Publié le 07 mar 2006Lecture 8 min
Faut-il encore privilégier la stratégie invasive dans les syndromes coronaires aigus sans sus-décalage de ST ?
P.-G. STEG et D. TCHETCHE. hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris
Voilà un sujet qui a fait les beaux jours d’innombrables congrès de cardiologie, où il était habituel d’assister à un débat au cours duquel un collègue généralement anglais défendait la position d’une utilisation restrictive des techniques de revascularisation au cours des syndromes coronaires aigus (SCA) sans sus-décalage du segment ST, tandis qu’un cardiologue interventionnel français, allemand ou américain défendait la position du « tous au laboratoire de cathétérisme… et vite ! ».
Les fondements de la stratégie invasive
Trois études randomisées de grande taille
Depuis le début du 21e siècle, on pensait pourtant la question réglée par ces trois essais correctement menés, utilisant les traitements modernes, apportant des résultats concordants.
L’étude FRISC II, menée avec une grande rigueur par des cardiologues suédois sur près de 2 500 patients entre 1996 et 1998 avait montré une réduction de la morbi-mortalité 6 à 12 mois après un SCA chez les patients traités initialement de façon invasive, comparativement à ceux traités initialement de façon conservatrice (13,2 % de décès, infarctus ou ischémie sévère conduisant à une réadmission/revascularisation, contre 42,2 %). En outre, le suivi à plus long terme montrait une réduction des événements « durs » (mortalité et infarctus du myocarde) dans le groupe traité de façon invasive.
Un peu plus récemment, une étude américaine, TACTICS-TIMI 18, retrouvait des résultats assez proches, quoiqu’un peu moins spectaculaires chez des patients tous traités par tirofiban.
Puis, au début des années 2000, la publication de l’essai britannique RITA-3 acheva de convaincre les réticents : même nos collègues britanniques, pourtant si circonspects dans l’utilisation des techniques de revascularisation, notamment percutanées, retrouvaient, chez près de 2 000 patients une réduction de morbi-mortalité chez les patients traités de façon invasive par rapport à ceux initialement traités de façon conservatrice.
Une métaanalyse
Ces études avaient, malgré des différences entre populations en termes de risque, des différences d’utilisation des traitements adjuvants antithrombotiques et des différences méthodologiques assez importantes, de nombreux points communs, qui devenaient clairs si l’on réalisait une métaanalyse, comme l’avait fait S.-R. Mehta et le groupe canadien de Hamilton : l’observation constante d’un bénéfice à moyen ou long terme de la stratégie invasive, et surtout l’observation d’un gradient de bénéfice en faveur des patients les plus graves : patients âgés, de sexe masculin, diabétiques ou aux antécédents d’infarctus du myocarde, avec des signes électrocardiographiques marqués (sous-décalage du segment ST) ou une élévation des marqueurs biochimiques de nécrose. Enfin, surtout dans les essais où l’utilisation des anti-GpIIb/IIIa avait été la plus restrictive, on notait un excès temporaire d’événements défavorables précoces chez les patients revascularisés (appelé par les Anglo-Saxons « early hazard », ou « risque précoce »), contrebalancé par un bénéfice sur le long terme. Outre les différences entre populations de ces différents essais, on pouvait aussi noter des différences en termes de taux de revascularisation et aussi de précocité de celle-ci . Par exemple, dans les 10 premiers jours après l’admission, 71 % des patients du groupe « invasif » de FRISC II avaient déjà été revascularisés, contre 60 % dans TACTICS et 44 % dans RITA-3. On imaginait bien qu’une revascularisation moins fréquente et plus tardive pouvait contribuer à minimiser le bénéfice de la stratégie invasive.
Préférence à la stratégie invasive
- Le « coup de grâce » à la stratégie « conservatrice » fut assené par l’étude ISAR COOL, dans laquelle nos collègues allemands démontrèrent sur 410 patients avec syndrome coronaire aigu candidats à la revascularisation (soit avec sous-décalage du segment ST, soit avec élévation de troponine) qu’une stratégie de revascularisation immédiate (dans les 2,4 heures) était supérieure à une stratégie de revascularisation retardée de 72 à 120 heures, avec une réduction du risque de décès à 30 jours (5,9 contre 11,6 %, p = 0,04), chez des patients tous traités par tirofiban. La conclusion tirée de cet essai était donc que chez les patients « à haut risque » tels que ceux inclus dans l’essai, la stratégie invasive immédiate était la stratégie préférentielle.
Les résultats concordants de ces essais cliniques furent transcrits en recommandations, européennes et américaines, largement concordantes, insistant sur la nécessité d’une stratification du risque et, pour les patients à haut risque, du bénéfice d’une stratégie de traitement antithrombotique intensif (comportant notamment des anti-GpIIb/IIIa) et d’une coronarographie précoce en vue de revascularisation.
ICTUS : retour en grâce de la stratégie conservatrice
Méthodologie
L’essai randomisé ICTUS présenté au congrès de l’ESC 2004 à Munich par R. DeWinter (Amsterdam, NL) a inclus 1 200 patients ayant un SCA sans sus-décalage du segment ST et une élévation de la troponine. Ces patients ont été tirés au sort entre deux stratégies :
• soit une stratégie invasive précoce où une coronarographie était réalisée dans les 48 premières heures en vue d’une revascularisation,
• soit une stratégie sélective de traitement médical initial où la coronarographie était réservée aux patients ayant une recherche d’ischémie positive ou une récidive angineuse.
