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Insuffisance cardiaque

Publié le 16 sep 2012Lecture 8 min

L’épreuve d’effort avec mesure des échanges gazeux : un outil essentiel dans l’insuffisance cardiaque

J. JAUSSAUD, H. DOUARD, Service de cardiologie médicale et des épreuves d’effort, CHU de Bordeaux

Si l’insuffisance cardiaque (IC) demeure un véritable problème de santé publique, son pronostic reste sombre malgré l’amélioration considérable des traitements médicamenteux, électriques et mécaniques. L’intérêt de l’épreuve d’effort avec mesure des échanges gazeux est reconnu depuis de nombreuses années dans l’évaluation pronostique de cette pathologie ; elle permet également le suivi des patients ayant bénéficié d’une resynchronisation biventriculaire, la distinction d’une dyspnée d’origine pulmonaire, périphérique ou cardiaque, la sélection à la transplantation, le suivi après réadaptation. Nous développerons successivement les modalités d’interprétation ainsi que les champs d’application de cet examen fondamental.

Intérêt pronostique de l’épreuve d’effort avec mesure des échanges gazeux : vers une approche multiparamétrique • Le pic de consommation d’oxygène est le paramètre le plus étudié et le plus connu (VO2 en ml/kg/min) mais cet indice présente de nombreuses limites à son interprétation (insuffisance respiratoire, obésité, capacité d’effort, anémie, etc.). La valeur cut-off de 14 ml/kg/min démontrée par Mancini en 1991(1) dans la sélection des patients pour une transplantation cardiaque avait été développée avant l’introduction des bêtabloquants dans le traitement usuel de la pathologie. Or, il n’est pas sans rappeler l’équation de Fick qui caractérise la consommation d’oxygène au pic de l’exercice : VO2 = Fc x VES x DAV O2 Dans cette équation la fréquence cardiaque, notamment, est clairement influencée par les bêtabloquants. Il a ainsi été démontré par Zugck en 2002(2) qu’un pic de VO2 < 14 ml/kg/min sous bêtabloquant était équivalent, en termes de pronostic, à un pic de VO2 > 14 ml/kg/min en l’absence de traitement ! Il apparaît donc qu’une valeur < 10-12 ml/kg/min serait plus pertinente, notamment dans la sélection des patients à une transplantation cardiaque. Si ce paramètre reste néanmoins fondamental dans l’évaluation des capacités oxydatives des patients, il est préférable de l’analyser en termes de pourcentage de la valeur théorique mesurée en début d’examen (valeur cut-off de 30 %) mais aussi en mesurant le temps nécessaire à la diminution de 50 % du pic de VO2 (valeur cut-off 180 secondes). Cet indice est indépendant du niveau d’exercice, à la différence du pic de VO2, et représente le temps pour la reconstitution de la dette en oxygène. Il s’allonge ainsi de manière proportionnelle à la sévérité de l’insuffisance cardiaque. • La mesure du premier seuil ventilatoire (SV1) est indispensable dans l’analyse des capacités oxydatives des patients. Ce seuil correspond à l’apparition d’un métabolisme aéro-anaérobie compensé en rapport avec une consommation progressivement croissante de glucose (glycolyse) au dépens des acides gras libres induisant la synthèse de pyruvate puis de lactates et ainsi de dioxyde de carbone. Le SV1 correspond à l’augmentation de la pente de VE/VO2 durant l’effort (méthode de Wasserman) (figure 1). D’apparition précoce, il témoigne soit d’une insuffisance circulatoire, soit d’un déconditionnement sévère. C’est généralement à ce niveau d’exercice que sont réadaptés les patients IC et coronariens.   