Publié le 02 nov 2010Lecture 8 min
Fraction d’éjection du ventricule gauche inférieure à 35% - Défibrillateur cardiaque automatique implantable (DAI) d’emblée ou au cas par cas ?
L. FAUCHIER, CHU Trousseau, Tours et C. LECLERCQ, CHU Pontchaillou, Rennes
Les Journées françaises de l'insuffisance cardiaque
Quelles sont les bonnes raisons de mettre un DAI si la FEVG est inférieure à 35 % ?
La principale tient au bénéfice démontré de l’implantation d’un défibrillateur cardiaque (DAI) en prévention primaire de la mort subite en cas de dysfonction systolique. L’étude la plus illustrative est SCD-HEFT. Elle a concerné 2 500 patients en insuffisance cardiaque systolique de toutes causes répartis en 3 groupes : placebo, amiodarone ou DAI. L’implantation d’un DAI permettait de réduire de 23 % la mortalité totale comparée à un traitement par placébo. L’amiodarone était totalement inefficace pour diminuer la mortalité avec un suivi de 5 ans. La question de savoir si l’abaissement de la fraction d’éjection du ventricule gauche est un critère suffisant pour l’implantation prophylactique d’un DAI se pose directement après le résultat de cette étude ainsi que de l’étude MADIT 2 (qui ne concernait que des patients avec dysfonction systolique associée à une maladie coronaire). En effet, il n’y avait pas d’autre critère péjoratif lié à des anomalies rythmiques dans ces 2 études (tableau). Il en a découlé assez directement une mise à jour des recommandations internationales aboutissant à une indication de classe I pour la mise en place d’un DAI en prévention primaire de la mort subite en cas de dysfonction systolique (figure 1).
Figure 1. Indications de DAI en prévention primaire de la mort subite en cas de dysfonction systolique.
Précisons toutefois que le seuil d’abaissement de la fraction d’éjection du ventricule gauche dans ces recommandations n’est pas strictement de 35 % : « inférieur à 30- 40 % » en cas de cardiopathie ischémique et « inférieur à 30-35 % » en cas de cardiopathie non ischémique.
Concernant le seuil d’abaissement de la fraction d’éjection du ventricule gauche, on peut se demander si le niveau optimal pour décider de l’implantation du DAI est de 35 %. Dans les 4 principales études MADIT, MUSTT, MADIT 2 et SCD-HEFT, la fraction d’éjection du ventricule gauche moyenne des patients était plutôt située à 25 %. Les analyses en sousgroupes montraient que le bénéfice était d’autant plus marqué lorsque la fraction d’éjection du ventricule gauche était plus basse, franchement significatif en dessous de 26 %, beaucoup moins net lorsque la fraction d’éjection du ventricule gauche était entre 26 et 35 %. Il n’est point besoin de rappeler la variabilité inter-observateur des mesures de fraction d’éjection du ventricule gauche échographiques qui relativise la mesure au pourcent près de la fraction d’éjection. N’entrons pas dans le débat de savoir si les méthodes échographiques, isotopiques ou radiologiques conventionnelles ou par IRM sont aussi pertinentes les unes que les autres pour la mesure de la fraction d’éjection du ventricule gauche, l’impression la plus générale étant que l’échographie cardiaque est souvent la méthode la moins pessimiste.
Les bonnes raisons de ne pas mettre un défibrillateur cardiaque en cas de FEVG inférieure à 35 %
Il s’agit des non-indications au DAI, en particulier des circonstances où les co-morbidités associées font que le bon sens justifie de ne pas procéder à l’implantation du DAI. Elles méritent néanmoins d’être rappelées car elles ne sont pas exceptionnelles dans le cas particulier de l’insuffisance cardiaque. Il s’agit des patients avec tachyarythmie ventriculaire soutenue incessante pour lesquels l’implantation d’un DAI (qui aurait de toute façon une longévité dérisoire) aboutirait à des chocs si nombreux que la qualité de vie serait inacceptable. L’association de l’insuffisance cardiaque à une maladie terminale et avec une espérance de vie inférieure à 1 an constitue également une non-indication à l’implantation. L’existence de séquelles neurologiques graves faisant suite à un arrêt cardio-respiratoire, les maladies mentales pouvant être aggravées par l’implantation du DAI ou empêcher le suivi sont également des non-indications au DAI. Enfin, en cas d’insuffisance cardiaque réfractaire chez un non candidat à la transplantation, l’implantation d’un DAI priverait le patient du confort relatif de la mort subite comparé à un décès par insuffisance cardiaque terminale. Le grand âge n’est pas une non indication intrinsèque à l’implantation d’un DAI, mais l’insuffisance cardiaque systolique symptomatique du centenaire est probablement associée à une « espérance de vie inférieure à un an ».
Les mauvaises raisons pour ne pas mettre un défibrillateur cardiaque si la FEVG est inférieure à 35 %
« Le patient n’a pas un traitement médical optimal de l’insuffisance cardiaque ». Le traitement médical optimal (ou du moins optimisé) est en effet requis dans les recommandations avant d’envisager l’implantation d’un DAI. Si cet élément est bien sûr indispensable avant une stimulation bi-ventriculaire dont le but sera de faire régresser des symptômes d’insuffisance cardiaque, il a peut-être une valeur un peu moindre pour la prévention de la mort subite. On peut craindre que le report sine die de l’implantation du DAI constitue finalement une perte de chance pour le patient si on n’arrive pas à instaurer de fait des doses académiques d’IEC, de bêtabloqueur et éventuellement de spironalactone.
