Publié le 28 fév 2013Lecture 9 min
Traitement de l’insuffisance cardiaque : les recommandations de l’ESC
P. MABO, CHU de Rennes
La Société européenne de cardiologie a publié en septembre 2012 de nouvelles recommandations sur la prise en charge de l’insuffisance cardiaque, prenant en compte les avancées les plus récentes en ce domaine. C’est au niveau de la prise en charge thérapeutique de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection du ventricule gauche altérée que les changements sont les plus importants pour la pratique clinique, qu’il s’agisse du traitement pharmacologique ou électrique. Nous allons illustrer ces évolutions au travers de deux observations.
Observation n° 1
Mme V. Caroline, 72 ans, est traitée pour une cardiomyopathie dilatée à coronaires saines diagnostiquée en 2008 avec sur le dernier bilan une FEVG à 28-30 %, des pressions de remplissage normales, un rythme sinusal, des QRS fins. Sous un traitement associant furosémide 40 mg, bêtabloquant et inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) aux doses « cibles », elle reste pauci-symptomatique en classe II de la NYHA. Elle a refusé l’implantation d’un défibrillateur automatique prophylactique qui lui a été proposée à plusieurs reprises.
Devez-vous reconsidérer le schéma thérapeutique aux vues des récentes recommandations ? La réponse est oui avec deux étapes.
La patiente étant en classe II de la NYHA, avec une FEVG < 35 %, il convient d’introduire un antagoniste des récepteurs de l’aldostérone, cette nouvelle recommandation de classe I - niveau d’évidence A étant basée sur les résultats de l’étude EMPHASISHF. Jusqu’à présent, les antialdostérones étaient réservés aux patients en classe NYHA III ou IV. De façon surprenante mais pragmatique, les auteurs des recommandations laissent le libre choix de la molécule, éplérénone ou spinorolactone, sans tenir compte de la classe NYHA, alors que l’efficacité de l’éplérénone a été validée (réduction du critère combiné « hospitalisation pour insuffisance cardiaque et décès de cause cardiovasculaire » et de la mortalité totale) chez des patients en classe II et celle de la spironolactone chez des patients en classe III ou IV (étude RALES). Le seuil de FEVG est également fixé à 35 % pour tous les patients en classe II sans autre critère, alors que dans l’étude EMPHASIS-HF le QRS devait être supérieur à 130 ms pour les patients dont la FEVG était comprise entre 30 et 35 %, sans doute avec un louable objectif de simplification. Libre à vous, éplérénone ou spironolactone (à la posologie initiale de 25 mg/jour) pour tous ou choix raisonné, basé sur les données des études publiées… Ne pas oublier de contrôler la fonction rénale et la kaliémie (contre-indication si clearance de la créatinine < 30 ml /min ou kal iémie > 5 mmol/l). Concernant les médicaments du système rénineangiotensine- aldostérone, les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARAII) n’ont pas de place en première intention dans l’insuffisance cardiaque et leur indication se limite aux patients ayant une toux sous IEC. En cas d’amélioration insuffisante, comme nous venons de le voir, l’association IEC-antialdostérone doit être privilégiée, l’association IECARAII étant réservée aux patients ne tolérant pas les antialdostérones. La triple association IECantialdostérone- ARAII est formellement contre-indiquée (recommandation de classe III). Une fois la dose d’antialdostérone optimisée (éplérénone 50 mg/jour ; spironolactone 25- 50 mg/jour), sous stricte surveillance de la fonction rénale, la patiente reste en classe II de la NYHA, avec une fréquence cardiaque à 78 bpm au repos, toujours en rythme sinusal. Faut-il en rester là ? La réponse est non. Désormais il vous faut prendre en compte, chez les patients en rythme sinusal, la fréquence cardiaque et considérer l’introduction de l’ivrabadine si la fréquence cardiaque est ≥ 70 bpm (recommandation de classe IIa-B). Cette recommandation repose sur les résultats de l’étude SHIFT qui a démontré une réduction de 18 % du risque relatif du critère primaire associant « hospitalisation pour insuffisance cardiaque et décès de cause cardiovasculaire » chez des patients en classe NYHA II-IV, avec une FEVG ≤ 35 % et une fréquence cardiaque ≥ 70 bpm, sous un traitement médical optimal. La valeur seuil de fréquence cardiaque retenue par les auteurs pour introduire l’ivabradine fait référence au critère d’inclusion dans l’étude SHIFT, alors même que l’AMM européenne a fixé la barre à 75 bpm sur les résultats d’une analyse par sous-groupes faisant ressortir un effet statistiquement significatif sur la mortalité totale uniquement au-delà de la valeur médiane de 77 bpm.
