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Coronaires

Publié le 14 nov 2015Lecture 7 min

Devons-nous arrêter de thromboaspirer dans le SCA ST+ après TOTAL ?

A. BOUZERDA, M. CHTIOUI, Unité d’hémodynamique et de cardiologie interventionnelle, Centre médicochirurgical, Agadir, Maroc

L’angioplastie primaire, le plus souvent suivie de la pose d’une endoprothèse, s’est imposée ces dernières années comme la meilleure stratégie de reperfusion en phase aiguë d’infarctus du myocarde comparativement à la thrombolyse(1). Dans ce contexte, l’objectif est de restaurer un flux coronaire épicardique normal et d’obtenir une reperfusion tissulaire myocardique optimale.

Le cardiologue interventionnel poursuit deux buts essentiels : - la recanalisation de la coronaire coupable causant l’infarctus de la manière la plus rapide possible, complétée d’un stenting presque systématique ; - l’amélioration de la perfusion du myocarde qui est plus difficile à obtenir, en évitant une embolisation distale du matériel thrombotique et en évitant la complication redoutée qui est le no-reflow(2). Ce phénomène pathologique est une interruption du flux coronaire distal et capillaire conditionnant l’expansion de l’infarctus et, de ce fait, il est un important prédicteur de l’évolution clinique.   Cas clinique   Monsieur M.M., âgé de 45 ans, sans antécédents médicaux particuliers, ayant comme facteurs de risque cardiovasculaires un diabète de type 2 évoluant depuis 10 ans sous ADO et une hérédité coronaire. Il consulte aux urgences pour des douleurs thoraciques intenses, rétrosternale constrictive, irradiant vers le membre supérieur gauche et le maxillaire inférieur, associées à des vomissements et des sueurs profuses. L’examen clinique à son admission, soit H5 du début présumé de la douleur, note un état hémodynamique stable : FC à 100 bpm ; TA à 125/75 mmHg. L’auscultation cardio-pulmonaire est sans anomalie. Il n’y a pas de signes périphériques d’insuffisance cardiaque. L’électrocardiogramme basal de repos (figure 1) inscrit un RRS à 100 c/min, avec un sus-décalage du segment ST en inférieur et image en miroir en antéroseptal traduisant un infarctus inférieur en voie de constitution. Figure 1. Sus-décalage ST en inférieur avec des images en miroir en antéroseptal. Un traitement pharmacologique à base de clopidogrel (Plavix®) 600 mg, énoxaparine (Lovenox®) IV 0,5, Aspegic® 250 mg IV, morphine est instauré aux urgences, puis adressé dans notre unité de cardiologie interventionnelle pour angioplastie primaire. L’échocardiographie transthoracique de repos montre un VG de taille normale, une hypocinésie inférieure et une bonne fonction systolique ventriculaire gauche (FE estimée à 60 % par le Simpson biplan). Par ailleurs, il n’y a pas d’épanchement péricardique ni thrombus intracavitaire ni anomalies valvulaires. La coronarographie montre une sténose significative de l’ordre de 75 % du segment proximal de l’artère coronaire droite et une occlusion de l’artère circonflexe avec un flux TIMI 0. La procédure d’angioplastie (figure 2) a été réalisée avec un désilet introducteur 6 French et cathéter guide EBU 3.5. Après passage du guide d’angioplastie, le flux est resté TIMI 0 ; on procède à une thromboaspiration par le cathéter EXPORT et une administration des anti-IIb/IIIa (Tirofiban®) par voie intracoronaire. Plusieurs passages par le cathéter EXPORT ont été réalisés permettant de récupérer du matériel thrombotique (figure 3). Le contrôle angiographique montre un flux TIMI 3 avec une sténose serrée de l’artère circonflexe distale et une sténose d’aspect thrombotique de la circonflexe proximale. La procédure est terminée par la mise en place de deux stents actifs avec succès primaire. L’évolution est marquée par une disparition des douleurs thoraciques, l’apparition d’un rythme idioventriculaire accéléré et une régression de plus de 50 % du sus-décalage ST à l’ECG basal. Le patient quitte le service 6 jours après son admission sous traitement médical suivant : clopidogrel (Plavix® 75 mg/j), aspirine (Kardegic® 75 mg/j), bêtabloquant (Sectral® 200 mg/j), IEC (Triatec® 5 mg/j) et rosuvastatine (Crestor® 20 mg/j). Figure 2. Patient de 45 ans admis pour un SCA ST+ en inférieur évoluant depuis 5 heures. A. Flux initial TIMI 0 sur le segment proximal de l’artère circonflexe occluse. B. Flux TIMI 0 après passage du guide d’angioplastie. C. Thromboaspiration par le cathéter Export. D. Flux TIMI 3 après thromboaspiration. E. Flux TIMI 3 final après stenting des segments distal et proximal de l’artère circonflexe. Figure 3. Fragments thrombotiques récupérés après thromboaspiration manuelle.  