Publié le 01 juin 2018Lecture 5 min
De la thrombose coronaire à la bithérapie antiplaquettaire
Guillaume CAYLA, Nîmes
Cette table ronde présidée par Guillaume Cayla et Denis Angoulvant a fait un point clinique sur l’importance de la durée problématique de la bithérapie (Florence Leclercq) et un point plus fondamental sur le rôle de l’adénosine (Denis Angoulvant).
Bithérapie : quelle durée ?
La double antiagrégation plaquettaire fait désormais partie intégrante du traitement du patient coronarien après angioplastie ou syndrome coronarien aigu (SCA).
La question de sa durée fait encore l’objet de polémiques et on a pu constater depuis quelques années des modifications successives des recommandations, rendant parfois difficile la décision thérapeutique du médecin face à un patient donné.
En 2011 et en 2013 les choses semblaient pourtant simples : après les résultats des études CURE, PLATO et TRITON, les recommandations européennes concernant les SCA préconisaient une durée de bithérapie de 12 mois (grade 1, niveau de preuve A) et décourageaient l’arrêt prématuré ou la prolongation au-delà de cette période. Pour la maladie coronarienne stable la durée préconisée était de 1 mois après stent nu et entre 6 et 12 mois après stent actif de nouvelle génération.
Les recommandations 2014 sur la revascularisation coronaire ouvrent pour la première fois la porte à des durées de traitement plus courtes en cas de risque hémorragique élevé et plus longues en cas de risque ischémique élevé, ce dernier étant cependant assez mal défini. Entre 2012 et 2014 on voit en en effet apparaître des publications montrant la sécurité des durées de DAPT courtes en termes d’événements coronariens ou de thrombose de stent. L’arrivée des stents actifs de nouvelle génération et l’utilisation de protocoles d’antiagrégation plaquettaire puissants ont permis en effet de réduire de façon très importante les thromboses aiguës de stent, qui deviennent même moins fréquentes qu’après stent nu, alors que dans le même temps il apparaissait que les thromboses subaiguës ou tardives ne sont que très rarement liées au traitement antiagrégant plaquettaire. Avec la généralisation des stents actifs de nouvelle génération, le type de stent n’est donc plus un critère qui intervient dans le choix de la durée de la DAPT. Inversement des durées prolongées de DAPT au-delà de 12 mois semblent bénéfiques en prévention secondaire et deux études majeures publiées en 2014 (étude DAPT) et 2015 (étude PEGASUS) dans le NEJM vont dans ce sens. L’étude DAPT est la première qui montre sur une série de près de 10 000 patients, qu’une bithérapie par aspirine clopidogrel ou aspirine prasugrel poursuivie jusqu’à 30 mois après angioplastie peut être bénéfique sur des critères ischémiques (infarctus, en particulier chez les patents à plus haut risque ischémique (notamment en cas d’antécédents d’infarctus, de post-SCA, de diabète, d’artériopathie des membres inférieurs ou encore stents actifs d’ancienne génération). L’étude PEGASUS montre, elle, que dans une série de plus de 21 000 patients avec antécédents d’infarctus dans les 1 à 3 ans et un autre un facteur de risque cardiovasculaire (âge > 65 ans, diabète, deuxième infarctus, insuffisance rénale), le ticagrelor à la dose de 90 mg ou 60 mg x 2 par jour en plus de l’aspirine apporte un bénéfice en termes d’événements (décès cardiovasculaires, infarctus, AVC). Dans ces deux études le risque hémorragique. est augmenté (hémorragies majeures et mineures mais sans augmentation des hémorragies fatales ni des hémorragies intracrâniennes).
Un nouveau concept apparaît donc qui est celui de la durée minimale de la DAPT (pour le stent) qui est de 1 mois après stent actif de nouvelle génération, et celui de la DAPT optimale (pour le patient) qui dépend de la situation clinique : 6 mois dans la maladie coronaire stable, 12 mois après SCA, plus de 12 mois pour le patient à haut risque de récidive ischémique et à risque hémorragique considéré comme faible.
