Publié le 23 oct 2012Lecture 9 min
Insuffisance cardiaque : conduite du traitement en pratique
Un entretien avec A. COHEN-SOLAL, hôpital Lariboisière, Paris
Entretien
Quoi de neuf dans les dernières recommandations dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque(1) ?
Le traitement de base reste fondé sur les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), ou un ARA II en cas de contre-indication ou d’intolérance aux IEC, et un
bêtabloquant (BB).
La première modification significative concerne la classe des antagonistes de récepteurs minéralocorticoïdes (ARM) qui, jusqu’à présent, était réservée aux patients insuffisants cardiaques stables en classe III ou IV de la NYHA, sur la base des résultats de l’étude RALES(2). Les résultats de l’étude EMPHASIS-HF(3) ayant évalué l’éplérénone versus placebo dans une population d’insuffisants cardiaques souffrant de dysfonction systolique mais moins sévèrement atteints (classe II) justifient l’introduction précoce de l’éplérénone dans la stratégie thérapeutique de l’insuffisance cardiaque. Cette étude a retrouvé un bénéfice remarquable sur la morbi-mortalité, du même ordre que le bénéfice observé avec la spironolactone chez des patients insuffisants cardiaques plus sévères, et d’autant plus remarquable que les patients inclus dans EMPHASIS-HF étaient traités de manière optimale à la base, par IEC, BB et défibrillateur si besoin.
De ce fait, les ARM font aujourd’hui partie du traitement de base en association aux IEC et BB, chez les malades insuffisants cardiaques en classes II, III et IV, ce qui signifie qu’en pratique, seuls les patients totalement asymptomatiques ne devraient pas en bénéficier.
En conséquence, les ARA II en association aux IEC n’ont plus aucune place dans cet algorithme de traitement, d’autant que cette association est contre-indiquée en France.
Une autre modification concerne l’introduction de l’ivabradine dans la stratégie thérapeutique chez les patients avec FEVG < 35 % dont la fréquence cardiaque reste > 70 bpm et en complément des traitements IEC, bêtabloquant et ARM. Cette indication est basée sur les résultats de l’étude SHIFT(4) qui a montré un bénéfice en morbimortalité, de moindre ampleur cependant que celui observé dans l’étude EMPHASIS-HF. À noter que dans l’AMM française, le traitement par ivabradine est indiqué à partir d’une FC > 75 bpm et non 70 bpm pour réduire la mortalité totale.
Les recommandations concernant les dispositifs implantables (resynchronisation, défibrillateur) ont été homogénéisées car il existait une divergence selon l’origine ischémique ou non de l’insuffisance cardiaque. Le défibrillateur est recommandé en prévention primaire de la mort subite chez les patients insuffisants cardiaques symptomatiques (classes II-III) à FEVG ≤ 35 %, malgré un traitement médical bien conduit. Concernant la resynchronisation, la largeur du QRS a été fixée à ≥ 130 ms en cas de bloc de branche gauche (BBG) et ≥ 150 ms en l’absence de BBG.
L’accent a été mis sur l’hygiène de vie, la prise en charge ambulatoire, l’activité physique et la réadaptation.
Et dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée ?
Cette affection mal caractérisée, de pronostic réservé, atteint plus particulièrement les sujets âgés, plus volontiers de manière paroxystique que chronique. Le traitement de base doit être fondé sur celui de la pathologie causale (hypertension artérielle, diabète, insuffisance rénale, maladie coronaire, facteurs déclenchants).
Deux essais présentés au dernier congrès de la Société européenne de cardiologie ouvrent des perspectives intéressantes : l’étude PARAMOUNT qui a testé un nouvel agent associant un inhibiteur de la néprilysine (endopeptidase neutre) au valsartan versus valsartan seul et montré une diminution significative du NT-proBNP allant de pair avec une diminution du rapport E/E’, témoignant d’une amélioration des pressions de remplissage ; dans l’étude ALDO-HF, réalisée chez 400 patients, qui a comparé spironolactone versus placebo, sous ARM, on a observé une diminution du BNP, une amélioration du profil mitral, une diminution de la taille de l’oreillette et un effet bénéfique sur le remodelage, mais aucun effet sur la tolérance à l’effort.
