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Valvulopathies

Publié le 01 jan 2017Lecture 5 min

Sténose mitrale induite par le benfluorex ou rhumatismale ?

P.-V. ENNEZAT*, D. CZITROM**, F. LE VEN***, S. MARÉCHAUX**** *CHU Grenoble ; **Institut Mutualiste Montsouris Paris ; ***CHU Brest ; ****GHICL, Lille

Le rhumatisme articulaire aigu (RAA) était la première cause de valvulopathies dans les années 50. Déclinant après-guerre, le RAA devient beaucoup moins fréquent, tandis qu’émergent des valvulopathies secondaires à la commercialisation massive des anorexigènes. Le croisement étiologique entre cause rhumatismale et cause toxique tardera à être identifié malgré l’essor de l’échocardiographie en raison d’une confusion historique assimilant, à tort dans certains cas, la sémiologie des valvulopathies médicamenteuses à celle des valvulopathies supposées rhumatismales.

Observations Madame A. 55 ans, née en Algérie, en France depuis l’âge de 8 ans, est exposée au benfluorex durant 5 ans. Une dyspnée d’effort progressive depuis 3 ans révèle une valvulopathie mitroaortique étiquetée « rhumatismale » sur la notion d’angines à répétition sans RAA avéré. L’échocardiographie objective une valvulopathie aortique restrictive fuyante et sténosante ainsi qu’un rétrécissement mitral (RM) moyennement serré avec fusion bicommissurale, rétraction de l’appareil sous-valvulaire et insuffisance mitrale (IM) modérée (figure 1 A à D). On note une insuffisance tricuspide (IT) moyenne par défaut de coaptation des feuillets discrètement épaissis. Un double remplacement par bioprothèses avec annuloplastie tricuspide est réalisé. Le diagnostic de sortie fait état d’un RAA. C’est l’examen anatomopathologique (figure 1 E) qui, révélant une fibrose endocardique dépourvue de toute trace inflammatoire, confirme la valvulopathie médicamenteuse. Les suites sont marquées par une insuffisance rénale chronique et une insuffisance cardiaque droite réfractaire. Figure 1. Examen échocardiographique (A à D) : RM serré (planimétrie 1,5 cm2) avec fusion bicommissurale, IM restrictive et IA restrictive. Anatomopathologie de la valve mitrale (E) : endocarde épaissi, fibreux, peu cellulaire sur le versant auriculaire gauche respectant l’architecture valvulaire (fibrosa et spongiosa bien individualisées). Il n’existe ni néovaisseaux, ni calcification. (Courtoisie Dr Validire, Institut Mutualiste Montsouris, Paris). Monsieur B. né en France en 1953 présente un souffle cardiaque connu depuis 1965 suite à un RAA survenu à l’âge de 12 ans traité par antibiotiques et alitement pendant 3 mois. Les signes fonctionnels modestes jusqu’en 2011 s’aggravent avec une dyspnée révélant une FA et la majoration d’une sténose mitrale. Il est finalement hospitalisé pour un œdème aigu du poumon en 2013. L’échocardiographie (figure 2 A à D) montre une valve mitrale calcifiée avec fusions bicommissurales, un raccourcissement de l’appareil sousvalvulaire, un RM serré (0,9 cm2) et une IM grade 1. Une prothèse mitrale mécanique est mise en place. L’examen anatomopathologique révèle une fibrose calcifiée délabrante avec infiltration inflammatoire et néovascularisation (figure 2 E et F). Figure 2. Échographies transthoracique et transœsophagienne (A à D) illustrant le RM très calcifié avec IM minime. Anatomopathologie de la valve mitrale. (Courtoisie Dr Quintin-Roué, CHU de Brest). E : Foyer associant des lésions de fibrose avec hyperplasie vasculaire, oedème et infiltrat inflammatoire lymphoplasmocytaire avec désorganisation de l’architecture valvulaire. F : Coloration bleu alcian confirmant les remaniements œdémateux. Discussion La conclusion diagnostique de valvulopathie rhumatismale à propos de Mme A. est « classique » mais mérite d’être critiquée avant même de disposer de l’anatomopathologie. Le RAA invoqué sur la notion supposée équivalente d’angines à répétition n’est pas acquis à propos d’une valvulopathie restrictive révélée après