Insuffisance cardiaque
Publié le 07 fév 2006Lecture 9 min
Comment surveiller les patients insuffisants cardiaques à l'aide de l'échocardiographie ?
T. LAPERCHE, Centre Cardiologique du Nord, Saint-Denis
Par son caractère non invasif et facilement réalisable, l’échocardiographie transthoracique (ETT) est devenue un examen-clé de la cardiologie et se révèle chez les insuffisants cardiaques un outil fort intéressant, mais qui ne doit en rien rejeter en arrière-plan un examen clinique rigoureux. L’ETT, indispensable à l’élaboration du diagnostic et à la reconnaissance étiologique de la cardiopathie, permet d’assurer une surveillance de qualité quand l’impression clinique se trouve prise en défaut, ce qui arrive assez souvent chez les insuffisants cardiaques notamment au cours des épisodes de décompensation, pour peu qu’il y ait création d’un troisième secteur, et hypovolémie associée.
Pourquoi utiliser l'ETT dans la prise en charge des insuffisants cardiaques ?
L’apport diagnostique de cette technique est incontournable et les critères de l’ETT font partie de la définition de l’insuffisance cardiaque tant dans les recommandations européennes qu’américaines.
L’ETT donne ainsi accès à :
• des données anatomiques (géométrie et dimensions du ventricule gauche et des autres cavités cardiaques),
• des données fonctionnelles (évaluation de la fraction d’éjection du ventricule gauche),
• des données hémodynamiques (évaluation des pressions de remplissage du ventricule gauche, évaluation de la pression artérielle pulmonaire).
Nous n’aborderons pas dans cet article le concept d’asynchronisme inter- ou intraventriculaire ni la stratégie de surveillance après procédure interventionnelle traitant l’anomalie responsable de la dysfonction ventriculaire gauche. De plus, le diagnostic d’insuffisance cardiaque diastolique, loin d’être inhabituel, repose en grande partie sur des données échographiques (tableau 1).
L’approche hémodynamique indirecte que permet l’échographie cardiaque rend des services très importants dans la prise en charge de nos insuffisants cardiaques, de sorte que le suivi de ces patients puisse se faire sur des critères cliniques, fonctionnels mais aussi échographiques, évitant de façon très fréquente le recours à une étude hémodynamique invasive.
Enfin, certains paramètres échographiques ont une valeur pronostique reconnue, au même titre que les critères cliniques, électrophysiologiques, fonctionnels ou sanguins. Ces paramètres ETT reposent avant tout sur :
• la fraction d’éjection abaissée,
• l’augmentation des volumes ventriculaires,
• l’élévation des pressions de remplissage,
• l’aspect restrictif du flux de remplissage mitral,
• l’altération de la fonction ventriculaire droite.
Que rechercher à l’ETT ?
Bien évidemment, chaque étude ETT permettra d’analyser le ventricule gauche, ses dimensions, sa géométrie, sa fonction contractile segmentaire et globale (avec évaluation de la fraction d’éjection par la méthode de Simpson par des acquisitions biplan en incidence apicale 2 et 4 cavités).C’est le « bilan minimum ». Mais ce qui suscite notre intérêt, c’est bien sûr l’appréciation des conditions de remplissage, dont les conséquences sur la tolérance fonctionnelle de la cardiopathie sont majeures.
Si l’on ne dispose que d’un échographe bidimensionnel
Il est temps d’investir dans un appareil un peu plus sophistiqué (l’échographie n’apparaît d’ailleurs plus isolément dans la nouvelle CCAM, mais est toujours couplée à une étude Doppler).
L’analyse de la cinétique de la valve mitrale ou des variations respiratoires de la veine cave inférieure sont, certes, intéressantes et ont bien aidé nos aînés, mais ces critères sont purement qualitatifs et non quantitatifs, et paraissent bien isolés dans la foison des autres indices disponibles.
Si l’on dispose du Doppler
Les informations recueillies sont beaucoup plus fructueuses.
Évaluation de la pression artérielle pulmonaire
Depuis l’apparition du Doppler, nous avons l’habitude d’évaluer la pression artérielle pulmonaire en systole à partir de la vitesse maximale de la fuite tricuspide (PAPs = 4 VIT2 + P [estimée] de l’oreillette droite).
En l’absence de fuite tricuspide décelable, nous nous rabattons sur la valve pulmonaire à la recherche d’une fuite pulmonaire avec mesure des vitesses protodiastolique (Vp) et télédiastolique (Vs), permettant le calcul respectif de la pression artérielle pulmonaire moyenne (PAPm = 4 Vp2 + 10) et de la pression artérielle pulmonaire diastolique (PAPd = Vs2 + 10), la PAPs étant obtenue par l’équation PAPs = 3 PAPm - 2 PAPd.