Le critère de jugement principal de l’étude était la survenue d’un décès, ou d’infarctus du myocarde ou une réhospitalisation pour SCA dans l’année suivant la randomisation. Les patients étaient traités de façon « moderne » par les antithrombotiques (y compris par le clopidogrel et l’abciximab pour encadrer une angioplastie éventuelle).
Résultats
À un an, une proportion importante des patients dans les deux groupes avait subi une coronarographie (99 % dans le bras « stratégie invasive précoce » contre 67 % dans le bras « stratégie sélective »), et une revascularisation (79 contre 54 % dans les deux groupes respectifs) bien que celle-ci ait été réalisée plus précocement dans le bras invasif. En revanche, le taux de survenue du critère de jugement composite était semblable dans les deux groupes 22,7 contre 21,2 % dans les bras invasif précoce contre stratégie sélective respectivement, soit un risque relatif de 1,07 [IC à 95 % : 0,87-1,33], p = 0,33). Le risque de nouvel infarctus ou de réinfarctus, défini comme un pic de CK-MB au-dessus de la limite supérieure de la normale (ou si les CK- MB étaient déjà élevées du fait de l’événement coronarien qualifiant, une chute d’au moins 50 % suivie d’une réélévation au moins supérieure à la limite supérieure de la normale) a été significativement plus fréquent dans le bras « invasif précoce » (15,0 contre 10,0 %, RR 1,50, p = 0,005). Inversement, les réhospitalisations pour SCA ont été moins fréquentes chez les patients du groupe stratégie invasive : 7,4 contre 10,9 %, RR : 0,68, p = 0,04) (tableau).
Dans ICTUS, comme cela avait déjà été constaté dans plusieurs essais similaires, le changement de définition de l’infarctus du myocarde a eu un impact majeur sur les résultats de la comparaison entre les deux bras de l’étude.
ICTUS : plusieurs implications pratiques majeures
Elles soulignent que la troponine, à elle seule, n’est pas un élément très performant de stratification du risque. Bien qu’indubitablement, le groupe de patients ayant une troponine positive ait un risque plus élevé que ceux qui sont « troponine-négatifs », il est hautement souhaitable de prendre en compte dans la stratification du risque l’ensemble des données cliniques et paracliniques (notamment électrocardiographiques disponibles). C’est l’esprit des recommandations européennes comme américaines et il est important de ne pas céder à la tentation de décisions binaires fondées exclusivement sur le dosage de troponine. Néanmoins, ICTUS va obliger à préciser la lettre des recommandations et probablement à spécifier que la troponine, à elle seule, n’est probablement pas un élément de stratification suffisant.
Elles démontrent que, dans le contexte de traitement moderne des syndromes coronaires aigus sans sus-décalage du segment ST, une période initiale de traitement médical conservateur n’est pas délétère. Cela a une importance majeure pour les unités de soins intensifs coronariens situés dans des hôpitaux ne disposant pas d’un plateau technique interventionnel car cela indique qu’il est possible de traiter initialement et pendant quelques jours les SCA même à haut risque dans ces structures pour les transférer secondairement et sélectivement vers un centre interventionnel.
A contrario, il n’y a pas de bénéfice évident « à se ruer » sur un traitement interventionnel systématique et à transférer ces patients en salle de cathétérisme en urgence (lorsqu’ils sont stables). Il est important de noter que le bras « conservateur » de l’essai ICTUS a été traité, par bien des aspects, de façon agressive (67 % de coronarographie, 54 % de revascularisation) ; ces résultats doivent conduire à tempérer l’enthousiasme interventionnel, a fortiori précoce, suscité notamment par les résultats de l’essai ISAR-COOL. Il est très vraisemblable que l’« optimum » d’utilisation de la revascularisation dans les SCA est plus proche de 50 % que de 100 %.
Ils rappellent que si, globalement, les essais récents de comparaison entre stratégies invasives et stratégies conservatrices dans les SCA sans sus-décalage de ST se sont soldés par une conclusion en faveur de la stratégie invasive, c’était plus « par victoire aux points que par KO ». En particulier, les résultats peuvent s’inverser dans au moins deux des trois essais considérés selon la méthode utilisée pour définir l’infarctus du myocarde (d’autant plus que deux des essais ont utilisé des définitions asymétriques selon les bras de traitement, utilisant un seuil plus élevé pour définir l’infarctus lorsque celui-ci survenait chez un patient traité par angioplastie).
Elles doivent être tempérées par le fait que les bons résultats de la stratégie initialement conservatrice dans ICTUS ont été obtenus au prix d’une hospitalisation prolongée (la médiane de délai de revascularisation dans le bras conservateur était de 12 jours), ce qui est souvent difficile à appliquer, tant du fait du désir des patients d’une gestion rapide du problème que pour des raisons d’encombrement des lits. Cette constatation, souvent négligée, doit amener à tempérer notablement les conclusions d’ICTUS.
En conclusion
La stratégie invasive reste une excellente stratégie de traitement des syndromes coronaires aigus sans sus-décalage de ST et sera d’autant plus utile que le patient est « grave », qu’il sera traité de façon adéquate par les antithrombotiques puissants permettant de réduire le risque d’une éventuelle revascularisation percutanée et qu’un retour rapide à domicile est souhaitable.
Cela dit, ICTUS rappelle qu’une stratégie invasive n’est pas applicable à 100 % des patients et que cela n’est probablement ni désirable ni utile.
Une stratégie de traitement initialement conservateur est parfaitement acceptable, sous réserve :
- d’un traitement médical renforcé,
- d’une réévaluation par un test d’ischémie non invasif avant la sortie de l’hôpital,
- d’un recours secondaire large à la coronarographie en vue de revascularisation en cas d’instabilité clinique ou d’ischémie provoquée sur un test non invasif.
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