Publié le 29 juin 2022Lecture 6 min
Patients en choc cardiogénique du fait d’un rétrécissement aortique serré - Faut-il réaliser un TAVI de sauvetage ?
Pierre-Guillaume PIRIOU, Thibaut MANIGOLD, Julien PLESSIS, Vincent LETOCART, Patrice GUÉRIN, Nantes Université, CHU Nantes, USIC–Cardiologie interventionnelle, Institut du thorax, Nantes
Le nombre de patients traités par voie percutanée pour un rétrécissement aortique serré ne cesse d’augmenter. Le développement de la technique offre une nouvelle option thérapeutique pour ceux qui arrivent en choc cardiogénique, souvent tardivement, trop fragiles pour une prise en charge chirurgicale. Mais quel est le devenir de ces patients ?
▸ Une nouvelle option thérapeutique, finalement assez peu étudiée
Les patients en état de choc cardiogénique du fait d’une sténose aortique serrée ont un pronostic sombre, ils sont à très haut risque chirurgical(1,2). La valvuloplastie aortique au ballon a montré des résultats décevants et n’est plus considérée comme une option viable à long terme(3,4). En revanche, le remplacement valvulaire aortique par voie percutanée (TAVI) semble être devenu une stratégie attractive(5). Les recommandations actuelles à ce sujet demeurent floues(6) et la littérature est peu fournie concernant ces patients critiques. La plus grosse étude récente a été réalisée par Masha et al.(7), basée sur le registre de la Society of Thoracic Surgeons and the American College of Cardiology Transcatheter Valve Therapy (STS/ACC TVT). Cette étude montre la sécurité et la faisabilité du TAVI chez les patients en choc cardiogénique consécutif à une maladie aortique sévère, mais avec une mortalité plus élevée et des complications plus nombreuses que dans une population de patients à haut risque non choqués (mortalité à J30 19,1 % vs 4,9 %). Il faut toutefois noter que leur population âgée américaine diffère probablement d’autres registres notamment européens, et que leurs pratiques ne sont pas les mêmes, avec l’usage régulier d’assistances circulatoires comme l’extra corporeal membrane oxygenation (ECMO), des ballons de contre-pulsion ou ImpellaTM (Abiomed) chez des patients très âgés.
L’expérience grandissante des opérateurs et l’amélioration constante du matériel dédié ont réduit grandement les temps de procédures et les complications. Cela permet aujourd’hui de prendre en charge plus facilement ces malades en choc cardiogénique. Néanmoins, il y a peu de données dans la littérature sur leur devenir.
▸ Retour d'expérience : analyse d'une étude bicentrique française
Nous nous sommes intéressés au devenir des patients implantés avec des valves de dernière génération, à la faisabilité et à la sécurité de la procédure, ainsi qu’aux facteurs de mortalité à 1 an. Ce travail(8) a été mené au sein de deux centres hospitaliers universitaires français (Nantes et Lille) sur une période de 5 ans comprise entre 2015 et 2020. Les patients étaient critiques, près de 80 % d’entre eux avec une FEVG effondrée < 30 %, 63,2 % avec une dysfonction ventriculaire droite associée ; 15,8 % des procédures étaient de type valve-in-valve. La valvulopathie aortique décompensée était reconnue comme étant la cause de la précarité hémodynamique par exclusion d’éventuelles sténoses coronaires sévères. Des tomodensitométries cardiaques étaient disponibles pour la plupart des patients..
Une population âgée et grave
L’âge moyen de nos 38 patients est de 73 ± 11,2 ans. Ils reçoivent tous un support inotrope (100 %) et des diurétiques par voie parentérale (97,4 %). Les scores Euroscores 2 et Logistic sont élevés.
Caractéristiques procédurales
L’anesthésie générale était pré-dominante (73,7 %) entre 2015 et 2020, ce n’est plus le cas aujourd’hui car les pratiques ont évolué et la plupart des procédures sont réalisées sous hypnosédation et anesthésie locale, rendant le geste d’autant plus rapide et efficace. L’abord principal se fait en fémoral (89,5 %). La majorité des patients ont été implantés avec une bioprothèse Edwards Sapien 3® (78,9 %). Les durées d’hospitalisations sont prolongées (26 ± 15,1 jours). Une valvuloplastie aortique au ballon a été réalisée chez 13,2 % des patients, dans l’optique de les stabiliser avant leur transfert au centre de référence. La littérature et notre expérience plaident pour la réalisation d’un TAVI d’emblée, dans la mesure du possible.