Dans le post IDM, il est recommandé d’attendre au moins 6 semaines avant la mise en place du DAI, et par analogie directe, nous proposons les mêmes délais en cas de revascularisation pour les cardiopathies ischémiques.
De manière plus générale, notre pratique est d’attendre environ 3 mois en cas de dysfonction systolique nouvellement diagnostiquée ou de traitement insuffisant pour maximiser le traitement de l’insuffisance cardiaque. On pourra alors constater une hypothétique amélioration de la FEVG avant de décider de la mise en place du DAI.
« Il n’y a pas de signe qui font craindre une mort subite ». Il est injustifié d’attendre des signes de lipothymie, des syncopes, des anomalies à l’enregistrement Holter ou de réévaluer de quelconques capacités hémodynamiques pour se décider à implanter un DAI. C’est même le propre de la mort subite de ne pas avoir de signe annonciateur et ce sont les patients les plus stables avec une classe NYHA peu élevée qui ont les taux de décès subit proportionnellement les plus importants. Là encore, attendre constitue pour le patient une perte de chance, et c’est précisément le mérite des études SCD-HEFT et MADIT 2 d’avoir éliminé tous les autres critères en dehors de l’abaissement de la fraction d’éjection du ventricule gauche pour démontrer le bénéfice de l’implantation du DAI.
« Le patient a un infarctus du myocarde qui est maintenant très ancien et il va très bien depuis ». Ce dernier élément ne signifie certainement pas que le patient a fait la preuve qu’il n’avait pas besoin d’un DAI. Il existe une littérature assez abondante pour montrer que c’est chez les patients les mieux stabilisés où il existe précisément un seul risque résiduel à prendre en charge, celui de la mort subite.
« L’amélioration avec une resynchronisation bi-ventriculaire va significativement diminuer le risque de mort subite ». Cet élément est peut-être vrai dans une certaine mesure à l’échelle d’une population de patients. Il paraît déraisonnable d’affirmer que le risque de mort subite serait annulé avec une bonne resynchronisation à titre individuel. On ne peut donc pas prendre ce risque pour le patient.
« Il y a des complications avec l’implantation d’un DAI ». Il ne faut certes pas ignorer que pour une vie sauvée avec l’implantation de 20 DAI, 2 autres patients auront une complication propre au DAI, 5 autres auront un traitement inapproprié délivré par la prothèse et enfin 10 de plus n’auront pas un usage direct de l’appareil car ils n’auront pas d’évènement rythmique au cours du suivi. Néanmoins, on pourra répondre qu’une vie sauvée vaut largement les 2 complications de matériel telle qu’une rupture de sonde et son remplacement. Ne modifions pas le résultat des études, la morbimortalité est significativement diminuée avec la mise en place d’un DAI chez ces patients.
Peut-on identifier des indications optimales de DAI si FEVG < 35 % ?
Les nombreux paramètres, en particulier d’électrocardiographie quantitative (durée de QRS, potentiels tardifs, variabilité de la fréquence cardiaque, analyse de la repolarisation, dosage de marqueurs biologiques, etc.) ont un temps laissé penser qu’ils permettraient de mieux sélectionner les patients à haut risque qui bénéficient particulièrement de l’implantation du DAI, afin de réduire les implantations « inutiles » et pour rationaliser les coûts de santé. En l’état actuel des choses, ces différents paramètres ne sont pas suffisamment performants pour aider à prendre des décisions d’implantation.
Admettons toutefois que la largeur de QRS au-delà de 140 ms est un élément vraisemblable de risque supplémentaire de mort subite (même si elle n’est pas systématiquement rythmique).
En cas d’insuffisance cardiaque persistante, on sera souvent amené chez ces patients à proposer une resynchronisation biventriculaire qui sera associée à l’implantation du DAI et ceci permettra de se poser moins longtemps des questions pour une prise en charge avec prothèse électrique. L’exploration électrophysiologique avec stimulation ventriculaire programmée était un élément de discrimination complémentaire dans les anciennes recommandations mais a été retirée des algorithmes décisionnels dans les dernières recommandations lorsque l’on est dans le cadre strict de la prévention primaire des patients insuffisants cardiaques sans arythmie démontrée.
Il existe en revanche un score de risque avec 5 facteurs cliniques simples :
1. classe NYHA supérieure à II,
2. âge supérieur à 70 ans,
3. urée supérieure à 26 mg/dl,
4. durée de QRS supérieure à 120 ms,
5. fibrillation atriale.
Ce score de risque rapporté par Goldenberg à partir d’une analyse post hoc de MADIT 2 (JACC 2008) permettrait de déterminer tout à la fois les patients à faible risque avec peu d’évènements pour lesquels il y aurait peu d’intérêt à mettre un DAI, et par ailleurs ceux à très haut risque, pour lesquels le taux de mortalité reste élevé même avec implantation d’un DAI. C’est pour les patients avec seulement 1 ou 2 facteurs de risque que l’implantation d’un DAI est la plus bénéfique (figure 2).
Figure 2. Diminution du risque de décès avec le DAI dans MADIT 2 en fonction du nombre de facteurs de risque clinique (NYHA > II, âge >70 ans, urée > 26 mg/dl, durée QRS > 120 ms, FA). La diminution est moins nette pour les patients les moins graves et pour les plus graves (Goldenberg, JACC 2008).
En pratique
Lorsqu’un patient a une fraction d’éjection du ventricule gauche inférieure à 35 %, il se pose d’emblée la question de savoir s’il faut implanter un DAI.
La réponse se fait au cas par cas : il y a souvent beaucoup de bonnes raisons de répondre oui et il y a quelques bonnes raisons de répondre non.
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