La question de la fréquence cible à atteindre n’est pas abordée dans les recommandations. Cependant, dans l’étude SHIFT le bénéfice clinique est d’autant plus important que la réduction de fréquence (delta de fréquence par rapport à la valeur de base) est importante. La réduction des événements est également plus marquée pour les fréquences sous traitement les plus basses. Une fréquence cible de 60 bpm pourrait être un objectif clinique raisonnable. Les résultats de l’étude SHIFT sont identiques, que les patients reçoivent ou non un antialdostérone. La prescription de l’ivrabadine peut aussi être considérée chez les patients en rythme sinusal ayant une contre-indication au traitement bêtabloquant (situation très rare en pratique) ou ne tolérant pas cette classe thérapeutique (de petites doses c’est toujours mieux que rien…) avec une fréquence cardiaque ≥ 70 bpm (avis des experts en l’absence d’étude ; recommandation de classe IIb-C).
Pas de réelles nouveautés pour les autres classes thérapeutiques médicamenteuses, avec une place très limitée pour les acides gras polyinsaturés, recommandation de classe IIb-B basée sur les résultats « ajustés » de l’étude GISSI-HF, recommandation de même niveau (« may be considered ») pour la supplémentation en fer. Le traitement anticoagulant reste limité aux patients en fibrillation atriale (FA).
Observation n° 2
Le diagnostic de cardiopathie ischémique a été porté il y a 6 mois chez M. D. Bertrand, 68 ans, diabétique, hypertendu, dans un contexte de dyspnée d’effort stade III de la classification NYHA, sans angor. Le bilan initial a mis en évidence une dysfonction systolique du ventricule gauche, diffuse, plus marquée en territoire inférieur, avec une FEVG estimée à 25 %, une fuite mitrale grade II, une PAP systolique évaluée à 45- 50 mmHg, des lésions coronaires tritronculaires diffuses ne relevant pas d’un geste de revascularisation. Sur l’ECG, le rythme est sinusal avec un aspect de bloc de branche gauche et une durée de QRS à 140 ms. Six mois plus tard, sous un traitement médical « optimisé » sur la base des recommandations 2012, le patient est en classe II de la NYHA, avec à l’échocardiographie une FEVG estimée à 30 %, une fuite mitrale grade I, des pressions pulmonaires normales. L’ECG est inchangé en rythme sinusal à 65 bpm.
Deux questions doivent être abordées : faut-il implanter à titre prophylactique un défibrillateur automatique ? Faut-il envisager une resynchronisation cardiaque ? Pour le défibrillateur automatique, la réponse est oui sur les critères suivants : patient en classe NYHA II, FEVG < 35 %, ≥ 3 mois de traitement pharmacologique optimal. Cette recommandation de « haut » niveau (I-A) est désormais classique. Faut-il alors implanter un défibrillateur resynchroniseur (CRT-D) ? Les recommandations 2012 ont quelque peu revu les indications de resynchronisation cardiaque qui reposent à présent sur 4 critères – la classe NYHA, la FEVG, la morphologie du QRS (bloc de branche gauche ou non) et la durée du QRS – qu’il faut combiner selon le tableau.
