Insuffisance cardiaque
Publié le 30 nov 2016Lecture 22 min
Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée : quels traitements proposer ?
M. GALINIERa,b,c, O. LAIREZa,d, P. FOURNIERa, E. CARIOUa, C. DELMASa,c, C. BIENDEL-PICQUETa, J. RONCALLIa,c a. Fédération des Services de cardiologie, CHU Rangueil, Toulouse b. UMR UT3 CNRS 5288 Evolutionary Medicine, Obesity and Heart Failure: molecular
L’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (ICFEp) n’est pas une maladie unique et homogène mais un syndrome protéiforme, à la physiopathologie complexe dépendant de l’étiologie dominante, associé à diverses comorbidités(1). À la différence de l’insuffisance cardiaque par dysfonction systolique, uniformisée par les conséquences neurohormonales de l’altération de la fraction d’éjection, son traitement ne repose sur aucune recommandation solide(2), les 5 grands essais thérapeutiques lui ayant été consacrés n’ayant pu démontrer une diminution significative de la morbi-mortalité.
Si l’élévation des pressions de remplissage du ventricule gauche est le dénominateur commun de ce syndrome, responsable de la dyspnée et de la rétention hydrosodée, rendant compte de la nécessité de contrôler la volémie, le traitement de fond des ICFEp est avant tout étiologique. Ainsi, il n’existe probablement pas de traitement uniforme de l’ICFEp, les choix des thérapeutiques devant se faire sur mesure en fonction de l’étiologie et donc du processus physiopathologique dominant. Une analyse phénotypique précise, prenant en compte les données cliniques, étiologiques, biologiques, échocardiographiques, les comorbidités, voire les résultats de l’IRM myocardique et de la scintigraphie au biphosphonate, est donc nécessaire afin d’aboutir à une classification physiopathologique des différentes formes d’ICFEp et de proposer un traitement adapté(1).
Les principales étiopathogénies sont les formes par surcharges barométriques, dominées par la cardiopathie hypertensive, les formes par surcharges volumétriques, avec l’obésité morbide et l’insuffisance rénale, les formes par atteinte myocardique avec, d’une part, la cardiomyopathie propre au syndrome métabolique et au diabète et, d’autre part, les cardiomyopathies hypertrophiques et restrictives, sans oublier la cardiopathie ischémique.
Traitements hémodynamiques
L’élévation des pressions de remplissage ventriculaire gauche est la conséquence des différents processus physiopathologiques en cause, responsable en phase chronique de la dyspnée d’effort et des signes de rétention hydrosodée et en phase aiguë de l’oedème aigu du poumon, survenant volontiers à l’occasion d’un facteur déclenchant qu’il faudra identifier et corriger. Son traitement passe par la restriction sodée, les diurétiques, les vasodilatateurs et la modulation de la fréquence cardiaque.
La restriction hydrosodée et l’éducation thérapeutique
La restriction hydrosodée doit être adaptée à l’âge du patient et à la sévérité de la maladie. En règle générale, elle est plus modérée que dans l’insuffisance cardiaque systolique avec un apport en sel de 4 à 6 g/j. Si possible, il faut l’intégrer dans le cadre d’une éducation thérapeutique qui a montré son efficacité dans l’insuffisance cardiaque, indépendamment de la valeur de la fraction d’éjection, notamment chez les patients âgés comme c’est le cas dans l’ICFEp, diminuant le risque de réhospitalisation(3).
Les diurétiques
Les diurétiques proximaux
C’est la seule classe thérapeutique possédant une recommandation de classe I mais de niveau C dans l’ICFEp selon la Société européenne de cardiologie (ESC, tableau). Leur posologie dépend du mécanisme à l’origine de l’ICFEp. Dans les formes par surcharges barométriques, elle doit être initialement modérée pour participer au contrôle tensionnel et les diurétiques thiazidiques peuvent suffire. Dans les autres formes ou en cas d’insuffisance rénale associée, l’utilisation des diurétiques de l’anse s’impose en augmentant leur posologie progressivement en fonction de la réponse thérapeutique et de la sévérité de la maladie. En cas d’épuisement thérapeutique nécessitant des doses importantes de diurétiques de l’anse, administrés alors en plusieurs prises quotidiennes, on peut y associer des diurétiques thiazidiques sous surveillance biologique stricte. Le risque de ce traitement est de diminuer la volémie efficace, qui est moins élevée que dans l’ICFE réduite, et donc d’entraîner une dégradation de la fonction rénale.