Figure 1. Modalité de mesure du SV1 selon Wasserman. • L’étude de l’adaptation circulatoire à l’exercice apparaît d’ailleurs fondamentale durant une épreuve d’effort. Le paramètre le plus simple reste la pression artérielle systolique (PAS) au pic de l’exercice. Pour une valeur < 120 mmHg, le pronostic est péjoratif d’autant que le pic de VO2 est < 14 ml/kg/min d’après Osada(3). Cette étude introduisait d’ailleurs l’importance d’une approche multiparamétrique dans l’évaluation fonctionnelle de ces patients, incluant une analyse des capacités oxydatives et circulatoires. Cette approche a été reprise plus récemment par Cohen-Solal avec la mesure de la puissance circulatoire (produit de la VO2 et de la TAS au pic de l’effort)(5). • L’étude de la réponse ventilatoire par la pente de VE (ventilation minute)/VCO2 (production de dioxyde de carbone) a été plus récemment soulignée dans l’insuffisance cardiaque. Cette pente est naturellement augmentée dans les pathologies respiratoires mais aussi dans l’insuffisance cardiaque. Le rapport VE/VCO2 mesuré à l’effort selon une pente de régression linéaire (en utilisant tous les points du début jusqu’au pic de l’effort), ou bien par une valeur ponctuelle au pic ou par la valeur la plus basse au cours de l’exercice est d’autant plus élevé que l’insuffisance cardiaque est sévère, témoignant d’une hyperventilation dite exagérée (figure 2). Ce paramètre apparaît d’ailleurs prédictif de la morbi-mortalité des IC avec une valeur cut-off de 35. Il s’agit d’un indice robuste, reproductible (moins de 5 % de variabilité inter-examen), non influencé par le niveau d’exercice ni par le traitement bêtabloquant. La physiopathologie d’une telle hyperventilation à l’effort reste cependant incertaine. L’ « hypothèse musculaire » développée par Piepoli apparaît cependant comme une explication possible(5). Les modifications musculaires périphériques avec l’apparition de fibres musculaires de type 2 aux dépens de fibres de type 1 induirait un métabolisme anaérobie plus précoce à l’effort, la stimulation de métaborécepteurs (afférences nerveuses musculaires) stimulant la ventilation. Néanmoins, les anomalies fonctionnelles respiratoires (réduction de la capacité pulmonaire totale, chute du VEMs, réduction des capacités de diffusion du CO, augmentation de l’espace mort, hyperinflation dynamique pulmonaire), l’hyperactivation sympathique, l’hyperactivation chémoréflexe sont d’autres explications à cette hyperventilation exagérée au cours de l’effort chez l’IC.   Figure 2. Modalité de mesure de la pente de régression linéaire de VE (ordonné)/VCO2 (abscisse). • Si la VO2 au pic de l’effort est > 18 ml/kg/min ou > 50 % de la valeur théorique, le pronostic de l’IC est généralement favorable et une réévaluation à 1 an est proposée. • À l’inverse, si la VO2 est < 10 ml/kg/min ou < 30 %, le pronostic est généralement défavorable et une transplantation cardiaque serait alors à discuter, et ce d’autant que la pente de VE/VCO2 est > 43, si l’ensemble des thérapies médicamenteuses et électriques ont déjà été envisagées. • Entre 10 et 18 ml/kg/min, il existe une zone grise pronostique pour laquelle il est indispensable d’utiliser les paramètres précités. Ainsi, une TAS au pic < 120 mmHg, une puissance circulatoire < 2 000 ml/kg/min.mmHg, une VE/VCO2 > 43, et un temps de demi-décroissance de la VO2 en récupération > 180 s sont autant d’arguments pour optimiser le traitement, voire envisager une transplantation cardiaque !   Les oscillations respiratoires et les apnées chez l’IC Un autre paramètre pronostique est fondamental dans l’insuffisance cardiaque : les oscillations respiratoires. Les oscillations respiratoires périodiques représentent le niveau le plus sévère des anomalies ventilatoires chez l’IC. Elles s’apparentent à une dyspnée de Cheyne-Stokes et sont souvent associées aux apnées centrales du sommeil. Elles peuvent être présentes tant au repos, qu’à l’effort, voire en récupération. Le diagnostic d’oscillations respiratoires est basé sur la présence fréquente (≥ 3 cycles), régulière (variation du cycle < 20 %) et ample (> 5 l/min) d’oscillations de la VE au cours de l’effort, selon Leite (figure 3)(6). Les oscillations respiratoires périodiques au cours de l’effort ou durant la nuit seraient de très mauvais pronostic et associées à une incidence plus marquée de mort