Les deux facteurs limitants de ces techniques sont la nécessité d’avoir un spectre non tronqué (au risque de sous-évaluer les pressions) et d’apprécier à sa juste valeur la pression auriculaire droite (POD).
La valeur de la POD est souvent fixée de façon arbitraire à 10 mmHg. Toutefois, si la dépression inspiratoire au niveau de la veine cave inférieure est < 50 % de son calibre, il est conseillé de prendre une valeur de POD égale à 15 mmHg.
Enfin, en cas d’arythmie complète par fibrillation auriculaire, un moyennage sur 5 à 10 cycles sera effectué.
Évaluation des pressions de remplissage du ventricule gauche
• La première analyse doit porter sur le flux mitral. Il est, en effet, décrit quatre profils de remplissage mitral selon la vitesse des ondes E (en rapport avec le remplissage passif du ventricule gauche) et A (en rapport avec la systole auriculaire) et la vitesse de décroissance de l’onde E (figure 1). Le passage d’un profil à un autre dépend à la fois des propriétés du ventricule gauche (relaxation et compliance) et des pressions de remplissage. Le profil restrictif étant plus péjoratif que les autres en termes de pronostic, le but du traitement sera alors de diminuer les pressions de remplissage et d’espérer ainsi la disparition du profil restrictif.
Flux normal
Anomalie de la relaxation
Aspect pseudo-normal
Flux restrictif
Figure 1. Analyse du flux mitral.
Il peut d’ailleurs être intéressant de faire une épreuve dynamique comme cela a été proposé par certains auteurs en essayant de faire évoluer le profil mitral. Cela n’est réalisable qu’en milieu hospitalier chez les patients dont le profil est restrictif car il faut alors faire une perfusion de nitroprussiate de sodium : si le profil reste restrictif, le taux d’événements péjoratifs à 18 mois est élevé (51 %) comparativement à celui des patients dont le flux se modifie lors de l’épreuve pharmacologique (19 %).
Chez les patients dont le profil n’est pas restrictif à l’état basal, une analyse de ce flux mitral peut se faire après avoir fait lever les membres inférieurs au patient, afin d’augmenter son retour veineux et donc sa précharge. Cette mesure peut se faire simplement au cabinet. Si le profil mitral ne se modifie pas, le taux d’événements à 18 mois est faible (6 %), si le flux devient restrictif, le taux d’événements est élevé (33 %).
Toutefois dans notre expérience, le passage à un flux restrictif sous le simple lever des membres inférieurs est rarement observé.
D’une façon générale, chez un patient ayant une dysfonction systolique, un rapport E/A > 2 ou l’association d’un rapport E/A compris entre 1 et 2 et d’un temps de décélération de l’onde E < 150 ms est de mauvais pronostic.
- Le temps de relaxation isovolumique, mesuré entre la fermeture de la valve aortique (fin du flux d’éjection) et l’ouverture de la valve mitrale (début du flux mitral) est surtout intéressant dans les troubles de la fonction diastolique, puisque normalement compris entre 60 et 90 ms, il augmente avec l’altération de la relaxation ventriculaire gauche. Lorsque les pressions de remplissage sont nettement augmentées, ce temps s’abaisse de façon significative (< 60 ms). On peut aussi calculer l’indice de Tei qui est la somme du temps de contraction isovolumique et du temps de relaxation isovolumique divisé par le temps d’éjection ventriculaire gauche. Cet indice (valeur normale < 40 %) mixe les fonctions systolique et diastolique du ventricule gauche et est bien corrélé à la sévérité de la dysfonction ventriculaire et donc au pronostic du patient.
- Le flux veineux pulmonaire contribue également à évaluer les pressions de remplissage. Il est constitué d’une onde S (contemporaine de la systole ventriculaire), d’une onde D (contemporaine du remplissage passif du ventricule gauche) puis d’une onde A reverse (témoin de la systole auriculaire). Deux indices sont intéressants : le rapport S/D (rapport des vitesses maximales) et la durée de l’onde A reverse qui sera comparée à la durée de l’onde A mitrale.
Chez les patients avec dysfonction systolique, un rapport S/D < 1 et/ou une durée de A reverse supérieure à la durée de A mitrale de plus de 20 ms permettent de conclure à une élévation des pressions de remplissage (tableau 2).
Si l’on dispose de la couleur c’est encore mieux
On évaluera mieux les fuites ventriculo-auriculaires, dont l’origine souvent fonctionnelle par dilatation annulaire les rend très sensibles à l’élévation des pressions et à la distension cavitaire qui l’accompagne. Il peut également être intéressant de regarder en TM couleur la propagation protodiastolique du flux mitral de remplissage ventriculaire gauche.