Les antagonistes des récepteurs minéralocorticoïdes (ARM)
En bloquant l’action de l’aldostérone au niveau du tube contourné distal, ils potentialisent l’action des diurétiques proximaux tout en évitant le risque d’hypokaliémie. Dans une étude preuve de concept, Aldo-DHF(4), réalisée chez 422 patients, par rapport au placebo, la spironolactone à la dose de 25 mg/j a amélioré les paramètres échocardiographiques, rapport E/e’ et masse ventriculaire gauche, sans cependant augmenter les capacités d’effort. Les effets cliniques de la spironolactone à la dose de 25 mg/j ont été testés versus placebo chez 3 445 patients au cours de l’étude TOPCAT(5). Les critères d’inclusion étaient un âge ≥ 50 ans, une FEVG ≥ 45 %, la présence de symptômes ou de signes cliniques d’insuffisance cardiaque et soit dans les 2 mois précédents un BNP ≥ 100 pg/ml ou un NT-proBNP ≥ 360 pg/ml, soit une hospitalisation pour insuffisance cardiaque dans les 12 derniers mois.
Pour l’ensemble des patients inclus, l’étude est négative, la diminution du critère principal, incluant les décès cardiovasculaires, les arrêts cardiaques et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque, n’atteignant pas le seuil de significativité après 3,3 ans de suivi, une réduction significative de 17 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque (OR = 0,83 ; IC95% : 0,69-0,99 ; p = 0,04) étant observée. Cependant une analyse post-hoc, dont l’interprétation doit rester prudente(6), tenant compte des pays d’inclusion des patients, justifiée par une différence considérable entre la mortalité des sujets des groupes placebo inclus en Russie et en Géorgie par rapport à ceux inclus en Amérique (Argentine, Brésil, Canada, États-Unis), suggère un effet bénéfique de la spironolactone au cours de l’ICFEp. En effet, l’incidence annuelle des événements de l’objectif principal dans les deux pays de l’Est est de 2,4 %, soit beaucoup plus faible que dans les autres pays où elle s’élève à 11,5 %, la rapprochant des taux de mortalité cardiovasculaire observés dans les registres. Il est donc probable qu’en l’absence d’accès aisé aux dosages des peptides natriurétiques, les patients inclus en Russie et en Géorgie, plus jeunes et avec moins de comorbidités, n’étaient pas tous atteints d’ ICFEp. Ainsi, si la spironolactone n’avaient aucun effet chez les 1 678 patients des deux pays de l’Est (OR = 1,10 ; IC95% : 0,79-1,51 ; p = 0,58), elle diminuait significativement de 18 % l’objectif principal chez les 1 767 patients des autres pays (OR = 0,82 ; IC95% : 0,69-0,98 ; p = 0,026), réduisant également significativement les décès cardiovasculaires et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (figure 1).
Figure 1. Résultats de l’étude TOPCAT selon les pays d’inclusion des patients.
Les ARM possèdent expérimentalement une action antifibrosante, tant au niveau myocardique que vasculaire, et améliorent la fonction endothéliale par l’augmentation de l’activité NO-dépendante, leur principal effet diurétique épargneur de potassium en fait un des traitements de base de l’ICFEp.
• En cas d’insuffisance cardiaque aiguë, en particulier d’œdème aigu du poumon, les diurétiques de l’anse devront être administrés par voie intraveineuse à posologie moins élevée que dans l’ICFEr : 40 à 80 mg de furosémide en l’absence de traitement antérieur, à une dose identique à leur prise orale quotidienne en cas de traitement chronique, l’inflation hydrosodée étant moindre que dans l’ICFEr.
Dans l’avenir, les deux nouvelles molécules dont le mécanisme d’action passe en partie par un effet diurétique pourraient s’imposer si les essais thérapeutiques en cours démontrent leur efficacité : les inhibiteurs des récepteurs de l’angiotensine II et de la néprilysine (IRAN), le sacubitril en inhibant la neuropeptidase neutre augmentant les taux endogènes de peptides natriurétiques ce qui majore la natriurèse et la diurèse grâce à une triple action sur le néphron, augmentation du débit de filtration glomérulaire par vasodilatation de l’artériole afférente et vasoconstriction de l’artériole efférente et inhibition de la réabsorption du sodium au niveau du tube contourné proximal et du tube contourné distal ; l’empaglifozine, un inhibiteur du cotransporteur sodium-glucose de type 2, entraînant ainsi un effet diurétique, qui pourrait aussi être utile du moins chez les patients diabétiques.
