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Coronaires

Publié le 18 oct 2011Lecture 5 min

Un angor fonctionnel

J.-P. DETIENNE, Creil

Mme Z. 78 ans est hospitalisée au service des urgences puis en cardiologie pour un melæna avec dyspnée et angor fonctionnel depuis une huitaine de jours. Il s’agit d’une patiente traitée pour une maladie coronaire stable et calme, qui a été dilatée en 1999 sur la coronaire droite et n’a jamais re-souffert depuis.

En 2003 elle est passée en FA ; il a été tenté un choc qui a rétabli le rythme sinusal, mais elle a rechuté sous cordarone. Elle a donc été laissée sous bétaxolol en contrôle du rythme, AVK avec un INR relativement stable entre 2 et 3, aspirine (75 mg) et une statine à faible dose. Le VG est bon aux dernières évaluations qui remontent à 2005 ; elle est par ailleurs hypertendue bien contrôlée sous IEC ; elle n’est pas diabétique. Elle n’a pas d’autres antécédents significatifs, notamment aucun trouble cognitif et elle est bien entourée au domicile. Au plan clinique elle n’est pas inquiétante, l’hémodynamique est stable ; au plan biologique, l’hémoglobine est basse, à 7,5 g/dl ; la créatinine est normale à 80 µmol/l ; le reste du bilan est sans particularité, notamment les enzymes cardiaques et l’INR à 1,96. Les explorations vont comprendre une fibroscopie OGD qui remontre une hémorragie active du fondus sur des pétéchies antrales, assez fréquentes en cas de prise d’AINS. L’évolution va être simple sans récidive de déglobulisation ni nécessité de transfusion. Elle va ressortir sous inhibiteurs de la pompe à protons ; l’aspirine est stoppée ; elle est laissée sous AVK.   Discussion Les questions soulevées par cette observation, qui illustre le risque inhérent aux associations antithrombotiques, sont les suivantes : • Fallait-il la mettre sous anticoagulants ? • Si oui, faut-il prescrire de l’aspirine ? À la première question, on peut répondre simplement que le risque embolique estimé par le score CHADS2 de cette patiente justifie, en l’absence de contre-indication, la mise sous AVK puisque son score est de 2 et que l’on admet qu’un score ≥ 1 justifie la mise aux AVK. La seconde question est plus délicate car le sujet a été beaucoup moins étudié ; nous allons essayer par une rapide revue des données de la littérature de mieux préciser le bénéfice/risque dans ce cas de figure. Les AVK ont été bien étudiés dans la maladie coronaire stable et ont longtemps été un traitement du postinfarctus. Une métaanalyse parue en 1999 par Ysuf concluait, sur l’analyse de très nombreuses études, que le traitement anticoagulant à doses modérées prévient efficacement les récidives ischémiques en augmentant peu le risque hémorragique avec un ratio bénéfice/risque nettement en faveur du traitement. En revanche, l’ajout d’aspirine à faible dose, traitement de référence de la maladie coronaire stable, à l’AVK (INR < 2) ne semble pas apporter de bénéfice supplémentaire. Si on s’en tient à ces données, la cause semble entendue : l’aspirine n’était plus utile, dès lors que, la patiente étant en FA, la prévention tant de l’embolie que des récurrences ischémiques paraissait bien couverte par les AVK ; le risque supplémentaire lié à l’association (risque hémorragique multiplié par 2 en cas d’association versus aspirine seule, ce que vient illustrer notre observation) n’est pas justifié, le bénéfice ici étant très faible. Mais les choses ne sont pas si simples. En effet, l’association AVK + aspirine versus aspirine seule a fait ses preuves chez les coronariens. Dans les études ATACS, APRICOT-2, ASPECT-2, OASIS-2 et WARIS-2, cumulant près de 5 000 patients, l’association avec un INR > 2 est, en effet, globalement associée à une réduction d’un tiers des décès et (ré)infarctus (RR = 0,74 ; p < 0,001). Mais la métaanalyse(1) d’Andreotti en post-syndrome coronaire aigu publiée récemment montre que, même en se restreignant aux études dans lesquelles l’INR était compris entre 2 et 3, la réduction significative des événements cardiovasculaires majeurs (décès, IDM, AVC) est contrebalancée par une augmentation des complications hémorragiques majeures (RR = 2,32, p < 0,00001). Actuellement, l’association d’une faible dose d’aspirine (< 100 mg/j) en association aux AVK n’est recommandée que chez les sujets chez lesquels une prothèse valvulaire mécanique a été implantée selon les recommandations 2004 de l’ACCP (American College of Chest Physicians Consensus). Néanmoins, dans la FA, un nombre important de sujets (25 % dans un essai randomisé récent mené dans la FA) sont sous AVK + aspirine. En effet, malgré le manque de données, certains experts pensent que l’addition d’aspirine pourrait être utile puisque les patients sous AVK sont par ailleurs fréquemment coronariens ou à haut risque d’AVC. Une métaanalyse publiée dans Archives of Internal Medicine a tenté d’éclairer le débat[2]. Parmi les études randomisées contrôlées publiées avant juin 2006, comparant AVK versus AVK à même dose ou même INR plus aspirine, avec au moins 3 mois de suivi, 10 études ont été retenues. Elles totalisent 4 180 patients avec des échantillons allant de 60 à 2 500 patients. Cinq de ces 10 études concernent les porteurs de valves mécaniques, deux la fibrillation atriale, deux la maladie coronaire et une des sujets à haut risque cardiovasculaire. Cette grande métaanalyse conclut qu’« aujourd’hui les éléments de preuve sont faibles en faveur de l’addition d’aspirine chez des sujets déjà sous AVK, à l’exception de ceux porteurs d’une valve mécanique. Le bénéfice global observé sur les thromboses artérielles semble en effet essentiellement supporté par les 3 études réalisées chez les porteurs de valve. Par ailleurs, le risque hémorragique est majoré sous bithérapie. L’addition d’aspirine au traitement d’un patient sous AVK, sans valve mécanique, pose donc question en pratique clinique, en termes de bénéfice/risque. D’autant qu’aux États-Unis, sur les 2,5 millions de patients présentant une FA, on estime que 30 à 40 % présentent par ailleurs une maladie coronaire et 10 à 15 % sont à haut risque d’accident vasculaire cérébral. D’importantes études randomisées sont donc aujourd’hui nécessaires chez ces patients en FA comme chez les coronariens à haut risque ». En bref, la question est encore en friche. Récemment, l’étude WAVE(3) a évalué l’ajout au traitement par l’aspirine d’un traitement AVK avec un INR cible entre 2 et 3 et n’a pu montrer de bénéfice. G. Montalescot (Pitié-Salpêtrière, Paris) a ainsi commenté les résultats : « WAVE a le mérite de poser la question de l’optimisation du traitement antithrombotique. Tester les AVK dans cette pathologie n’était pas une mauvaise idée. De fait, on observe un bénéfice en termes de protection coronaire avec une réduction de 20 % des infarctus. Mais les résultats sont globalement négatifs. S’agissait-il de patients à trop bas risque ? ». Le sujet reste ouvert mais il est clair au minimum que l’ajout ou le maintien de l’aspirine aux coronariens ou vasculaires au sens large, quoique logique au plan physiopathologique, est encore mal évalué en termes de bénéfice/risque, notamment à cause du risque hémorragique.   En pratique   On peut conclure par les recommandations de l’ACCP 2001 : « L’ajout d’aspirine au traitement AVK en l’absence de preuve ne saurait être recommandé », même s’il existe des arguments qui plaident en sa faveur.

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