Discussion   Au cours des SCA ST+, la charge thrombotique au sein de l’artère coronaire coupable est très élevée, et le geste d’angioplastie peut être à l’origine d’une embolisation distale d’agrégats plaquettaires et/ou fibrineux, limitant l’efficacité de la reperfusion myocardique par atteinte de la microcirculation coronaire(3). Ce phénomène est appelé no-reflow (NR). Plusieurs facteurs de risque de développer un NR ont été mis en évidence comme l’angioplastie primaire essentiellement en raison de possibles embolies distales, un temps d’ischémie long ou encore une taille d’IDM importante avec l’occlusion aiguë de l’IVA. Le NR est un facteur prédictif indépendant de la survenue d’insuffisance cardiaque, de réhospitalisation, de récidive d’IDM, et finalement de décès cardiovasculaire avec un risque d’événements multiplié par 5(4). La thromboaspiration à la phase aiguë de l’angioplastie d’un infarctus reste un moyen simple pour réduire le risque d’embolisation distale et se trouve complémentaire à l’approche pharmacologique ou chimique des antiagrégants plaquettaires. Des études pionnières en 2005 (Schömig à Munich, Silva-Orego à Milan) ont prouvé la bonne tolérance de la thromboaspiration, n’entraînant pas d’autres complications majeures. L’étude DEAR-MI(5) confirme une diminution de l’embolisation distale, un meilleur flux coronaire en fin de procédure et un plus grand nombre de cas avec normalisation du segment ST, en cas de thromboaspiration (68 % comparé à 50 % dans l’angioplastie seule). L’étude TAPAS, publiée en 2008 dans le New England Journal of Medicine(6), randomisée, a appliqué la thromboaspiration systématique à tous les infarctus ayant une élévation du segment ST. Les critères d’observation sont la résolution complète du segment ST, la perfusion myocardique analysée selon le degré de recoloration du muscle (blush), ainsi que le nombre d’incidents cardiaques majeurs et la mortalité à 30 jours. Sur la base de tous les critères examinés, la technique de thromboaspiration, applicable à une grande majorité de patients souffrant d’un infarctus avec élévation du segment ST, permet une meilleure reperfusion et une évolution clinique supérieure à l’angioplastie conventionnelle, avec une réduction significative de la mortalité à 1 an (p = 0,004). Ces résultats positifs avaient conduit à un réel engouement en faveur d’une utilisation systématique de la thromboaspiration en phase aiguë d’infarctus. Récemment, l’étude TASTE (large étude ; 11 971 patients), dont les résultats à 1 an ont été communiqués lors du congrès de l’ESC et publiés dans le NEJM(7) a introduit un nouveau concept, celui de l’étude randomisée dans un registre. Tous les patients avec infarctus du myocarde < 12 heures pris en charge dans l’ensemble des Cath-Lab suédois et islandais et un centre danois pendant une période de près de 2 ans étaient éligibles pour une randomisation entre angioplastie primaire avec versus sans thromboaspiration. Les patients âgés en moyenne de 66 ans bénéficiaient d’un traitement antithrombotique puissant avec un nouvel inhibiteur des récepteurs P2Y12 dans plus de 40 % des cas et un inhibiteur des GpIIb/IIIa dans environ 15 % des cas. Les résultats à 1 an confirment ceux à 30 jours avec une absence de différence sur la mortalité toutes causes, la récidive d’infarctus et la thrombose de stent. La principale critique faite à cette étude est le faible taux d’événements suggérant un défaut de capture. En effet, si les études randomisées rapportent des données controversées sur la survie, les critères composites ont toujours été clairement modifiés en faveur de la thromboaspiration (thrombose de stent et réinfarctus). Il faut noter en effet que dans l’étude, près de 40 % des patients n’ont pas été randomisés (parmi eux, un quart a bénéficié d’une thromboaspiration) ce qui représente une limite non négligeable. L’étude randomisée américaine TOTAL(8) avec plus de 10 000 patients, publiée lors du congrès ACC 2015, a confirmé les résultats de l’étude TASTE avec plus d’accident vasculaire cérébral à 30 jours dans le groupe thromboaspiration.   En pratique, pourquoi je continue toujours à thromboaspirer   1re raison : parce qu’on obtient des résultats très favorables sur les critères angiographiques (flux TIMI 3 final, blush myocardique, taux de no-reflow et d’embolisations distales) et électriques (régression du susdécalage du segment ST). 2e raison : parce qu’on stente plus court, on évite donc les grandes longueurs de stents. Génératrices d’embolisation distale, de malapposition de stent et de thromboses tardives. 3e raison : on n’est pas obligé de stenter tout de suite dans cette « ambiance thrombotique ». Le concept d’angioplastie en 2 temps (MIMI : Minimalist Immediate Mechanistic Intervention), associant une désobstruction coronaire initiale (par thrombectomie instrumentale) et une pose de stent différée, s’avère bénéfique dans certaines études (réduction du no-reflow et la taille de l’infarctus)(9).     En pratique    Dans le cadre de l’urgence coronaire avec revascularisation percutanée, la prévention des embolisations distales en per-procédure par thromboaspiration pourrait contribuer à diminuer ou prévenir l’atteinte de la microcirculation coronaire responsable d’une reperfusion myocardique sous-optimale. Les résultats de l’étude TASTE qui vont dans le sens de l’absence d’intérêt d’une utilisation systématique de la thrombo-aspiration en phase aiguë d’infarctus du myocarde ne doivent pas remettre en question son utilisation. Cette thromboaspiraton reste toujours indiquée en cas de flux TIMI 0-1, si la charge thrombotique est importante, en cas d’atteinte proximale et chez le sujet jeune fumeur. 

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