Les vasodilatateurs
Les dérivés nitrés
L’utilisation des donneurs de NO paraissait logique pour diminuer la pression télédiastolique ventriculaire gauche grâce à leur action vasodilatatrice veineuse prédominante. En traitement de fond, la récente étude NEATHFpEF vient cependant de démontrer leur effet néfaste(7). Dans cet essai, la prise d’isosorbide mononitrate, à la dose augmentée progressivement de 30 à 120 mg/j, était associée par rapport au placebo à une activité physique quotidienne, estimée par un accéléromètre, significativement moindre, la durée des activités étant inversement proportionnelle à la dose de nitrés, et à une augmentation des effets secondaires. Ainsi, il est inutile, voire délétère de proposer un traitement chronique par dérivés nitrés dans l’ICFEp.
• Au cours de l’insuffisance cardiaque aiguë, en cas d’oedème aigu du poumon si la pression artérielle systolique (PAS) est ≥ 100 mmHg, ce qui est le plus souvent le cas dans l’ICFEp, les dérivés nitrés par voie intraveineuse restent indiqués, une étude ancienne(8) ayant démontré le bénéfice de l’administration de bolus de 3 mg d’isosorbide dinitrate, répétés si nécessaire toutes les 5 min, la dose moyenne de nitrés administrée étant de 11,4 ± 6,8 mg.
Les autres vasodilatateurs
Les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (PDE) Ils augmentent l’activité GMP cyclique, comme le sidénafil, et ont été testés chez des patients stables présentant une ICFEp au cours de l’étude RELAX(9). Par rapport au placebo, le sildénafil n’améliore pas le pic VO2 et ne modifie ni le score de dyspnée, ni la distance parcourue en 6 min. L’essai ULTIMATE- HFpEF teste l’efficacité de l’udénafil, un inhibiteur de la PDE-5 de longue durée d’action. Cependant, il est peu probable que les inhibiteurs de la PDE-5 se révèlent efficaces, les études hémodynamiques les plus récentes n’ayant pas retrouvé d’effet du sildénafil au cours de l’ICFEp sur le niveau des pressions artérielles pulmonaires, y compris chez les patients présentant une hypertension artérielle pulmonaire mixte pré- et postcapillaire(10). Les inhibiteurs de la PDE-9, plus abondante dans le myocarde, pourraient être une piste plus intéressante(11).
Les IRAN
Ils pourraient constituer le traitement d’avenir, l’accumulation des peptides natriurétiques grâce à l’inhibition de la néprilysine par le sacubitril, associée aux effets du valsartan étant à l’origine d’un effet vasodilatateur marqué, en sus de leur effet diurétique. Au cours de l’essai preuve de concept PARAMOUNT(12) chez 308 patients stables présentant une ICFEp, par rapport au valsartan, ils diminuent significativement les taux de NT-proBNP et la taille de l’oreillette gauche, suggérant une baisse rapide et maintenue des pressions ventriculaires et auriculaires gauches. Une grande étude de morbimortalité, l’essai PARAGONHF, est en cours de recrutement pour confirmer cet effet bénéfique, une action antiremodelage tant vasculaire que myocardique étant de plus suggérée sous l’effet de ce produit par les données expérimentales.
Les activateurs de la guanylate cyclase
Ils ont fait preuve d’une certaine efficacité dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire précapillaire, sont en cours d’évaluation dans l’ICFEp, qui se complique fréquemment d’une hypertension artérielle pulmonaire postcapillaire disproportionnée. Cependant, au cours de l’essai SOCRATES-Preserved, le vericiguat, testé à 4 posologies croissantes versus placebo chez 477 patients, après 12 semaines de traitement n’a significativement diminué ni le taux de NTproBNP, ni le volume de l’oreillette gauche, améliorant simplement un score de qualité de vie(13,14).
Enfin, un nouvel inhibiteur des récepteurs de l’endothéline, le macitentan, est en cours d’évaluation dans une étude en double aveugle, l’essai MELODY.
• Au cours de l’insuffisance cardiaque aiguë, la sérélaxine, analogue de la relaxine, hormone vasodilatatrice sécrétée pendant la grossesse, pourrait constituer un traitement de choix. En effet, une analyse en sous-groupes prédéfinis de l’étude RELAX-HF(15) suggère par rapport au placebo sa plus grande efficacité chez les patients dont la FE est conservée. Les études en cours confirmeront ou non ce bénéfice sur la morbi-mortalité.