La vitesse de propagation (qui nécessite comme toujours avec la couleur des réglages précis pour diminuer la vitesse d’aliasing, à 70 % de la vitesse maximale de l’onde E mitrale) est un bon indice de la relaxation du ventricule gauche qui est indépendante des conditions de charge et permet ainsi de faire la distinction entre un flux transmitral normal (Vp est alors > 45 cm/s) et un flux pseudo-normal (Vp < 45 cm/s). Il est aussi possible de faire le rapport E/Vp, qui lorsqu’il dépasse 2,5 est en faveur d’une élévation des pressions de remplissage.
Si l’on dispose du DTI, c’est parfait
On aura ainsi accès à une analyse du déplacement de l’anneau mitral en positionnant le capteur au niveau de la paroi latérale de cet anneau. Le profil ainsi obtenu montrera distinctement une onde positive S, une onde négative E’ puis une deuxième onde négative A’. La vitesse de E’ diminue en cas d’anomalie de la relaxation ventriculaire et cela, de façon indépendante des conditions de charge. Une valeur de E’ > 8 cm/s est en faveur d’une relaxation normale, et < 8 cm/s en faveur d’une relaxation ralentie. Son intérêt primordial est que, comparée à la vitesse de l’onde E mitrale, elle fournit une bonne évaluation des pressions de remplissage.
Un rapport E/E’ > 15 permet d’affirmer que les pressions de remplissage sont élevées, alors que E/E’ < 8 permet de les considérer comme normales. Le seul inconvénient survient lorsque le rapport se situe entre 8 et 15. Il faut alors s’aider des autres indices préalablement décrits.
Deux cas de figures méritent mention
Une fibrillation auriculaire n’est pas rare chez nos patients en insuffisance cardiaque, rendant non utilisables les indices relevés à partir de la systole auriculaire. Le temps de décroissance de l’onde E < 150 ms garde sa valeur prédictive, de même que les indices E/Vp ou E/E’.
L’existence d’une fuite mitrale fréquente en pareille situation peut perturber le rapport E/A si elle est significative. Dans un tel cas, il est intéressant de calculer le rapport temps de relaxation isovolumique/délai entre le début de l’onde E mitrale (Doppler pulsé) et le début de l’onde E’ (DTI anneau mitral). Un rapport > 3 pourrait être en faveur d’une pression capillaire > 15 mmHg.
Quand pratiquer une échocardiographie chez nos patients insuffisants cardiaques ?
Si nous reprenons les recommandations de la Société française de cardiologie, nous constatons que si la pathologie est stable, il n’y a pas lieu de pratiquer l’ETT de façon répétée ; l’information obtenue étant redondante. Si, au contraire, l’état du patient se dégrade ou que nous nous trouvons dans une incertitude thérapeutique, la réalisation d’un examen ETT est tout à fait légitime.
- Ainsi, quand la créatininémie s’élève, quand le patient est hypotendu ou sujet à des vertiges orthostatiques, il est primordial de rechercher une hypovolémie. Dans ce cas, la baisse des pressions de remplissage sera authentifiée par les paramètres ETT et le traitement réadapté (notamment en minorant la dose de diurétiques).
- La présence d’une toux rebelle peut faire évoquer soit une intolérance aux IEC, soit une élévation des pressions de remplissage responsable d’un œdème bronchique. En pareil cas, l’attitude thérapeutique est primordiale et conditionnée par les résultats de l’ETT : elle conduit à arrêter les IEC dans le premier cas (en les remplaçant par exemple par un antagoniste de l’angiotensine II ayant reçu une AMM dans cette indication), ou inciter à majorer leur dose dans le second cas.
En résumé
Oui, il faut surveiller les insuffisants cardiaques par l’ETT car c’est une mine de renseignements sur la situation hémodynamique du patient.
Oui, il faut répéter les examens pour voir l’effet des thérapeutiques sur les paramètres structurels et fonctionnels du ventricule gauche. Il est primordial d’avoir une idée des pressions de remplissage du patient pour modifier la stratégie si elles sont élevées. Ces pressions de remplissage dérivent de plusieurs indices simples à obtenir par la conjonction de mesures portant essentiellement sur le flux mitral, le flux veineux pulmonaire et le DTI à l’anneau mitral.
Les lecteurs peuvent se reporter aux articles complémentaires de B. Gallet (Cardiologie Pratique n° 684 du 28 avril 2004 sur L’évaluation des pressions de remplissage) et de B. Diebold (Cardiologie Pratique n° 733 du 29 juin 2005 sur L’optimisation du traitement de l’insuffisance cardiaque).
Ces deux articles sont disponibles sur le site de Cardiologie Pratique www.cardiologie-pratique.com, rubrique archives.
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