui semblent décroître au fil du temps(3-5). Quel est le niveau actuel de ce risque et comment évolue-t-il ? Que dit la législation et quelle est la responsabilité des patients et des praticiens ?

Responsabilité médicale et aptitude à la conduite automobile   Que ce soit à titre privé ou professionnel, le conducteur reste le premier responsable de ses actes et de ses décisions. Son aptitude à la conduite doit respecter deux obligations : – la réglementation du permis de conduire l’oblige à signaler à l’administration toute pathologie ou handicap susceptible de retentir sur sa capacité de conduire ; – il doit informer son assureur de toute pathologie ou handicap susceptible de modifier les clauses du contrat qu’il a signé. De son côté, le médecin rythmologue a un rôle d’information, bien défini dans la loi, et qui induit une double responsabilité : – il est tenu à une obligation d’information du patient vis-à-vis du risque, de son obligation, en tant que conducteur, de se présenter de lui-même devant un médecin agréé pour le permis de conduire. Il lui incombe de prouver qu’il a bien informé le patient car sa responsabilité pourrait être engagée en cas de défaut d’information ; – il demeure soumis au secret professionnel dans la mesure où le législateur n’a pas prévu d’exception au secret professionnel pour le signalement des conducteurs à risque, qui reste donc répréhensible.   Risque de choc et de syncope rythmique pendant la conduite automobile   Le risque le plus évident lié aux maladies cardiovasculaires, et au DAI en particulier, est celui de la syncope au volant. Dans une étude princeps parue en 1995, Curtis et coll. rapportent un taux de 10,5 % de chocs survenant au volant (30 sur un total de 286 colligés), qui ont été responsables d’un accident de voiture(6). Le taux de décès était de 7,5/100 000 patients-années, soit significativement inférieur au taux de 18,4/100 000 patients-années rapporté dans la population générale (p < 0,05). Ce taux est très probablement grandement surestimé actuellement compte tenu des changements intervenus dans la programmation des DAI(2), et de l’essor de l’ablation des tachycardies (TV) et fibrillations ventriculaires (FV) depuis le début des années 2000. Dans l’étude AVID qui analysait l’efficacité du DAI chez les patients ayant présenté une mort subite par TV ou FV, ou une TV mal tolérée(7), 8 % des patients implantés avaient reçu un choc en conduisant sans que celui-ci soit responsable d’un accident. Dans une revue exhaustive d’études de prévention secondaire qui datent pour la plupart d’avant 2005, Watanabe a analysé le taux de syncopes rythmiques associé à un choc par le DAI lors de la conduite automobile(8). Il a ainsi pu déterminer que l’incidence moyenne des syncopes associées à un choc approprié était de 11,2 %. L’amélioration de la programmation due à l’avènement de zones de TV/FV hautes, aux algorithmes de discrimination, à la stimulation antitachycardique avant ou pendant la charge, et à l’allongement de la détection ont permis de réduire significativement les chocs sans augmenter le taux de syncopes chez les patients implantés. De surcroît, l’essor des techniques ablatives des TV ou FV fait que l’incidence des chocs, et par conséquence d’éventuelles syncopes, est de nos jours inférieure aux taux initialement rapportés. C’est ce que semblent confirmer les publications récentes, et notamment un registre danois publié en 2021 qui a inclus 3 913 patients implantés entre 2013 et 2016(4). Les auteurs rapportent que 94 % des patients ont repris la conduite automobile après le DAI, qu’un tiers n’a pas respecté les restrictions de durée et que 35 % des professionnels (7 % de la cohorte) ont repris la conduite à titre professionnel. La nouvelle rassurante est que des 2 741 patients qui ont répondu au questionnaire (53 % de prévention secondaire), seuls 5 (soit 0,2 %) ont rapporté avoir eu un choc lors de la conduite automobile, dont 1 seul accident — soit une estimation du risque choc de 0,0002 % par personne-année. Une autre publication récente, DREAMICD- II(5), conforte ces données d’incidence très faible de choc et syncope chez les porteurs d’un DAI à l’ère moderne. C’est un registre rétrospectif réalisé à partir de 3 centres canadiens entre 2016 et 2020, qui a inclus 721 patients implantés en prévention secondaire avec un suivi médian de 760 jours. En résumé, 58 % des épisodes de syncope sont survenus au cours de la première année suivant l’arythmie index. L’incidence cumulée des thérapies pour TV (66 %) ou FV (34 %) était plus élevée au cours des 3 premiers mois (34,4 %) puis diminuait de manière importante (10,6 % entre 3 et 6 mois et 11,7 % entre 6 et 12 mois). L’incidence d’une syncope rythmique était de 1,8 % au cours des 90 premiers jours, puis 0,4 % entre 3 mois et 180 jours (figure), soulignant ainsi la nécessité de limiter la restriction de conduite aux 3 premiers mois en prévention secondaire. Figure. Évolution du taux d’incidence mensuel des thérapies appropriées pour 100 patients-jours, du taux d’incidence trimestriel de syncope rythmique pour 100 patients-jours et proportion trimestrielle cumulée des syncopes rythmiques durant les 12 mois suivant un DAI dans l’étude DREAM-ICD-II. On note une baisse significative du nombre des thérapies délivrées et des syncopes après les 3 premiers mois suivant l’implantation du DAI(5).   Législation et recommandations   La législation française La législation française est régie par un arrêté du 28 mars paru au Journal Officiel le 3 avril 2022 qui abroge l’arrêté du 21 décembre 2005 modifié fixant la liste des affections médicales incompatibles avec l’obtention ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance de permis de conduire de durée de validité limitée(1). Ce texte concerne aussi bien les candidats que les titulaires du permis de conduire, et prend en compte des innovations récentes telles que le gilet défibrillateur. Le tableau ci-dessous reprend les éléments dédiés à la conduite chez les porteurs d’un DAI, précis sur les délais à respecter en prévention secondaire et/ou après un traitement approprié.   • Pour la conduite privée (permis A1, A2, A, B, B1 et BE), les restrictions ne sont que temporaires, de 3 mois en cas de DAI en prévention secondaire, et 4 semaines en prévention primaire. Un flou existe après récidive de TV/FV mais la conduite automobile semble pouvoir être autorisée « si l’avis médical spécialisé » estime que « le risque de lipothymie ou de syncope est considéré comme négligeable ». L’incompatibilité peut être temporaire ou définitive dans le cas contraire. Après remplacement de boîtier, il n’y a pas de restriction particulière. • Pour le groupe lourd, l’implantation d’un DAI est incompatible avec la conduite pour les permis C (poids lourd), D (transport en commun) et E (certains véhicules avec remorque). Il est utile de rappeler que la présence d’un DAI ne constitue par une cause d’exemption du port de la ceinture de sécurité.   Les recommandations européennes Les recommandations spécifiques à la conduite automobile chez les patients avec un DAI datent de 2009 et préconisaient déjà une interdiction de 3 mois en prévention secondaire de même qu’après un traitement approprié, notamment en cas de symptômes (syncope ou lipothymie)(9). Les recommandations de 2018 sur les syncopes sont plus permissives avec un délai de restriction qui peut être raccourci à un mois(10). L’incidence des traitements appropriés du DAI et des syncopes rythmiques semble actuellement plus faible comparée aux cohortes historiques d’il y a 15- 20 ans. Le délai règlementaire d’interdiction de conduite de 3 mois chez les porteurs d’un DAI en prévention secondaire semble justifié au vu des données récentes de la littérature. Conflits d’intérêt : aucun en lien avec la publication de cet article.

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