Publié le 15 mar 2011Lecture 16 min
Insuffisance cardiaque du 4e âge : jusqu’où aller ?
F. DELAHAYE, A.-M. ANTCHOUEY et J. PERRIN-FAURIE
Voici le compte rendu d’une séance consacrée au patient insuffisant cardiaque très âgé durant les récentes Journées européennes de la Société française de cardiologie. Quatre points de vue ont été présentés.
Le point de vue de l'urgentiste
F. Lapostolle, SAMU 93
La question est pertinente au vu des données démographiques (figure 1). Le SAMU est appelé parce qu’un patient a présenté un malaise. Ce patient âgé de 79 ans, hypertendu, diabétique insulinodépendant, dément, est dépendant pour toutes les activités de la vie quotidienne. La tension artérielle est à 150/100 mmHg, le patient est marbré, il y a des crépitants diffus à l’auscultation pulmonaire, la fréquence respiratoire est à 30/min, la saturation en oxygène est à 80 % sous 15 l d’oxygène, l’ECG montre un infarctus antérieur en voie de constitution. Engage-t-on ou non des thérapeutiques actives (traitement pharmacologique, oxygénation/ventilation invasive ou non invasive) ?
Les recommandations communes des Sociétés françaises de cardiologie et de gériatrie et gérontologie[1] n’envisagent pas cette situation aiguë au domicile du patient avant l’hospitalisation, qu’il s’agisse du diagnostic ou de la thérapeutique.
Première étape, il faut une certitude diagnostique. On peut s’aider du dosage immédiat du BNP, de l’échocardiographie à l’aide d’un appareil portable, et de la détermination non invasive du débit cardiaque.
Figure 1. Estimation de l’augmentation de la population âgée en Europe.
« L’urgentiste ne doit pas se prendre pour Dieu. »
Les recommandations de la Société de réanimation de langue française (1er juillet 2010) sur les limitations et arrêts des thérapeutiques actives en réanimation de l’adulte ne peuvent pas être utilisées dans cette situation, pour deux raisons :
• la procédure de réflexion doit être collégiale (la décision est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins et sur l’avis motivé d’au moins un médecin appelé en qualité de consultant, voire d’un deuxième) : elle ne peut pas l’être ici puisque l’urgentiste est seul ;
• l’urgence : « Selon les termes définis par la loi, l’urgence (et l’absence de possibilité d’entreprendre une procédure collégiale) ne permet pas d’engager un processus de décision de limitation ou d’arrêt des traitements. Néanmoins, ces deux situations ne doivent pas conduire à l’obstination déraisonnable si l’issue est à l’évidence fatale à très brève échéance (quelques heures) ».
L’attitude a été active : traitement pharmacologique du syndrome coronaire aigu et de l’insuffisance cardiaque ; ventilation non invasive ; accès direct en salle de coronarographie pour angioplastie primaire.
Le docteur Lapostolle a voulu ne pas donner l’évolution de ce patient : est-il vivant ? On a eu raison d’être actif ; est-il mort ? On a eu tort.
Le point de vue du cardiologue
F. Delahaye, Hôpital Louis Pradel, Lyon-Bron
L’insuffisance cardiaque est très fréquente chez les sujets du 4e âge (> 10 %), dans une population numériquement en augmentation. Elle est grave : chez les octogénaires hospitalisés pour insuffisance cardiaque, la médiane de survie est de 4 mois. Le diagnostic est plus difficile que chez le sujet plus jeune, du fait de présentations atypiques, d’une part, des comorbidités associées, d’autre part. On recourt peu souvent à l’échocardiographie pour établir le diagnostic. La forme diastolique de l’insuffisance cardiaque est particulièrement fréquente dans cette population. Chez ces sujets, la sous-prescription est très importante.
Chez ces sujets, la sous-prescription est très importante.