La modulation de la fréquence cardiaque
Elle doit être individualisée pour chaque patient en fonction la physiopathologie prédominante en cause. En effet, si de nombreux patients ne tolèrent pas la tachycardie qui diminue le temps de remplissage ventriculaire gauche, d’autres sont aggravés par la bradycardie, notamment en cas de cardiopathie restrictive où seul le premier tiers de la diastole est utile, alors que d’autres présentent une incompétence chronotrope participant à la diminution du débit cardiaque.
Chez les patients tachycardes, après avoir éliminé par l’échocardiographie une cardiomyopathie restrictive, l’introduction d’un agent bradycardisant peut être utile pour tenter d’améliorer les symptômes.
Les bêtabloquants
Malgré leur effet lusinotrope négatif aggravant l’altération de la relaxation myocardique, ont démontré une amélioration de l’hémodynamique chez des patients atteints d’ICFEp à condition que la fréquence cardiaque soit ≥ 70 batt/min(16). Néanmoins, leur tolérance semble moins bonne que dans l’ICFEr comme le suggère les résultats de l’étude CIBIS-ELD(17) où les effets indésirables du bisoprolol et du carvédilol sont plus fréquents au cours de l’ICFEp, notamment la bradycardie (20 vs 11 %), les étourdissements (15 vs 4 %) et l’asthénie (18 vs 4 %). De plus, dans cette étude, le délai de titration pour obtenir la dose cible est plus long dans l’ICFEp. Quant aux données des registres, elles sont contradictoires, certains retrouvant une moindre mortalité en cas de prescription de bêtabloquants(18) ; d’autres comme OPTIMISE-HF suggérant que l’utilisation de bêtabloquants au cours de l’ICFEp est associée à de mauvais résultats, avec notamment un risque plus élevé de réhospitalisations chez les femmes(19,20). En cas d’HTA, le choix du carvédilol est logique pour associer au blocage des bêta-1 et des bêta-2 récepteurs myocardiques, une action α-bloquante vasodilatatrice.
Les inhibiteurs calciques bradycardisants
Malgré leur action lusinotrope négative liée à l’altération des mouvements calciques au niveau des cardiomyocytes, ils ont également démontré dans de petites séries anciennes une amélioration hémodynamique, leur action antihypertensive pouvant également être utile.
Les digitaliques
À côté de leur action dromotrope négative utile pour ralentir — associés aux bêtabloquants ou aux inhibiteurs calciques à tropisme cardiaque, la fréquence ventriculaire en cas de fibrillation atriale —, ils possèdent en rythme sinusal un effet bradycardisant lié à leur action parasympathomimétique. La digoxine a été testée au cours du premier grand essai thérapeutique consacré à l’ICFEp, l’étude DIG-PEF(21). Chez 988 patients insuffisants cardiaques en rythme sinusal dont la FE était > 45 %, par rapport au placebo, après 37 mois de suivi, la digoxine a diminué de 18 % de manière non significative le critère primaire, associant les décès et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (OR = 0,82 ; IC95% : 0,63-1,07 ; p = 0,14). On observe une tendance à moins d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque (OR = 0,79 ; IC95% : 0,59-1,04 ; p = 0,09) compensée par une augmentation non significative des hospitalisations pour angor instable (OR = 1,37 ; IC95% : 0,99-1,91 ; p = 0,06).
Les inhibiteurs des canaux If
Ils sont actuellement évalués chez des patients présentant une ICFEp en rythme sinusal au cours de l’étude EDIFY. Dans les essais antérieurs, l’ivabradine administrée à des patients atteints d’ICFEp ont eu des effets contradictoires sur le pic de VO2(22,23).
À l’opposé, une stimulation cardiaque peut être nécessaire en cas d’incompétence chronotrope, en respectant la séquence auriculoventriculaire. Des essais de resynchronisation de l’oreillette gauche, qui est le siège dans l’ICFEp d’un remodelage tant mécanique qu’électrique, sont en cours.
Les arythmies atriales qui constituent un des principaux facteurs déclenchant de décompensation au cours de l’ICFEp, notamment la fibrillation atriale, du fait de l’aggravation des conditions du remplissage ventriculaire gauche lié à la tachycardie et à la perte de la systole auriculaire devront, dans la mesure du possible, être réduites et leur récidive prévenue. Au cours de l’ICFEp, les antiarythmiques utilisables se limitant aux bêtabloquants, dont le sotalol et l’amiodarone, le recours à l’ablation par radiofréquence est souvent nécessaire.