La survie est correcte avec un franc bénéfice clinique – contre-balancés par de fréquentes ré-hospitalisations dans l’année. La probabilité de survie demeure excellente pour les patients qui ont eu un TAVI en choc cardiogénique, près de 80 % à 1 an (figure 1), patients qui n’auraient pas survécu autrement.
La même tendance est observée à 3 ans (figure 2).
Concernant la mortalité brute, aucun patient n’est décédé durant la procédure. À 30 jours, 7,9 % sont décédés (tous en intrahospitalier). À 1 an, on note 21,1 % de décès (contre 8,3 % chez ceux implantés en programmé à la même période).
La majorité des patients expriment un bénéfice fonctionnel à 1 an ; seuls 13,2 % d’entre eux ont un score NYHA > 2.
Les résultats échocardiographiques de la bioprothèse sont satisfaisants, il y a notamment très peu de fuites résiduelles supérieures à un grade minime (7,9 %). Il y a un important taux de ré-hospitalisations dans l’année suivant la procédure (presque 29 % des patients).
Peu de complications
La complication la plus fréquente s’avère être l’insuffisance rénale aiguë post-procédure (28,9 % ; tableau 1). Elle n’est pas apparue ici comme un facteur de risque de mortalité du fait d’un probable manque de puissance statistique, contrairement à de précédentes études(5,9). L’épuration extrarénale est heureusement demeurée exceptionnelle (2,6 %). Il y a peu de complications vasculaires ou prothétiques.
Le peu de complications et l’absence de décès perprocédure confirment la sécurité de l’intervention, réalisée par des opérateurs entraînés dans des centres habitués à recevoir des patients critiques.
Un bloc de branche gauche à ne pas négliger
Comme dans d’autres travaux(5), la survenue d’un bloc de branche gauche (13,2 %) et l’implantation d’un stimulateur cardiaque (13,2 %) sont fréquentes. Ce bloc de branche gauche de novo n’est pas négligeable car il a été identifié comme facteur de risque de mortalité à 1 an (figure 3). Ces résultats pourraient suggérer l’intérêt de resynchroniser précocement les patients avec une FEVG altérée.
▸ Des résultats très encourageants
Nos données confirment, comme la littérature récente, que le TAVI est une thérapie prometteuse pour les patients en choc cardiogénique compliquant un rétrécissement aortique serré. La procédure est faisable et sûre, avec de bons résultats cliniques et échocardiographiques. Il s’agit de la plus grande cohorte européenne de patients en choc cardiogénique qui ont bénéficié d’un TAVI. Leur courbe de survie à 1 an est certes différente de celle des TAVI programmés, mais demeure encourageante. L’implantation de ces patients n’est pas futile comme cela a pu être supposé par le passé. Nous pouvons espérer que les résultats soient encore meilleurs actuellement, en considérant que notre cohorte est relativement ancienne.
▸ Une mortalité moins élevée que dans la littérature, mais des patients peut-être moins graves
La mortalité à 30 jours et à 1 an des patients de nos centres est plus faible que dans d’autres études similaires antérieures (tableau 2). Cela s’explique par des patients probablement moins graves. Par exemple, dans l’étude de Frerker et al.(5) : parmi les 27 patients d’un centre unique allemand, on relève 25,9 % d’ECMO et 51,8 % de ventilation mécanique. Cette dernière était associée à de nombreuses complications, et leurs patients décédés à 30 jours l’étaient principalement du fait de complications septiques et de pneumopathies acquises sous ventilation mécanique.
Les taux de complications de notre étude, particulièrement les hémorragies et les accidents vasculaires cérébraux, se sont avérés bas (< 5 %) et similaires à ceux de la méta-analyse de Wernly et al.(3). Ces bons résultats peuvent s’expliquer par l’usage croissant de la technique, qui est dorénavant mieux maîtrisée.
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