Il y a très souvent des comorbidités, notamment des troubles neuropsychiatriques, de l’appareil locomoteur, des systèmes d’équilibre. Virtuellement tous les octogénaires ont des comorbidités associées à l’insuffisance cardiaque, un tiers d’entre eux ont au moins cinq comorbidités. Ces comorbidités posent le problème d’une ordonnance longue, et donc de l’observance, d’une part, des interactions médicamenteuses, d’autre part.
Une approche multidisciplinaire et individualisée
Les objectifs du traitement de l’insuffisance cardiaque sont l’augmentation de l’espérance de vie, l’amélioration de la qualité de vie, la réduction du nombre et de la durée des hospitalisations et le ralentissement de la progression de la maladie.
Chez les sujets très âgés, il faut plus avoir pour objectif l’augmentation de la qualité de vie que celle de la durée de vie. Du fait de la grande hétérogénéité de cette population en termes de mode de vie, de comorbidités, de souhaits personnels, la prise en charge doit être individualisée. Il doit y avoir une approche gériatrique globale et une évaluation gérontologique complète, afin de dépister les maladies associées, d’apprécier le degré de dépendance et de rechercher une « fragilité » (frailty). Doivent être évalués les fonctions cognitives, le degré d’autonomie, l’état somatique, le contexte de vie et la prise en charge médico-sociale.
La prise en charge de l’insuffisance cardiaque chez le sujet très âgé doit être pluridisciplinaire et associer le médecin généraliste, le cardiologue, le gériatre, l’infirmier, le diététicien et l’assistante sociale. Cette prise en charge pluridisciplinaire permet la mise en œuvre d’une éducation thérapeutique, la surveillance de l’observance aux médicaments, à la diététique, à l’exercice, et une surveillance rapprochée.
En termes de traitements, « ni trop, ni trop peu » : il n’y a pas de raison de priver, a priori, le patient de thérapeutiques bénéfiques ; a contrario, primum non nocere. Il faut donc, pour chaque thérapeutique, mesurer les bénéfices et les risques.
Quelles thérapeutiques ?
Très peu d’essais randomisés s’intéressent spécifiquement au sujet âgé, mais il n’y a pas de raison de ne pas extrapoler les résultats observés chez les sujets plus jeunes[1].
Les diurétiques sont, bien entendu, très utiles pour traiter la congestion. Il y a des risques d’hypovolémie (majorée en cas de diarrhée, de vomissements, de fièvre, de fortes chaleurs), d’hyponatrémie (notamment lors d’une association à un antidépresseur sérotoninergique) et d’hypokaliémie (en particulier en cas de diarrhée ou d’utilisation de laxatifs). Il doit donc y avoir une surveillance biologique étroite, de l’ionogramme sanguin et de la créatininémie. Il est fondamental, une fois la congestion traitée, de réduire la dose du diurétique.
Les médicaments anti-aldostérone doivent être envisagés en cas de classe III ou IV de la NYHA persistante. Les risques sont l’hyperkaliémie et l’insuffisance rénale. Il vaut mieux utiliser des doses faibles (12,5 mg/j). La surveillance biologique (ionogramme, créatinine) rapprochée est fondamentale.
Le traitement par IEC doit être commencé à distance d’un épisode de déplétion sodée. La posologie initiale doit être faible, puis les doses sont augmentées progressivement. Il faut songer à diminuer ou arrêter des médicaments moins utiles (doses des diurétiques, AINS, nitrés, etc.). Les risques sont l’hypotension orthostatique, l’aggravation de la fonction rénale et l’hyperkaliémie ; il faut donc une surveillance clinique et biologique étroite.
En ce qui concerne les bêtabloquants, l’essai SENIORS a inclus exclusivement des sujets âgés de > 70 ans (moyenne : 76 ans). Il y a eu un bénéfice net en termes de réduction de la mortalité. Le traitement doit être commencé à distance d’un épisode de décompensation. Comme pour les IEC, la posologie initiale doit être faible, les doses ensuite augmentées progressivement. Il faut penser à diminuer ou à arrêter des médicaments moins utiles (doses et diurétiques, inhibiteurs calciques, nitrés, etc.).