Ainsi le dogme de l’intérêt d’une thérapeutique bradycardisante au cours de l’ICFEp, longtemps préconisée, qui peut allonger chez certains patients de façon délétère le temps de remplissage, en particulier chez les patients présentant un « profil de remplissage restrictif » chez lesquels le remplissage ventriculaire est quasi terminé en protodiastole, au détriment de la phase éjectionnelle, diminuant alors le débit cardiaque, a fait place à un traitement à la carte tenant compte de la fréquence cardiaque de repos et d’effort et du mécanisme physiopathologique en cause(24).
Traitements étiopathogéniques
Plus encore que dans l’ICFEr, le traitement de l’ICFEp doit tenir compte de l’étiologie et du mécanisme étiopathogénique dominant, ainsi que des comorbidités.
ICFEp par surcharges barométriques
• La cardiopathie hypertensive
L’HTA associée aux conséquences cardiovasculaires du vieillissement est au coeur de la physiopathologie de l’ICFEp, qui est alors autant une maladie vasculaire, avec une augmentation de la rigidité des gros troncs artériels, une majoration des résistances artériolaires, un retour en systole de l’onde de pouls réfléchie et une dysfonction endothéliale, que myocardique avec une altération de la relaxation et une augmentation de la rigidité myocardique, favorisées par le remodelage ventriculaire concentrique ou l’hypertrophie ventriculaire gauche, aboutissant à une altération du couplage ventriculo-artériel. Ces phénomènes sont aggravés par l’existence d’un syndrome métabolique associé à l’obésité abdominale qui majore la rigidité artérielle.
Le contrôle de la postcharge du ventricule gauche est alors un temps essentiel du traitement. En l’absence de thérapeutique luttant contre la rigidité des systèmes vasculaires et cardiaques, il faut diminuer la PAS tout en essayant de préserver le niveau de pression artérielle diastolique (PAD), afin de baisser la pression artérielle centrale. Chez ces sujets âgés, voire très âgés (au-delà de 80 ans), les inhibiteurs calciques de type dihydropyridine et les diurétiques sont les antihypertenseurs les plus efficaces, combinés si nécessaire, notamment en cas de syndrome métabolique associé, aux bloqueurs du système rénineangiotensine, en ciblant chez les sujets de plus de 80 ans, une PAS < 150 mmHg. Au cours de l’essai HYVET, chez des patients âgés de plus de 80 ans présentant une HTA systolique, une association de diurétique proximal, l’indapamide, et d’un IEC, le périndopril, a diminué de 64 % l’incidence de l’insuffisance cardiaque(25).
ICFEp post-remplacement valvulaire aortique
Avec l’augmentation considérable des remplacements valvulaires aortiques chez les sujets très âgés grâce à l’avènement de la voie percutanée, il n’est pas rare d’être confronté à des ICFEp sévères non améliorées par la levée du barrage aortique, l’hypertrophie ventriculaire gauche étant alors à un stade non réversible, parfois associée à une amylose à la transthyrétine sauvage, où à l’origine d’une hypertension artérielle pulmonaire disproportionnée imparfaitement réversible du fait d’un remodelage vasculaire pulmonaire. L’utilisation de fortes doses de diurétiques proximaux associés aux ARM est alors la seule solution efficace.
ICFEp par surcharge volumétrique
• Obésité et ICFEp
L’obésité, surtout si elle est morbide, est à l’origine d’une hypervolémie, qui associée aux effets délétères directs des acides gras au niveau myocardique, notamment sur les fonctions mitochondriales(26), et aux comorbidités partagées peut entraîner l’apparition d’une ICFEp. Une métaanalyse de 23 études prospectives ayant inclus 647 388 sujets(27) a en effet confirmé que chaque augmentation de 5 unités de l’index cardiaque augmente de 41 % le risque d’apparition d’une insuffisance cardiaque et de 26 % celui de décès lié à l’insuffisance cardiaque. De plus, le tissu adipeux cardiaque participe à la genèse de la fibrillation atriale(28), facteur essentiel de décompensation de l’ICFEp. Un amaigrissement significatif doit alors être obtenu en recouvrant si nécessaire, en cas d’échec des mesures diététiques, à la chirurgie bariatrique qui favorise la régression des anomalies structurelles (masse) et hémodynamiques ventriculaires gauches(29). En cas de fibrillation auriculaire paroxystique, l’amaigrissement diminue de plus le risque de récidive d’arythmie(30). Chez ces patients, un syndrome d’apnée du sommeil obstructif qui participe à la pathogenèse de l’ICFEp en augmentant la postcharge ventriculaire gauche doit être recherché et traité par pression positive continue.