Ce concept a été repris dans les recommandations 2017 sur la DAPT, les premières dans ce domaine, ce qui montre l’importance de la problématique. Le patient à haut risque ischémique et qui pourrait donc potentiellement bénéficier d’une DAPT prolongée pourrait ainsi être défini en se référant aux critères DAPT et PEGASUS : sujet plutôt jeune à risque hémorragique faible, diabétique, polyvasculaire, antécédents de pontage coronaire, insuffisance rénale, dysfonction ventriculaire gauche, petites artères, stents actifs d’ancienne génération et bien sûr sujet sans indication d’anticoagulation au long cours. Certains scores ont été développés pour essayer d’aider à la stratégie thérapeutique (score DAPT notamment), mais il apparaît bien sûr qu’une évaluation individuelle du traitement régulièrement réactualisée est nécessaire. L’avenir nous dira la place d’autres stratégies telles que celle de la bithérapie courte (1 mois) suivie d’une monothérapie inhibiteur du P2Y12 (ticagrelor) évaluée dans l’étude en cours Global leaders et celle des anticoagulants de nouvelle génération qui ont montré un bénéfice chez le patient à haut risque vasculaire dans l’étude COMPASS (rivaroxaban à faible dose et aspirine).
Adénosine : le lien manquant des antiagrégants plaquettaires
Depuis plus de 20 ans, les inhibiteurs du récepteur P2Y12 se sont imposés dans la stratégie thérapeutique antiagrégante chez les patients coronariens. Les cliniciens ont successivement prescrit la ticlopidine puis le clopidogrel et plus récemment le prasugrel et le ticagrelor. L’inhibition de P2Y12 par ces molécules réduit l’agrégation plaquettaire induite par la fixation de l’ADP sur ce récepteur. L’ADP extracellulaire provient de la dégradation de l’ATP qui est notamment relargué en situation de lésion vasculaire par exemple. L’adénosine qui provient, elle, de la dégradation de l’ADP est susceptible d’influencer également l’agrégation plaquettaire en se fixant sur ses récepteurs membranaires spécifiques appelés récepteurs AR (notamment AR2A sur les plaquettes). L’adénosine possède également des propriétés vasodilatatrices et anti-inflammatoires qui n’ont cependant jamais montré de bénéfice clinique significatif dans les essais thérapeutiques. La fixation de l’adénosine sur ces récepteurs entraîne une inhibition de l’agrégation plaquettaire via la stimulation de l’adénylate cyclase à l’origine de la synthèse intracellulaire d’AMP cyclique. Il existe donc à l’état stable un équilibre entre stimulation proagrégante liée à la signalisation ADP-P2Y12 et antiagrégante liées à la signalisation adénosine-AR2A.
Le ticagrelor, outre l’inhibition réversible de P2Y12, possède également la capacité d’inhiber la capture de l’adénosine extracellulaire par les globules rouges ce qui entraîne une augmentation de la concentration d’adénosine et donc une activation de la signalisation adénosine-AR2A (phénomène déjà connu avec le dipyridamole). Ce mécanisme additionnel spécifique du ticagrelor est une des explications possibles au bénéfice clinique observé avec cette molécule sur la morbi-mortalité chez les patients en post-infarctus du myocarde. C’est également une des causes évoquées pour expliquer les cas de dyspnée sous ticagrelor même si ce mécanisme reste controversé car les dyspnées n’étaient pas observées sous dipyridamole et sont par contre observées avec les autres inhibiteurs réversibles de P2Y12 (cangrelor et élinogrel) qui n’ont pas d’effet sur le taux d’adénosine extracellulaire.
D’après un symposium au Printemps de la Cardiologie, avec le soutien des laboratoires AstraZeneca
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