L’évaluation d’un ARM dans cette indication est justifiée par la fibrose et le remodelage observés fréquemment dans l’insuffisance cardiaque à FE préservée, sur lesquels le blocage de l’aldostérone est bénéfique. Les résultats d’une étude réalisée sous l’égide du NIH, TOPCAT, qui évalue un ARM versus placebo sur le critère de mortalité devraient apporter des informations quant au bénéfice de cette classe thérapeutique dans cette indication.
Pour revenir sur le traitement de base de l’insuffisance cardiaque avec dysfonction systolique, faut-il hiérarchiser les thérapeutiques ?
En pratique, les trois traitements de base ne sont pas donnés d’emblée simultanément.
Si la maladie se révèle par une poussée, elle justifie en premier lieu la prescription d’un diurétique de l’anse. Dès que le patient va mieux, on réduit la posologie du diurétique pour introduire un IEC en augmentant progressivement la dose. Il faudrait théoriquement atteindre la dose maximale d’IEC avant d’introduire le BB ; en pratique, le BB est introduit après quelques jours et les doses d’IEC et de BB sont augmentées progressivement. C’est alors que l’on peut prescrire un ARM.
Si le malade, insuffisant cardiaque chronique peu ou pas symptomatique, est vu en ambulatoire, s’il est déjà traité par de faibles doses d’IEC et/ou de BB, il faut augmenter les doses et introduire un ARM très rapidement.
En cas d’insuffisance cardiaque post-infarctus, l’étude EPHESUS(5) a montré que l’administration d’éplérénone dans les 15 premiers jours se traduit par une diminution importante de la morbi-mortalité. Considérant que le processus de fibrose et de cicatrisation post-infarctus est extrêmement précoce, deux études ont été conçues, l’une internationale, l’autre française coordonnée par G. Montalescot, afin de tester les effets d’une administration très précoce d’un ARM.
Au total, les ARM ont aujourd’hui une large place dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. Il est recommandé de les administrer après les IEC, mais cet ordre d’administration est probablement lié à l’historique du développement des classes thérapeutiques dans l’insuffisance cardiaque. Toutefois, les recommandations ne préconisent pas d’atteindre les doses maximales tolérées d’IEC et de BB avant de les introduire et le moment précis de leur introduction fait encore l’objet de discussion. En outre, il faut tenir compte du problème du maniement pratique de cette classe thérapeutique qui nécessite une surveillance de la fonction rénale et de la kaliémie, surtout en cas de prétraitement par IEC. A contrario, un patient ayant une contre-indication aux IEC (hypotension symptomatique, sténose de l’artère rénale, pression artérielle très basse) représente une indication à l’introduction très précoce d’un ARM.
Comment conduire et surveiller le traitement par l’éplérénone ?
L’éplérénone est débutée à la dose de 25 mg/j, laquelle est titrée jusqu’à 50 mg/j au bout d’un mois. Le traitement ne doit pas être entrepris si la fonction rénale est très altérée (DFG < 30 ml/min) et/ou la kaliémie > 5 mmol/l. Si la créatininémie ou la kaliémie augmentent sous traitement (> 5,5 mmol/l), il faut diminuer la dose de moitié ou interrompre le traitement selon le cas ; si la kaliémie est > 6 mmol/l, le traitement doit être interrompu et la kaliémie vérifiée 72 heures plus tard.
L’arrêt du traitement par ARM ne doit pas être définitif. Le traitement peut être repris dès que la kaliémie est < 5 mmol/l. Ce traitement est si efficace qu’il faut s’efforcer de le réintroduire en essayant de comprendre les événements ayant conduit à l’augmentation de la kaliémie : erreur de traitement, augmentation trop rapide de la posologie, régime riche en potassium (bananes), circonstance aggravante (déshydratation), dégradation de la fonction cardiaque avec insuffisance rénale transitoire, cothérapie. Il faut si nécessaire adapter la dose d’IEC. Il en est du traitement ARM comme du traitement BB en cas de mauvaise tolérance : vérifier l’absence de cothérapie bradycardisante : introduction à distance d’une poussée, titration lente.