• Insuffisance rénale
L’hypervolémie induite par la rétention hydrosodée secondaire à la dysfonction rénale, associée à une activation des systèmes rénine-angiotensine et sympathique, favorise la genèse d’une ICFEp. L’utilisation de posologies adaptées à la fonction rénale de diurétiques de l’anse est alors nécessaire, en recourant à la dialyse dans les cas les plus sévères pour contrôler la volémie.
ICFEp et maladies myocardiques
• La cardiopathie diabétique
Le diabète et plus particulièrement l’hyperglycémie chronique favorisent l’augmentation de la rigidité myocardique et artérielle par de multiples mécanismes, produits de glycation avancée, dysfonction mitochondriale, stress oxydatif, altération de l’homéostasie calcique, fibrose interstitielle, aboutissent à une altération de la fonction diastolique, qui a conduit certains à individualiser une véritable cardiomyopathie diabétique au sein de l’ICFEp(31). Celle-ci est en fait rarement isolée, l’HTA et l’obésité étant le plus souvent associées au diabète de type 2, ces facteurs de risque pouvant de plus être à l’origine d’une ischémie myocardique par lésions coronariennes épicardiques ou anomalies de la microcirculation.
À côté des biguanides qui en l’absence d’insuffisance rénale constituent alors le traitement de base du diabète de type 2, un inhibiteur du co-transporteur sodium-glucose de type 2, l’empaglifozine, pourrait être utile, ayant diminué de 35 % l’incidence des hospitalisations pour insuffisance cardiaque au cours de l’étude EMPAREG(32). Chez des patients diabétiques de type 2 avec une maladie athéroscléreuse documentée(32), à côté du contrôle glycémique, il est probable que les autres effets cardiovasculaires des inhibiteurs sélectifs du co-transporteur sodium-glucose de type 2, réduction du poids, de la pression artérielle sans augmentation du tonus sympathique, de la rigidité artérielle et du double produit fréquence-pression suggérant une diminution de la postcharge, associée à la diurèse osmotique induite par l’augmentation de l’excrétion urinaire de glucose avec réduction du volume plasmatique, expliquent en partie cet effet bénéfique sur l’insuffisance cardiaque(33). Malgré ces effets natriurétiques et diurétiques, mimant l’action des thiazidiques, il n’est observé avec l’empaglifozine ni d’hypokaliémie, ni d’hyperuricémie, ni de modification lipidique indésirable.
Une étude va maintenant tester spécifiquement l’intérêt de cette classe thérapeutique dans l’ICFEp des patients diabétiques. Quant à un agoniste du glucagon-like peptide-1 (GLP-1), liraglutide, malgré une diminution des événements cardiovasculaires majeurs et de la mortalité toutes causes au cours de l’étude LEADER(34), il n’a pas démontré d’effet bénéfique sur le remodelage ventriculaire gauche au cours de l’ICFE réduite(35) n’incitant pas à le tester au cours de l’ICFEp. Enfin, le blocage du système rénineangiotensine en cas d’HTA associée reste nécessaire chez les patients diabétiques.
Dans l’avenir, les médicaments brisant les produits de glycation avancée, comme l’alagebrium, améliorant les paramètres de fonction diastolique et la masse ventriculaire gauche, pourraient être utiles, si les essais en cours confirment leur efficacité.
• Les myocardiopathies
La cardiomyopathie hypertrophique se complique volontiers d’ICFEp, son traitement doit obéir à des recommandations spécifiques qui dépassent le cadre de cette mise au point(36). Les cardiomyopathies restrictives sont à l’origine des formes les plus sévères d’ICFEp. Les moyens d’exploration actuels, IRM et scintigraphie aux biphosphonates, ont révélé la part importante jouée par l’amylose à la transthyrétine sauvage qui pourrait être à l’origine de près de 20 % des ICFEp(37). De nombreux précurseurs protéiques, susceptibles de former des agrégats, pourraient devenir des cibles thérapeutiques pour limiter le développement des dépôts myocardiques. Il en est ainsi de la transthyrétine, précurseur protéique des amyloses génétiques et séniles dont la forme normale tétramérique peut être stabilisée par une molécule, le tafamidis, qui empêche sa dissociation en monomère capable de s’agréger en fibrilles amyloïdes. D’autres stabilisateurs protéiques sont en cours de mise au point. Quant à l’amylose AL, elle bénéficie du développement de chimiothérapies plus spécifiques qui mettent un terme à la production des précurseurs protéiques. Cependant dans les formes évoluées, seules de fortes posologies de diurétiques de l’anse associées aux ARM sont à même d’améliorer les symptômes. Quant à la digoxine, elle reste contre-indiquée en cas d’amylose.
• La cardiopathie ischémique
Des lésions coronariennes sévères, notamment proximales, peuvent être à l’origine d’une ICFEp, la relaxation myocardique étant un processus actif consommateur d’énergie. En présence d’une ischémie significative documentée, elles nécessitent un geste de revascularisation.
Traitement des comorbidités
Plus encore que dans l’ICFEr, les comorbidités jouent un rôle pronostique majeur dans l’ICFEp et leur prise en charge thérapeutique apparaît essentielle.
Carence martiale et anémie
La carence martiale, principale étiologie de l’anémie, est particulièrement fréquente au cours de l’ICFEp où existe un état inflammatoire marqué. Par analogie à l’ICFEr, sa correction par un apport en fer par voie intraveineuse devrait améliorer les symptômes et la performance à l’effort ce que devrait confirmer l’étude FAIR-HFEP.
Bronchopathies chroniques obstructives
Par ses conséquences hémodynamiques et systémiques, en induisant un état inflammatoire, la BPCO aggrave le pronostic de l’ICFEp et doit être correctement traitée.
Syndrome d’apnée du sommeil
Les apnées du sommeil, qu’elles soient obstructives ou centrales, sont particulièrement fréquentes au cours de l’ICFEp. Les apnées obstructives, dont les conséquences hémodynamiques majorent la postcharge ventriculaire, doivent être traitées par PPC. Les apnées centrales, à la différence de l’ICFEr, peuvent être traitées par ventilation auto-asservie.
Une approche thérapeutique ciblant spécifiquement les comorbidités, parmi lesquelles la carence martiale, l’anémie, les dysthyroïdies, la bronchopneumopathie obstructive, le syndrome d’apnée du sommeil, la dépression, mais également les processus étiopathogéniques, hypertension, diabète, insuffisance rénale ainsi que les facteurs déclenchants, comme les arythmies, est actuellement testée au cours de l’essai OPTIMIZE- HFPEF.
Les tentatives de traitements neuro-hormonaux
En l’absence de traitement lusinotrope positif, les tentatives de traitements spécifiques se sont inspirés du traitement de l’ICFEr basé sur le contrôle de l’activation neurohormonale. Or dans l’ICFEp, l’activation des systèmes rénine-angiotensine et sympathique est beaucoup moins marquée que dans l’ICFEr, ce qui pourrait être une des explications de l’absence d’efficacité de leur blocage, testé dans de grands essais thérapeutiques versus placebo (figure 2).
Figure 2. Courbes de survie des 6 grandes études de morbi-mortalité dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection ventriculaire gauche préservée. À noter que l’étude SENIORS concerne aussi des patients avec une insuffisance cardiaque systolique.
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion
Ils ont été testés au cours de l’étude PEP-CHF(38). Chez 850 patients de plus de 70 ans, hospitalisés pour décompensation cardiaque dans les 6 mois, avec une FE ≥ 40 % et des critères échographiques de dysfonction diastolique, le périndopril à la dose de 4 mg/j n’a pas diminué significativement les décès et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (OR = 0,92 ; IC 50 % : 0,70-1,21 ; p = 0,545). Cependant, au cours de la première année de traitement étaient observées une amélioration des symptômes et de la capacité d’effort ainsi qu’une diminution du nombre d’hospitalisations. De plus, beaucoup de patients du groupe placebo ont été traités en ouvert par IEC après 1 an de suivi.
Les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2
Ils ont fait l’objet de deux études. Dans l’étude CHARM-Preserved(39), ayant inclus 3 025 patients insuffisants cardiaques avec une FE > 40 %, le candésartan à la posologie moyenne de 25 mg n’a pas diminué significativement les décès cardiovasculaires et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (OR = 0,89 ; IC 95 % : 0,77-1,03 ; p = 0,118). Cependant, une réduction significative des hospitalisations a été observée sous candésartan. Au cours de l’essai I-PRESERVE, ayant inclus 4 128 patients de plus de 60 ans avec une FE ≥ 45 %, l’irbésartan à la dose moyenne de 275 mg/j n’a pas diminué les décès et les hospitalisations de causes cardiovasculaires (OR = 0,95 ; IC95% : 0,86-1,05 ; p = 0,35).