La digoxine est utilisée en cas de fibrillation atriale, ou chez des patients restant très symptomatiques malgré les thérapeutiques précédentes. Il doit y avoir un contrôle strict de la fonction rénale. Il vaut mieux utiliser des doses faibles (0,125 mg/j), et l’on peut s’aider du dosage de la digoxinémie, qui doit être < 0,8 ng/ml.
Si les critères sont réunis (patient restant très symptomatique malgré un traitement optimal, largeur de QRS, fraction d’éjection abaissée), la resynchronisation biventriculaire peut être proposée car, au-delà de son efficacité sur la mortalité, elle améliore souvent nettement les symptômes. En revanche, l’indication du défibrillateur implantable doit être soigneusement pesée.
Dans l’insuffisance cardiaque diastolique, pourtant particulièrement fréquente, le traitement reste empirique. L’utilisation des diurétiques et des nitrés doit être prudente, du fait de la possibilité d’une baisse de la précharge, qui conduit à une baisse du débit cardiaque. On utilise volontiers les agents bradycardisants (bêtabloquants, inhibiteurs calciques) afin d’augmenter la durée du remplissage ventriculaire, mais il faut se méfier des troubles de conduction (dysfonction sinusale, troubles de conduction atrioventriculaire), qui sont particulièrement fréquents.
Les thérapeutiques non médicamenteuses doivent aussi être envisagées. Le poids doit être surveillé. Les règles nutritionnelles doivent être plus souples que chez le sujet plus jeune. En cas d’obésité, la réduction pondérale n’est pas un objectif prioritaire, car un régime mal conduit favorise la malnutrition. Le régime sans sel strict ne doit pas être fait en dehors des phases de décompensation. Il faut prêter garde au fait que le régime peu salé entraîne un risque d’hyponatrémie, d’anorexie, et qu’il ne doit pas faire réduire les activités sociales et les repas, qui rompent l’isolement. En dehors des poussées, la consommation liquidienne doit être de 1,5 à 2 litres par jour, en faisant attention à l’altération de la sensation de soif chez la personne âgée. Il doit y avoir une activité physique quotidienne, afin de lutter contre le déconditionnement ; l’activité doit être adaptée à l’état physique du patient.
La pronostication reste très difficile. De très nombreuses variables influent sur le pronostic. Le modèle de Seattle (http://depts.washington.edu/shfm/), à l’aide de quelques données cliniques et biologiques faciles à recueillir, permet une assez bonne estimation de la durée de vie restante. Des indicateurs d’une fin de vie prochaine sont la répétition des épisodes de décompensation, les arythmies malignes, la nécessité d’un traitement par voie intraveineuse, de façon fréquemment répétée ou en continu, une mauvaise qualité de vie en permanence, une classe IV réfractaire de la NYHA ou une cachexie.
Les soins palliatifs sont trop peu envisagés dans le domaine de l’insuffisance cardiaque. Plutôt que le modèle ancien, qui faisait succéder les soins palliatifs aux soins curatifs quand ceux-ci étaient devenus inopérants, on doit plutôt envisager l’institution des soins palliatifs tôt dans l’évolution, ces soins palliatifs prenant progressivement de l’importance, celle des soins curatifs diminuant (figure 2).
Figure 2. Place respective des soins palliatifs et curatifs.
En conclusion, il faut tenir compte des désirs du patient. L’évaluation doit être globale, la prise en charge doit mettre en œuvre une équipe pluridisciplinaire. Pour chaque thérapeutique, il faut faire la balance des bénéfices et des risques. Les soins palliatifs doivent prendre de l’importance.
Le point de vue du gériatre
N. Faucher, Hôpital Bichat Claude Bernard
Au sein des sujets âgés, on identifie plusieurs sous-groupes :
• les jeunes sujets âgés, les sujets dans leur 7e décennie ;
• les sujets âgés, de la fin de la 7e et du début de la 8e décennie ;
• les plus âgés, au-delà de 85 ans.
Pour le gériatre, les modifications surviennent après 75 ans. L’âge en soi est sans signification clinique ! Le vieillissement correspond à la diminution des réserves.
Alors qu’il y a environ 65 millions de Français et que la taille de la population française aura été multipliée par 1,5 entre 1950 et 2050, du fait de l’allongement de l’espérance de vie, la population des sujets âgés de > 85 ans aura, pendant la même période, été multipliée par 10 ! L’espérance de vie à la naissance est de 77,5 ans chez les hommes et de 84,4 ans chez les femmes en 2008. À 60 ans, cette espérance de vie est respectivement de 22 et 27 ans ; à 75 ans, respectivement de 10 et 13 ans ; à 85 ans, respectivement de 5,6 et 7,1 ans. En 2008, 7,8 % de la population était âgée de 65 à 74 ans, 6,2 % de 75 à 84 ans et 2,2 % de plus de 85 ans. En 2050, il y aura 11 millions de sujets âgés de plus de 75 ans, 4,2 millions âgés de plus de 85 ans, et 165 000 centenaires.
Vivent à domicile :
• 90 % des sujets âgés de plus de 75 ans, 81 % des sujets âgés de plus de 80 ans, 64 % des sujets âgés de plus de 90 ans ;
• deux tiers des personnes âgées dépendantes ;
• 60 % des sujets victimes de la maladie d’Alzheimer.
La consommation journalière de médicaments est de 3,3 médicaments chez les sujets âgés de 65 à 74 ans, 4,0 chez les sujets âgés de 75 à 84 ans, et 4,6 chez les sujets âgés de plus de 85 ans.
Il arrive souvent en gériatrie que la décompensation d’une fonction entraîne des décompensations d’organes en série. Par exemple, une broncho-pneumopathie hypoxémiante, qui entraîne la décompensation d’une insuffisance cardiaque, qui entraîne la décompensation d’une insuffisance rénale, d’où une intoxication digitalique, des vomissements, une déshydratation, une chute, une fracture du col du fémur…
L’âge physiologique n’est pas un frein au traitement, le syndrome démentiel non plus. Il faut connaître le degré de dépendance du sujet et évaluer sa qualité de vie. Il faut recueillir ces informations auprès du patient, mais en prêtant garde au syndrome dépressif sous-jacent, très fréquent. Il faut aussi demander à la famille, mais prendre garde que des familles peuvent être trop optimistes, et demandeuses, ou a contrario trop pessimistes. Il faut privilégier le confort et l’amélioration des symptômes, traiter en ce sens, et régulièrement réévaluer.
Deux situations cliniques récentes, qui se ressemblent beaucoup, mais dont l’évolution est très différente :
• Cette patiente de 93 ans vit seule, elle est aidée par son voisinage. Elle est démente et très dépendante. Elle a un rétrécissement aortique serré. Elle est hospitalisée du fait d’un œdème aigu du poumon, dans le contexte d’une anémie. Elle est victime d’un arrêt cardiorespiratoire et hypoxique. Comme le contexte n’est pas connu, elle est hospitalisée en réanimation puis en gériatrie. Après une amélioration transitoire, survient une insuffisance rénale aiguë anurique. Le contexte étant cette fois connu, la mutation en réanimation est récusée. Sont mis en œuvre un traitement symptomatique puis une prise en charge palliative. La patiente décède après quelques jours.
• Une autre patiente, âgée de 98 ans, vit seule. Elle est autonome mais confinée à domicile. Elle a des aides professionnelles. Elle est hospitalisée pour œdème aigu du poumon dans le contexte d’une anémie. Grâce au traitement, l’amélioration est nette, et la patiente retourne à domicile.
Les conclusions de la gériatre sont très voisines de celles du cardiologue ; il faut mettre en balance les bénéfices et les risques, raisonner au cas par cas, engager une évaluation multidisciplinaire, privilégier la qualité de vie, mais ne pas sous-traiter ! Il faut aussi savoir s’arrêter.
Le point de vue de l’éthicien
V. Fournier, Hôpital Cochin
Les temps changent vite… Hier, on devait faire en sorte que les personnes âgées accèdent à tous les soins disponibles sans considération d’âge. Aujourd’hui, le temps est venu de se demander si parfois on n’en fait pas trop. L’insuffisance cardiaque est une maladie du grand âge : sa prévalence passe de 3 ‰ chez les femmes, 4 ‰ chez les hommes âgés de 55-65 ans à 85 ‰ chez les femmes, 50 ‰ chez les hommes âgés de 85-95 ans. Aujourd’hui, beaucoup de personnes âgées meurent « mal » : près de 80 % des gens meurent à l’hôpital ou en établissement médico-social ; à l’heure de leur mort, 75 % ne sont plus autonomes au plan de la marche, 33 % sont incontinents, 40 % ont des troubles cognitifs. Comment meurt-on d’insuffisance cardiaque aujourd’hui ?
Plutôt que de « prolonger le vivre », n’en vient-on pas parfois à « prolonger le mourir ? »
Près de 80 % des gens meurent à l’hôpital ou en établissement médico-social.
Deux histoires tirées d’une étude sur les « directives anticipées » chez 200 sujets âgés de plus de 75 ans, dont 20 en insuffisance cardiaque sévère.
• Un homme âgé de 78 ans, originaire d’Europe de l’Est, en France depuis plus de 30 ans, ancien peintre en bâtiment, vit à la maison avec sa femme. Une fille et un petit-fils sont bien présents. L’insuffisance cardiaque, mixte (HTA, ischémique), est très évoluée. Il a un défibrillateur depuis 5 ans. Depuis un an, il est hospitalisé toutes les 6 semaines environ pour décompensation. Le cardiologue pose la question du changement de la pile du défibrillateur. Le patient, dans ses directives anticipées :
« Je suis arrivé à un stade où je ne peux plus rien faire, ni marcher, ni parler… C’est une vie de chien, je suis à terre et cela me bouffe. »
« À la maison, c’est pas tellement mieux, la vieille elle m’embête… Quand on est malade, on rentre dans soi-même, dans sa douleur… J’attends pour crever. »
« On m’a dit : on va essayer de tirer 10 ans, cela fait 15 ans, alors on ne sait jamais… »
• Un homme âgé de 77 ans, ancien architecte, vit avec sa femme à domicile. Il a deux enfants d’une première union, dont un est proche. Il a une insuffisance cardiaque très évoluée sur vieille cardiopathie valvulaire. Il a un défibrillateur. Depuis un an, il est hospitalisé tous les 3 mois environ pour décompensation. Le patient, dans ses directives anticipées :
• « Quand on est devenu minable, il y a une question folle qui se pose… Ne faudrait-il pas pouvoir se transformer en soleil vert ? »
• « On termine bien les chiens, il faudrait pouvoir s’en aller sans souffrir… Je suis pour l’euthanasie, sans mise en scène… Mais quand ? On doit toujours avoir envie de tirer un jour de plus… En attendant ? Oui, se traiter encore. Les soins intensifs ? Oui, encore, s’il le faut. »
• « Je suis aussi bête que les autres, je ne sais pas comment résoudre la question. »
• « Mon périmètre de vie est complètement rétréci, il n’a plus de sens. »
• « Que ma femme décide ? Non, elle serait capable de vouloir me garder juste pour ne pas rester seule. »
Comment s’arrêter ?
Madame Fournier fait la proposition de changer de question : plutôt que « jusqu’où aller ? », « comment s’arrêter ? » : Faut-il débrancher le défibrillateur ? Faut-il attendre que la pile s’épuise ? Peut-on faire de même avec un stimulateur ? Peut-on accepter de ne plus proposer de ventilation assistée en cas de détresse respiratoire et accepter qu’un patient puisse mourir d’un OAP ? Faut-il parler fin de vie, soins palliatifs avec les patients ? Quand, comment, qui doit en parler ? Que faire s’ils expriment vouloir continuer au-delà de ce qui nous semble à nous raisonnable ? Peut-on apprendre, même en tant que cardiologues, à les accompagner jusqu’au bout, y compris de façon palliative ?
Que pensent les patients ? ceux qui veulent encore plus que ce que la médecine peut offrir (ou leurs proches) ; ceux qui ne veulent pas anticiper et aborder ces questions (« Inc’h Allah! ») ; ceux qui voudraient bien, qui ne trouvent pas d’interlocuteur et qui tournent ces questions toute la journée, seuls dans leur tête. Il y a peu de littérature sur ce point.
Que pensent les médecins ? Ceux pour qui le métier reste essentiellement de faire progresser toujours plus les techniques au service de plus de vie ; ceux qui n’osent pas ne pas mettre en route un traitement qui sauve lorsqu’il est disponible ; ceux qui pensent que ces questions sont pertinentes mais qui ont peur de se faire dénoncer pour « agéisme » ; ceux qui accusent le système et sa logique économique : la T2A conduit à multiplier les actes quelle qu’en soit la pertinence ; - pour tous, la question reste compliquée de savoir comment servir au mieux le patient : quantité de vie versus qualité de vie, jusqu’où aller, comment aborder ces questions avec le patient…
Et la société qui laisse faire les médecins, tout en dénonçant le non-sens d’en faire trop, le déni général de la mort et la toute puissance médicale.
Madame Fournier propose quelques éléments de réflexion :
Les outils de travail utiles dans d’autres maladies sont ici de peu de secours : du fait de l’histoire naturelle de l’insuffisance cardiaque (longue chronicité émaillée de crises souvent résolutives ; difficulté de dégager un point de non retour) ; du fait du type de thérapeutiques engagées (problème des dispositifs médicaux) ; du fait de la difficulté d’informer le patient (par exemple, la compréhension qu’il a du rôle des dispositifs médicaux).
Les directives anticipées sont un dispositif peu adapté : quand commence la fin de vie ? Quelles directives anticipées sont utiles ? acharnement thérapeutique, point de non retour, actes acceptables/non acceptables.
Quant aux soins palliatifs, il est important de les introduire précocement et de façon complémentaire plutôt que substitutive. Mais il y a des difficultés : quelle acceptation est possible par le patient à un stade précoce ? La situation ici ne correspond pas à la définition classique des soins palliatifs (probabilité < 10 % de survivre plus de 3 mois) ; ils nécessitent une technicité et des coûts incompatibles avec une unité de soins palliatifs.
En alternative, une discussion avec les patients sur l’évolution de la maladie doit avoir lieu très en amont. La connaissance doit porter davantage sur l’histoire de vie, les valeurs, les liens affectifs, les ressources de l’environnement que sur les décisions médicales : que craignez-vous le plus ? Qu’espérez vous le plus ? Il faut travailler la spécificité des soins palliatifs en cardiologie.
L’éthique pose des questions spécifiques en cardiologie. Il y a eu une première conférence sur ce thème à Philadelphie en octobre 2010. Quid en Europe et en France ? L’insuffisance cardiaque est-elle un modèle utile pour d’autres maladies chroniques du vieillissement ?
Quelle médecine pour quelle vieillesse ?
Dans l’insuffisance cardiaque, plutôt que « jusqu’où aller ? » la question est plutôt « comment s’arrêter ? ». Mais cette question est-elle vraiment liée au grand âge ? « Comment s’arrêter » est une question particulièrement difficile en cardiologie, et les éléments de réponse venus d’autres spécialités n’aident guère ; « jusqu’où aller » est une vraie question dans l’insuffisance cardiaque mais aussi dans d’autres situations de cardiologie chez des sujets très âgés : stimulateur, valvuloplastie percutanée en cas de rétrécissement aortique serré chez un nonagénaire ?
Pourquoi avons-nous tant de mal à laisser nos patients prendre le risque d’une mort cardiaque sans rien faire ? À l’heure où s’ouvre le grand chantier du financement pour la grande dépendance, il faut débattre du sujet : quelle médecine pour quelle vieillesse ?
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