La classe NYHA II est aujourd’hui une indication validée de resynchronisation cardiaque qui repose sur les résultats des études REVERSE, MADIT-CRT et RAFT. Il faut bien noter que la valeur seuil de FEVG pour retenir une indication est plus basse (30 %) pour les patients en classe II alors qu’elle est de 35 % pour les classes NHYA III et IV. Le critère d’asynchronisme ventriculaire reste basé uniquement sur l’ECG, sans aucune place pour les paramètres échocardiographiques (hormis l’évaluation de la FEVG), faute d’une validation clinique forte de ces derniers. En revanche, l’analyse de l’ECG repose non seulement sur la durée de QRS mais aussi sur sa morphologie. L’arrivée « en force » du bloc de branche gauche dans l’arbre décisionnel repose avant tout sur une analyse a posteriori de l’étude MADIT-CRT dans laquelle aucun bénéfice n’a été observé chez les patients ayant un bloc de branche droit ou un bloc « indéterminé ». Il nous faut donc retourner aux bases de l’ECG afin de bien reconnaître un vrai bloc de branche gauche – pas toujours si facile !
Quant aux valeurs seuils de durée de QRS elles reposent sur un « mix » entre critères d’inclusion dans les études et analyses a posteriori, sans réelle volonté de simplification pour le clinicien… attention de bien mesurer les ms. Les recommandations sont de classe I-A pour les patients avec un bloc de branche gauche, de classe IIa-A en l’absence de bloc de branche gauche, et ce uniquement pour les patients en rythme sinusal. Pour les patients en FA, après quelques hésitations (recommandations ayant varié sur les différents documents publiés notamment les « pocket guidelines »), une recommandation de classe IIa-B a été finalement retenue uniquement en cas d’ablation de la jonction atrioventriculaire. Pour les autres patients en FA, les recommandations restent de classe inférieure (IIb-C) faute d’études d’envergure dans cette population.
• Pour le traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée, le constat est simple : aucune classe thérapeutique, notamment ni les IEC ni les ARAII, n’a démontré de façon convaincante une réduction sur la mortalité ou un impact sur la morbidité. Restent les diurétiques pour contrôler la rétention hydrosodée, les traitements pour contrôler au mieux l’HTA et prévenir l’ischémie myocardique, le contrôle de la fréquence ventriculaire en cas de FA par les inhibiteurs calciques « bradycardisants » (vérapamil, diltiazem) ou les bêtabloquants, en association si besoin, éventuellement les digitaliques ou l’ablation de la jonction atrio-ventriculaire.
• Pour le suivi, les auteurs recommandent une approche multidisciplinaire dans le cadre d’une filière de soin, incluant l’éducation thérapeutique, adaptée aux contraintes de chacun des systèmes de santé. Sur le recours au monitorage régulier des peptides natriurétiques, aucune recommandation n’est proposée car « il est incertain que le pronostic soit meilleur en utilisant cette approche plutôt que de simplement optimiser le traitement (combinaison et dose des médicaments, prothèses implantables) en accord avec les recommandations »… quelques économies possibles pour l’assurance maladie !
Même conclusion pour le support téléphonique ou les systèmes implantables de monitorage hémodynamique. En pratique, le suivi repose sur les données cliniques avec un suivi biologique centré sur la fonction rénale et la kaliémie.
S’agissant de recommandations sur l’insuffisance cardiaque, la question du traitement de la dysfonction ventriculaire gauche asymptomatique n’est pas abordée. Les recommandations se terminent sur un chapitre « Gaps in evidence » laissant la voie ouverte pour de nouvelles évaluations cliniques et à terme de nouvelles recommandations…
À chacun d’intégrer dès à présent ces nouvelles recommandations dans sa pratique, en espérant que les recommandations qui seront publiées en 2013 par les « rythmologues » ne remettent pas fondamentalement en question la place du traitement électrique… À suivre…
SHIFT – Fréquence sous traitement et événements cliniques.
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