Congrès et symposiums
Publié le 01 nov 2018Lecture 5 min
Prise en charge du risque thrombotique dans l’insuffisance cardiaque
L’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite (ICFEr) est l’aboutissement de nombreuses maladies cardiovasculaires, en particulier les cardiopathies ischémiques, responsables dans près des deux tiers des cas. Elle s’associe à une augmentation des événements thrombotiques. La prise en charge de ce risque par le traitement antithrombotique est recommandée en fonction de la pathologie associée à l’insuffisance cardiaque : antiagrégant plaquettaire (AAP) en cas de maladie coronarienne, anticoagulant en cas de fibrillation atriale (FA). Le pronostic de l’insuffisance cardiaque est aggravé lorsque s’y associe une maladie coronarienne, avec un surcroît de morbi-mortalité de 15 % et de 82 % comparativement à la maladie coronarienne isolée.
Les premiers essais ayant évalué une stratégie de traitement antithrombotique chez des patients insuffisants cardiaques en rythme sinusal (WASH, WATCH et WARCEF) n’avaient pas montré de bénéfice du traitement anticoagulant par AVK comparativement à l’aspirine. Toutefois, la thrombine semble impliquée dans la progression de l’insuffisance cardiaque par le biais de la dysfonction endothéliale et de l’inflammation qu’elle induit. Nous disposons aujourd’hui de nouveaux anticoagulants plus sûrs que les AVK, dont le mécanisme d’action cible spécifiquement la thrombine, notamment le rivaroxaban. Aux doses de 10 et 20 mg/j, le rivaroxaban est indiqué dans la prévention et le traitement des thromboembolies veineuses, et en prévention des AVC et embolies périphériques associés à la FA.
L’étude ATLAS ACS TIMI 51 a montré que le rivaroxaban à la dose de 2,5 mg x 2/j réduit les événements cardiovasculaires majeurs (ECVM) et la mortalité cardiovasculaire comparativement au placebo après un syndrome coronarien aigu (SCA). Plus récemment, l’étude COMPASS a validé l’association rivaroxaban 2,5 mg x 2/j + aspirine en prévention secondaire chez les patients à haut risque. Enfin, une récente analyse de l’étude ATLAS montre que les patients ayant un antécédent d’IC tirent davantage de bénéfice du traitement antithrombotique que ceux qui sont indemnes d’IC, ce qui supporte l’hypothèse thrombinique.
Les enseignements de COMMANDER-HF
L’hypothèse que l’IC serait associée à l’activation des voies impliquées dans la thrombine était en outre confortée par une analyse de sous-groupe de l’étude COMPASS, où plus de 5 000 patients (22 %) porteurs d’une IC chronique ont bénéficié d’une réduction significative du risque d’ECVM sous traitement par rivaroxaban + aspirine de 32 %, avec même moins de risque d’hémorragie que les patients sans IC.
L’étude COMMANDER-HF s’inscrit dans ce contexte. Cette étude randomisée en double insu a inclus plus de 5 000 patients coronariens ayant une ICFEr (FE ≤ 40 %) au décours d’un épisode récent (< 21 jours) de décompensation aigu confirmé par l’augmentation du BNP ou du NT-proBNP. Les patients ont été randomisés en deux bras : rivaroxaban 2,5 mg x 2 /j ou placebo, et suivis pendant une durée médiane de 21,1 mois. Les trois quarts des patients avaient un antécédent d’IDM, 40 % étaient diabétiques, 75 % hypertendus. Tous recevaient un traitement optimal pour l’insuffisance cardiaque (IEC/ARA II, bêtabloquant, ARM) et la maladie coronaire (aspirine seule ou bithérapie antiplaquettaire pour 36,2 % des patients).
Les résultats de l’essai ne montrent pas de bénéfice supplémentaire du traitement par rivaroxaban sur le critère primaire d’efficacité (mortalité toutes causes, IDM ou AVC), ni sur la mortalité cardiovasculaire ou les réhospitalisations pour IC. Les taux d’événements sont principalement tirés par la mortalité toutes causes et les morts subites, en relation avec une défaillance de la pompe cardiaque et non avec des événements thrombotiques. On note cependant une réduction des AVC dans le groupe rivaroxaban et une absence d’excès d’événements hémorragiques fatals. L’étude permet donc de conclure qu’à un stade avancé d’insuffisance cardiaque, l’ajout de rivaroxaban n’améliore pas le pronostic des patients coronariens ayant présenté un épisode aigu de décompensation d’IC.
Les résultats contrastés de COMPASS et COMMANDER-HF appellent quelques remarques. En particulier, il s’agit de deux populations très différentes : dans la première, le pronostic était dominé par les complications ischémiques et, chez les patients ayant un antécédent d’IC chronique, aucun n’avait été hospitalisé pour une décompensation ni n’avait une FE basse ; dans la population de COMMANDER-HF, le pronostic est lié à la défaillance myocardique avec un risque de mortalité 4 fois plus élevé comparativement à l’IC chronique dont la prise en charge actuelle a considérablement amélioré la morbi-mortalité. En témoigne la comparaison des taux d’événements entre les deux études : le rivaroxaban réduit tous les items du critère principal d’évaluation dans COMPASS, alors que le taux de mortalité toutes causes est 10 fois plus élevé dans l’étude COMMANDER-HF et le rivaroxaban montre toujours un bénéfice sur le risque ischémique.
Quelles perspectives dans l’insuffisance cardiaque ?
L’insuffisance cardiaque est directement corrélée avec les comorbidités. Ces dernières peuvent interférer avec son phénotype, elles compliquent le diagnostic, altèrent la qualité de vie, augmentent le risque d’hospitalisation et la mortalité. Les principales comorbidités sont le diabète et l’insuffisance rénale. La néphropathie diabétique est devenue la cause la plus fréquente d’insuffisance rénale terminale dans les pays développés, avec un risque de mortalité 3 fois plus élevé comparativement au diabète sans complication rénale qui lui-même entraîne une augmentation de la mortalité toutes causes et cardiovasculaire. Les résultats des essais de sécurité cardiovasculaire des inhibiteurs de SGLT2 qui ont montré une réduction de 35 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et des critères rénaux chez les patients diabétiques de type 2 ont ouvert des perspectives. Une autre piste thérapeutique dans la néphropathie pourrait être la finérénone, un antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes de 3e génération, plus sélectif, qui fait l’objet d’un programme d’étude de phase III (études FIDELIO-DKD et FIGARO-DKD) chez des patients DT2 avec néphropathie diabétique sans IC symptomatique.
De nombreux autres essais sont en cours dans l’insuffisance cardiaque avec des résultats attendus dans la prochaine décennie : DAPA-HF avec la dapagliflozine, EMPEROR-Reduces avec l’empagliflozine, VICTORIA avec le verciguat, un activateur de la guanylate cyclase soluble SOLOIST-WHF avec la sotagliflozine et GALACTIC-HF avec l’omecamtiv mecarbil. L’amélioration du pronostic dans l’insuffisance cardiaque viendra d’une meilleure compréhension de son déterminisme et de ses interactions avec les comorbidités, notamment rénales. Un nouveau pas sera sans doute franchi avec l’arrivée de nouvelles thérapeutiques.
D’après F. Zannad, J. Cleland, D. Van Veldhuisen, M. Cowie et B. Pieske
Symposium Bayer ESC Munich 2018
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