la cinquantaine chez une personne préalablement exposée à une substance valvulotoxique. Au déclin rapide après-guerre du RAA dans les pays industrialisés grâce à l’antibiothérapie, coïncide l’émergence de valvulopathies « rhumatismale-like » liées notamment à la commercialisation des dérivés de la fenfluramine (Pondéral®) à partir des années 60, entre 1976 et 2009 (benfluorex, Médiator®) et entre 1985 et 1997 (dexfenfluramine Isoméride®). Ces molécules ont comme métabolite valvulotoxique commun la norfenfluramine. De longues années s’écouleront avant que la commercialisation des anorexigènes ne soit en partie interrompue en 1997 suite à la découverte de leur valvulotoxicité à la Mayo Clinic. Le Médiator restera commercialisé jusqu’en 2009 et sera consommé par environ 5 millions de personnes en France, générant plusieurs dizaines de milliers de valvulopathies quasi systématiquement confondues avec des valvulopathies rhumatismales ou parfois étiquetées restrictives inexpliquées ou dégénératives(1). En l’absence d’antécédent documenté de RAA (polyarthrite aiguë fugace et mobile, cardite, chorée, nodules sous-cutanés etc.), un aspect échographique dit « rhumatismal » ne permet pas de conclure qu’il s’agirait des conséquences d’un RAA totalement asymptomatique jusqu’à la soixantaine, situation très rare dans un pays d’endémie fortement décroissante (incidence au Danemark dans les années 60 : 1,6/100 000). La probabilité qu’un patient présentant une valvulopathie et ayant pris du benfluorex ait aussi eu un RAA pourvoyeur de valvulopathie antérieurement est très faible et tend à devenir négligeable chez les patients nés après 1955(2). Il faut souligner que pour notre patiente A née en Algérie, pays encore endémique pour le RAA dans les campagnes, la probabilité intuitive de valvulopathie rhumatismale approche souvent 100 % ! De façon similaire, Malergue et coll.(3) ont rapporté une insuffisance mitrale restrictive dynamique et malheureusement fatale (similaire aux IM à éclipse)(4) chez un patient né en Nouvelle-Calédonie exposé au benfluorex et sans antécédent clinique de RAA ; l’anatomopathologie a permis de retenir exclusivement l’étiologie toxique. Dans les cas rares où l’antécédent de RAA est documenté avec cardite aiguë, surveillance cardiaque ultérieure, grossesse compliquée, etc., chez une personne exposée aussi à un anorexigène, il conviendra d’analyser avec précision la part respective qui revient aux séquelles du RAA et à la valvulotoxicité du benfluorex. Les cas cliniques ci-dessus démontrent que les valvulopathies médicamenteuses partagent avec les valvulopathies rhumatismales « vieillies » de nombreuses similitudes sémiologiques, y compris la possibilité d’observer une sténose mitrale par fusions commissurales, jusqu’ici considérée comme l’apanage exclusif du RAA(5). En pratique On a longtemps déduit implicitement l’étiologie « rhumatismale » pour qualifier des valvulopathies sur leur seul aspect morphologique, notamment à partir d’une sémiologie échographique supposée spécifique du RAA : feuillets valvulaires épaissis, restriction des mouvements, raccourcissement de l’appareil sous-valvulaire, fusion des cordages, atteinte multivalvulaire, présence de fusions commissurales et sténoses associées, calcifications(5-7). Il en a été de même après chirurgie de remplacement valvulaire pour les aspects macroscopiques en négligeant souvent l’anatomopathologie des valves(8). On devrait parler de valvulopathie restrictive et selon les antécédents documentés retenir une étiologie toxique ou médicamenteuse (méthysergide, fenfluramine, pergolide, métamphétamine, ecstasy), rhumatismale avérée, post-radique (très souvent calcifiée) ou conclure à une valvulopathie inexpliquée. L’étiquette « rhumatismale » systématiquement accolée à ces aspects échographiques est un obstacle à la recherche et la reconnaissance d’une autre cause. 

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