Les bêtabloquants
Ils n’ont pas fait l’objet d’essai de morbi-mortalité spécifique au cours de l’ICFEp. En effet, si dans l’étude SENIORS portant sur les insuffisants cardiaques âgés de plus de 70 ans, aucune valeur de FE ne faisait partie des critères d’inclusion, on ne peut assimiler les 35 % des patients présentant une FE > 35 % comme des patients atteints d’ICFEp. De plus dans cette étude, si le nébivolol qui est un bêtabloquant vasodilatateur, à la dose moyenne de 7,7 mg/j, a réduit de 14 % le critère primaire, décès et hospitalisations cardiovasculaires (OR = 0,85 ; IC95% : 0,74-0,99 ; p = 0,039), il n’a pas diminué la mortalité.
Les inhibiteurs de l’angiotensine 2 et de la néprilysine
Leurs effets sur la morbi-mortalité sont actuellement testés dans l’étude PARAGON-HF et demeurent notre dernier espoir. Leurs actions à la fois rénale (diurétique), vasculaire (vasodidalatatrice) et cardiaque (effet antiremodelage), laissent espérer un résultat enfin positif, l’inhibition de la néprilysine ayant de multiples effets le plus souvent positifs mais parfois potentiellement négatifs comme l’accumulation supposée de peptides β-amyloïde au niveau cérébral.
Les traitements interventionnels
Des traitements interventionnels sont également en cours d’évaluation dans l’ICFEp. Un dispositif mis en place par voie endovasculaire, créant une petite communication interauriculaire afin de faire baisser les pressions auriculaires gauches à l’effort, en créant un shunt gauche-droit, pourrait améliorer les symptômes. La faisa bilité et la sécurité de cette technique viennent d’être démontrées chez 65 patients au cours de l’étude REDUCE LAP-HF(40) avec 97 % de succès d’implantation. Une réduction des pressions capillaires au repos ou à l’effort a été observée chez 71 % des patients avec une amélioration de la classe de NYHA et de la distance de marche au test de 6 minutes. Pour les patients les plus graves, en cas d’atteinte bi-ventriculaire, notamment amyloïde, dont l’âge est < 75 ans, une assistance biventriculaire implantable de type CARMAT va être testée. En attendant, la greffe constitue l’ultime espoir.
La réadaptation
Plusieurs études, sur des effectifs limités, ont démontré une amélioration des symptômes, de la qualité de vie et de la capacité aérobique au cours de l’ICFEp. Une métaanalyse regroupant 276 patients a confirmé une amélioration significative du pic VO2 et des scores de qualité de vie sans effet sur la fonction diastolique(41). Le réentraînement à l’effort mérite ainsi d’être intégré au sein de l’éducation thérapeutique des patients souffrant d’ICFEp.
En pratique
Malgré l’absence de recommandations solides, liée à l’échec des tentatives de traitements spécifiques, expliqué par la complexité et l’hétérogénéité physiopathologique et phénotypique du syndrome d’ICFEp, dans la pratique quotidienne le traitement de l’ICFEp repose :
- sur le contrôle optimal de la volémie par l’utilisation des diurétiques proximaux dont la posologie doit être adaptée régulièrement à l’état congestif du patient, efficace mais minimale, du moins au départ, pour ne pas compromettre la perfusion rénale, associée en l’absence d’insuffisance rénale à un ARM sous surveillance biologique stricte ;
- sur la modulation si nécessaire de la fréquence cardiaque en évitant tachycardie et bradycardie et en conservant si possible l’activité auriculaire ;
- sur un traitement physiopathologique spécifique, comme le contrôle tensionnel en cas de cardiopathie hypertensive, rendu complexe par la multiplicité fréquente des mécanismes en causes chez un même patient. Dans l’avenir, les IRAN du fait des actions pléiotropes du blocage de la néprilysine pourraient constituer le traitement de fond de la plupart des patients atteints d’ICFEp, en dehors de ceux présentant une cardiomyopathie restrictive ;
- sur la correction des facteurs déclenchants de décompensation et la prise en charge des comorbidités ;
- sur la réadaptation.
Ainsi à la différence de l’ICFEr, le traitement de l’ICFEp, du fait de la complexité et de la richesse de ce syndrome, ne peut pas être enfermé dans le carcan rigide de recommandations rassurantes, mais repose sur une analyse physiopathologique et phénotypique permettant d’adapter la thérapeutique à chaque patient, pour lui proposer un traitement personnalisé.
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