Dans le monde réel, la tolérance des ARM est effectivement moins bonne que dans les essais cliniques où les patients sont relativement jeunes, sans comorbidités. Cela ne signifie pas qu’il faut s’affranchir de la même opiniâtreté, d’autant que le traitement doit s’adapter à l’évolution de la maladie, qui est fluctuante. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de vérifier régulièrement l’ionogramme en particulier en fonction des circonstances favorisantes (fièvre, déshydratation, essoufflement, introduction d’un médicament susceptible d’interférer, tel un AINS) ou de faire un traitement guidé par le BNP. Le traitement de l’insuffisance cardiaque est loin de provoquer des effets indésirables aussi lourds que ceux des polychimiothérapies instituées pour un cancer ou un Sida. La dyskaliémie ne provoque pas de symptôme et la gynécomastie, effet secondaire consécutif à la prise de spironolactone qui apparaît chez environ 10 % des patients, n’est pas observée avec l’éplérénone dont la sélectivité pour les récepteurs minéralocorticoïdes est plus élevée.
Peut-on s’aider du BNP pour ajuster le traitement ?
Les relations entre le BNP et les traitements de l’insuffisance cardiaque sont encore mal définies. Lorsque le BNP est très augmenté, il faut augmenter les doses d’IEC, de BB et de diurétiques, mais l’ordre dans lequel le faire n’est pas établi, pas plus que la place des ARM dans ce contexte. Toutefois, il serait préférable d’augmenter l’éplérénone jusqu’à la dose recommandée de 50 mg/j, avant d’augmenter celle du diurétique, ce qui est fait systématiquement, car les ARM ont une meilleure efficacité à long terme.
En pratique, un patient très symptomatique ou ayant un BNP nettement augmenté devrait bénéficier d’une surveillance régulière de ce marqueur, soit 3 à 4 fois par an, à condition qu’il ait une dysfonction systolique. En effet, il a été montré que le pronostic de ces patients est toujours associé à une diminution du BNP. À l’inverse, chez un patient ayant un BNP abaissé, mais présentant des effets secondaires, il faut revoir les thérapeutiques à la baisse. Le BNP sert à optimiser le traitement pharmacologique, mais s’il reste relativement bas il n’y a pas de nécessité à le surveiller fréquemment, sauf en cas de modification de la symptomatologie ou de la fonction rénale.
Quelles sont les indications respectives de l’éplérénone et de la spironolactone ?
La spironolactone est indiquée dans les insuffisances cardiaques classe III-IV sur la base de l’étude RALES. L’éplérénone est indiquée chez les patients peu symptomatiques car elle seule a démontré son efficacité dans ce groupe de patients dans l’étude EMPHASIS-HF. Chez un patient pris en charge précocement dans l’histoire naturelle de la maladie, le traitement est donc débuté par l’éplérénone et poursuivi par cet ARM si son état se dégrade.
Par ailleurs, l’éplérénone est indiquée chez des patients présentant une dysfonction ventriculaire gauche et des signes cliniques d’insuffisance cardiaque post-IDM.
Qu’en est-il des diabétiques insuffisants cardiaques ?
Ils posent de réelles difficultés du fait de l’altération de la fonction rénale beaucoup plus souvent associée au diabète. La créatininémie est souvent augmentée sous IEC, ARA II et ARM chez ces patients. Il est par conséquent plus difficile d’atteindre les doses cibles optimales de ces thérapeutiques qui ont pourtant démontré un effet remarquable dans ce sous-groupe d’insuffisants cardiaques. Il faut donc s’efforcer de maintenir les IEC et les ARM, mais au prix d’une surveillance plus étroite de la kaliémie et de la fonction rénale, sans doute en utilisant de plus faibles doses.
Propos recueillis par M. Deker
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :