Publié le 12 fév 2008Lecture 9 min
Faut-il redécouvrir les stents actifs ?
M.-C. MORICE, Institut hospitalier Jacques Cartier, Massy
L’apparition des stents a augmenté le taux de succès de l’angioplastie et entraîné la quasi-disparition du recours à la chirurgie d’urgence. Les stents actifs ont spectaculairement amélioré les résultats mais une polémique récente a entraîné un doute médiatisé sur leur sécurité. Aujourd’hui la passion est retombée, et déjà de nouveaux stents se profilent à l’horizon…
Les débuts
À ses débuts, en 1977, le taux de succès de l’angioplastie au ballon était de 60 % et celui de la chirurgie en urgence de 10 %. Dans les années 80, ces résultats se sont améliorés bien que les taux de succès soient restés respectivement aux alentours de 80 et 5,6 %.
Le succès des stents
L’apparition des stents a eu deux conséquences majeures :
- l’augmentation considérable du taux de succès qui dépassa alors les 90 % ;
- et surtout la quasi-disparition de la chirurgie en urgence.
Au cours des premières années, le stenting fut associé à un taux de complications, à type de thrombose, de 10 à 20 % (époque des anticoagulants + aspirine). Ce taux n’était plus que de 1 à 2 % vers 1997 grâce à l’association ticlopidine/aspirine. L’incidence de la resténose, de l’ordre de 40 % avec les ballons, était descendue à 20-25 % avec les stents.
La révolution des stents actifs
Seuls, les stents actifs ont permis d’améliorer ce dernier chiffre. Ils ont constitué une véritable révolution : on se souvient de la présentation en 2001 de l’étude RAVEL (RAndomized study with the sirolimus coated BX VELocity balloon) avec un taux de thrombose de 0 %, aucune resténose et aucune revascularisation. Ces résultats ont été confirmés dans le cadre d’études à plus grande échelle telles que SIRIUS (SIRolImus elUting Stents versus standard stents in patient with stenosis in native coronary arteries), toujours avec le stent à diffusion de sirolimus, mais également avec le stent au paclitaxel (Taxus®). Quel que soit le type de patients, qu’ils soient diabétiques ou non, que l’atteinte concerne l’IVA, que les lésions soient longues, les artères grosses ou petites, il a été démontré que le bénéfice associé à l’utilisation des stents actifs était constant.
Des nuages obscurcissent le ciel bleu des stents actifs !
Les stents actifs seraient-ils dangereux ?
Dès 2004, quelques thromboses tardives sont décrites : ce sont des thromboses de stent survenant plus d’un an après l’implantation. On oublie cependant que des thromboses tardives étaient observées également avec les stents nus.
L’étude BASKET-Late (Late Clinical Events Related to Late Stent Thrombosis After Stopping Clopidogrel) présentée à l’ACC 2006 constitue la première alerte véritable. Cette étude, dont l’objectif premier était tout autre, prolonge le suivi des patients de 7 à 18 mois et montre un excès d’infarctus et de mortalité entre 7 et 18 mois dans le groupe « stents actifs ». Cependant, en étudiant soigneusement cette publication, on s’aperçoit que si l’on considère le patient dans la totalité du suivi (de 0 à 18 mois), il n’y a absolument aucune différence.
Lors du congrès de l’ESC quelques mois plus tard, E. Camenzind énonce clairement la question : les stents actifs augmentent-ils la mortalité ? Sur la base d’une compilation de données, il montre que les stents actifs sont associés à une forte tendance vers un accroissement de la mortalité et de l’IDM avec onde Q, bien que peu significatif statistiquement à 3 ans (p : 0,06). Cette tendance n’est pas relevée chez les pa-tients porteurs de stents au paclitaxel. Ces observations sont renforcées par une autre métaanalyse de P. Norman qui souligne une tendance à la surmortalité, à nouveau non significative, associée aux stents actifs (au sirolimus seulement). De façon très surprenante, cette surmortalité est non cardiaque…
Ces deux études posent de véritables problèmes de méthodologie. Il ne s’agit pas de vraies métaanalyses, mais de compilations de données. Surtout, les définitions de thrombose de stent et les critères sont différents d’une étude à l’autre. Il est donc bien difficile de les compiler correctement.
Une inquiétude gagne le grand public
Néanmoins, cette session du congrès européen sème un vent de panique comme en témoignent certains titres d’articles parus dans la presse américaine selon lesquels, par exemple, « des millions d’Américains se promènent peut-être dans la rue avec des petites bombes à retardement dans le cœur ».
La pénétration des stents actifs régresse
En France, le président de la Société Française de Cardiologie, Nicolas Danchin, a alerté le public sur TFI, ce qui a valu à tous les cardiologues interventionnels un afflux d’appels téléphoniques de patients affolés.
Les conséquences sur la pratique médicale sont bien réelles :
- la pénétration des stents actifs, qui était énorme aux États-Unis, au-delà de 90 %, baisse progressivement à 65 % ;
- en Europe, le phénomène est moins marqué, la pénétration, qui était autour de 50 % au moment de la publication de Basket-late, cesse de croître. En France, on constate avec surprise que l’utilisation des stents actifs continue de baisser avec un taux d’implantation moyen de 38 % ;
- les Japonais, quant à eux, n’ont pas pris ces inquiétudes en considération, et le taux de pénétration des stents actifs a poursuivi sa croissance qui est actuellement de 70 %.
Une polémique positive
Cependant, cette alerte a engendré des conséquences très positives. Tout d’abord, les scientifiques et les industriels se sont réunis, ce qui a entraîné :
- une uniformisation des définitions de complications, en particulier la thrombose de stent (critères de jugement ARC*), qui sont maintenant utilisées dans toutes les études et permettent une interprétation des résultats beaucoup plus simple ;
- une analyse rétrospective de ces différentes études à l’aide des nouvelles définitions ARC, menée de façon indépendante de l’industrie à la manière d’une vraie métaanalyse avec entrée individuelle des données de chaque patient. Ces analyses sont rapportées dans cinq articles publiés simultanément dans le New England Journal of Medicine(1-5), qui montrent irréfutablement que toutes les études randomisées, qu’elles portent sur le Cypher® ou le Taxus®, ne font ressortir aucune différence en termes de mortalité et d’infarctus, sur des suivis de patients à long terme, même si une légère tendance vers un excès de thrombose tardive des stents actifs reste probable.
Il est certain que les études anatomopathologiques ont montré clairement un retard d’enthotélialisation des stents actifs par rapport aux stents nus. Cependant, cette augmentation discrète des risques est sans doute compensée par un accroissement des bénéfices. En effet, on aboutit à des taux de mortalité et d’infarctus identiques et surtout des taux de revascularisation beaucoup plus faibles avec les stents actifs.
Une autre crainte avait été suscitée par les résultats d’un registre suédois publié dans le numéro du NEJM cité plus haut(3). Il s’agissait encore une fois d’un excès de mortalité observé chez des patients porteurs de stents actifs. Il s’avère qu’en rajoutant un an de suivi, les résultats présentés à l’ESC 2007 ont montré des courbes complètement superposables.
Enfin, dans un numéro du Lancet d’octobre 2007, Stettler publie la plus volumineuse network analysis incluant 18 000 patients porteurs de stents nus ou actifs(6). Il ne souligne aucun excès de mortalité associée aux stents actifs mais au contraire un taux plus faible d’IDM avec les stents au sirolimus.
Quoiqu’il en soit, ce risque de thrombose précoce et tardive des stents actifs est réel, ce qui complique la gestion du traitement antiplaquettaire.
La thrombose de stent n’est pas un phénomène monofactoriel
Quels sont les éléments importants à prendre en considération ? Interviennent, certes, le stent lui-même avec sa drogue, son polymère et son matériau, mais également la technique : sont prédictives de thrombose de stent, la sous-expansion des stents, l’apposition incomplète des stents qui se chevauchent, les techniques exotiques de traitement des bifurcations, les fractures de stent, les dissections. Bien sûr, certains types de lésions induisent davantage de thrombose de stent : les lésions longues, les petites artères et les bifurcations. Enfin, il existe des facteurs liés au patient : les syndromes coronaires aigus sont une situation plus thrombogénique, de même que le diabète et l’insuffisance rénale.
Le traitement antiagrégant est essentiel
Certains patients sont non observants ou ne peuvent pas prendre de traitement au long cours. La drogue, sa dose et la durée du traitement restent à déterminer ainsi que l’éventuelle résistance au traitement antiplaquettaire.
Les résistances aux médicaments (clopidogrel et aspirine) ont été dépistées récemment et sont clairement prédictives de thrombose de stent. Les moyens de tester ces résistances au traitement commencent à être disponibles. Par exemple, dans notre centre, tous les patients ont un test de résistance à l’aspirine et au clopidogrel, et les doses de traitement sont ajustées en fonction de ces résultats.
L’application du stent doit être parfaite
Si l’on reprend certains de ces éléments, plusieurs études ont montré que les stents qui avaient thrombosé étaient bien moins ouverts que ceux qui ne thrombosaient pas, ce qui confirme à quel point la technique doit être soigneuse, au besoin en s’aidant d’échographie endocoronaire et en couvrant bien toute la zone dilatée avec le stent.
Quelle est la dose adéquate d’aspirine chez le diabétique ?
Il a été montré également qu’au moins chez les diabétiques, il pouvait y avoir un rebond à l’arrêt du clopidogrel, d’où l’intérêt de procéder à un arrêt progressif du traitement et d’avoir préalablement vérifié que le patient ne présente pas de résistance à l’aspirine. En effet, chez les patients diabétiques en particulier, il est fréquent qu’une dose d’aspirine inférieure à 100 mg soit insuffisante pour obtenir l’efficacité antiplaquettaire visée. En pratique, nous pensons que le traitement indéfini au clopidogrel et à l’aspirine est une utopie. L’aspirine au long cours doit, bien sûr, être maintenue, mais la prescription indéfinie de clopidogrel aboutira inévitablement à un arrêt brutal du traitement antiplaquettaire dans des situations aiguës, c’est-à-dire dans les pires conditions qui peuvent s’accompagner d’une intense inflammation telles qu’un accident, une hémorragie brutale ou une chirurgie urgente.
Les stents du futur
Les nouvelles générations de stents sont mises au point en tenant compte de la nécessité de limiter le risque de thrombose.
Citons, par exemple, le stent Genous dont la surface comporte des anticorps capturant les cellules pro-endothéliales et permettant une endothélialisation extrêmement rapide. Nous utilisons ces stents chez les patients qui doivent être opérés rapidement et qui nécessitent une revascularisation avant l’acte chirurgical. Les nouveaux stents sont conçus soit sans le polymère qui a été souvent mis en cause dans les thromboses de stent, soit avec un polymère biorésorbable. Certains de ces stents sont déjà disponibles (le stent Endeavor dont l’efficacité est légèrement moindre par rapport aux deux autres) ou le seront dès la fin de l’année comme le stent Xience.
De premières études positives paraissent sur le stent complètement biorésorbable (Abbott BVS Everolimus Eluting Stent) qui n’est pas près d’être mis sur le marché mais dont les résultats préliminaires sont particulièrement intéressants. Ces stents biorésorbables ont, de surcroît, l’avantage d’être compatibles avec l’imagerie par scanner multibarrettes, ce qui ne manque pas d’intérêt.
Enfin, toute une recherche est menée sur les thérapeutiques combinées, les stents pouvant maintenant contenir plusieurs drogues, soit pour en augmenter l’efficacité, par exemple chez les patients diabétiques ou insuffisants rénaux, soit pour disposer d’antiplaquettaires localement, de type IIb/IIIa, dans le syndrome coronaire aigu.
Le stent de demain devrait être davantage biocompatible, plus efficace, et, espérons-le, moins cher. Quoiqu’il en soit, en ce début d’année 2008, la cardiologie interventionnelle pratiquée avec les stents actifs est plus efficace et sécuritaire que jamais et il serait vraiment dommage de ne pas faire bénéficier les patients de ce progrès technologique majeur.
*Academic Research Consortium.
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