subite. L’hypoxémie induite par les anomalies du rapport ventilation/perfusion, la restriction pulmonaire et le subœdème pulmonaire seraient responsables d’une hyperventilation conduisant le patient en dessous du seuil apnéique induisant une apnée. La capnie remonte durant celle-ci, mais l’augmentation du temps de circulation conduit à un retard de transmission de cette information aux chémorécepteurs centraux, induisant une nouvelle hyperventilation et ainsi une ventilation oscillante. L’existence d’oscillations ventilatoires au repos ou bien à l’effort devrait faire systématiquement rechercher des apnées nocturnes, dont l’existence aggrave le pronostic des patients IC.   Figure 3. Oscillations respiratoires selon Leite. La réponse à la resynchronisation biventriculaire L’épreuve d’effort avec mesure des échanges gazeux permet aussi d’objectiver l’amélioration des capacités fonctionnelles après resynchronisation biventriculaire. Ainsi, il est reconnu une amélioration du pic de VO2 d’environ 3 ml/kg/min 3 mois après implantation, associée à une augmentation significative de la durée maximale de l’exercice et à un recul du premier seuil ventilatoire. De plus, la VE/VCO2 tend à diminuer, témoignant d’une diminution de l’hyperventilation à l’exercice. Celle-ci serait liée à une amélioration fonctionnelle respiratoire ainsi qu’à une diminution de l’hyperactivation des métaborécepteurs au cours de l’effort. Enfin, concernant la réponse circulatoire, la resynchronisation permet une augmentation de la puissance circulatoire au pic. Néanmoins, il est reconnu l’absence de réponse fonctionnelle à cette thérapie chez environ 20 à 30 % des patients. La réalisation d’une épreuve d’effort avec mesure des échanges gazeux est alors fondamentale. Elle permet non seulement de confirmer l’absence d’amélioration des capacités fonctionnelles mais aussi de s’assurer que la stimulation biventriculaire est alors bien effective au cours de l’effort. Un raccourcissement d’un délai auriculo-ventriculaire programmé trop long permet alors de s’assurer d’une stimulation biventriculaire durant les efforts quotidiens. De même, le réglage d’un asservissement optimal chez les patients dépendants peut être réalisé après une épreuve d’effort (généralement sur tapis). Enfin, la persistance d’une symptomatologie respiratoire après implantation n’est pas nécessairement liée à l’IC. Une altération sévère de la réserve ventilatoire (< 30 %) au pic de l’exercice accompagnée d’une hypoxémie, voire d’une anomalie spirométrique réalisée préalablement à toute épreuve d’effort permet de différencier une dyspnée « cardiogénique » d’une dyspnée « pulmonaire », et ce d’autant que les capacités oxydatives et hémodynamiques semblent améliorées après resynchronisation. Enfin, il est désormais reconnu que le bénéfice complémentaire de la réadaptation cardiaque après implantation, permet une amélioration significative des capacités oxydatives supplémentaire. L’épreuve d’effort avec mesure des échanges gazeux permet alors la prescription optimisée du niveau d’exercice après resynchronisation ainsi que le suivi après réadaptation. L’absence d’amélioration ou l’aggravation des paramètres hémodynamiques, oxydatifs et ventilatoires permet alors une orientation rapide vers une solution de transplantation cardiaque ou d’assistance mécanique.   En pratique   La mesure des échanges gazeux au cours d’une épreuve d’effort permet ainsi la stratification du risque chez l’IC, mais également le suivi après optimisation thérapeutique. Les paramètres mesurés sont sensibles, reproductibles et validés en pratique quotidienne afin d’objectiver les capacités fonctionnelles, oxydatives, hémodynamiques et ventilatoires des patients et possédant une forte valeur prédictive des événements de morbi-mortalité dans cette population à haut risque. "Cardiologie Pratique : publication avancée en ligne."

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