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Insuffisance cardiaque

Publié le 27 sep 2005Lecture 12 min

La dysfonction ventriculaire gauche du coronarien chronique

S. WEBER, hôpital Cochin, Paris

Le niveau d’altération de la fonction systolique du ventricule gauche reste l’un des facteurs prédictifs majeurs, probablement même le plus important de tous, du pronostic au long cours de la maladie coronaire.

Trois mécanismes Comme nous l’avons précédemment envisagé, le mécanisme de la dysfonction ventriculaire gauche du coronarien chronique n’est pas univoque puisqu’il associe : - l’amputation, par cicatrice d’infarctus, de la fonction systolique du ventricule gauche. L’anatomie de ces cicatrices fibreuses irréversibles et définitives associe dans des proportions variables les séquelles d’un ou plusieurs infarctus transmuraux ainsi que la présence, d’autant plus fréquente que la maladie coronaire est plus ancienne, d’îlots de micronécrose, à nette prédominance sous-endocardique, séquellaires d’épisodes ischémiques aigus ayant souvent été cliniquement méconnus ; - l’existence de territoire akinétique hibernant représente le deuxième mécanisme contributif à la détérioration de la fonction ventriculaire gauche. Bien entendu, l’individualisation d’un tel territoire hibernant est fondamentale car pouvant déboucher sur une restauration de la fonction contractile locale par le biais d’une revascularisation myocardique ; - une altération globale de la fonction diastolique du ventricule gauche, il n’est pas rare, au fur et à mesure du vieillissement du patient, que se surajoute à ces deux conséquences directes de la cardiopathie ischémique. Faire la part entre ces trois mécanismes et loin d’être un simple exercice académique mais débouche au contraire sur des décisions thérapeutiques très concrètes.   Circonstances du diagnostic Le diagnostic de dysfonction ventriculaire gauche ou d’insuffisance cardiaque patente peut être évoqué chez le coronarien chronique dans diverses circonstances.   Si celle-ci se révèle dès la phase aiguë Ce diagnostic peut être posé dès la phase inaugurale de la maladie si celle-ci a débuté par un infarctus transmural ayant sévèrement amputé la fonction gauche.   Si celle-ci est dépistée par la surveillance systématique Assez souvent en l’absence de toute symptomatologie de défaillance cardiaque, c’est la surveillance systématique d’un coronarien chronique qui permet de déceler, notamment à l’échographie, une altération de la fonction ventriculaire gauche d’autant plus aisément mise en évidence, que l’on dispose d’un examen échographique de référence. Le choix de cette référence est important ; si la maladie coronaire a débuté par une nécrose reperfusée il est important d’effectuer une échographie un à deux mois après l’hospitalisation pour faire le point de l’étendue exacte des séquelles ventriculaires définitives ; ce délai est en effet nécessaire pour que se dissipe totalement un éventuel phénomène de sidération myocardique. Quand faire l’échographie ? Chez le coronarien asymptomatique, il n’y a pas de recommandation « officielle » concernant la fréquence optimale des échographies de surveillance de la fonction ventriculaire. De façon très pragmatique, la réalisation annuelle d’une échographie si la fonction gauche était initialement moyennement altérée et tous les deux ans si la fonction gauche était normale ou sub-normale paraît un bon compromis. La constatation d’une diminution significative de la fraction d’éjection entre deux examens systématiques peut faire discuter, en fonction du cas particulier de chaque patient et des éventuelles comorbidités associées, une réévaluation coronarographique. S’il y a eu progression lésionnelle, sur le tronc coronaire épicardique nourricier du territoire nouvellement hypo- ou akinétique, l’indication d’une revascularisation est bien sûr à l’ordre du jour. Celle-ci sera faite sans arrière-pensée s’il s’agit d’une simple hypokinésie. Si par contre, il s’agit d’une nouvelle zone d’akinésie, l’indication d’une revascularisation sera conditionnée par la démonstration d’une viabilité myocardique dont nous envisagerons, ci-dessous les modalités. Place de l’épreuve d’effort. L’hypothèse d’une dysfonction ventriculaire gauche peut également être évoquée lorsque, toujours dans le cadre de la surveillance systématique d’un coronarien asymptomatique, la performance à l’effort diminue brutalement entre deux épreuves d’effort de surveillance annuelle. Les raisons de la baisse de la tolérance à l’effort d’une année sur l’autre sont multiples. - Elle peut être liée à une ischémie, ce qui poserait la question d’une adaptation du traitement médicamenteux et/ou d’une nouvelle exploration coronarographique. - Si la diminution de la performance à l’effort est en rapport avec une dyspnée et/ou une fatiguabilité musculaire, il peut s’agir de l’expression d’une détérioration de la fonction ventriculaire gauche. Le renouvellement de l’épreuve d’effort avec mesure de la VO2 permet, dans ce cas, de mieux préciser le mécanisme de cette baisse de performance et conduire ainsi à une réévaluation de la fonction gauche.   S’il existe des symptômes Dyspnée. L’apparition d’une dyspnée d’effort peut également être la circonstance révélatrice de la détérioration de la fonction gauche. Ce symptôme n’est cependant pas univoque chez le coronarien chronique ; l’interrogatoire s’efforcera de distinguer dyspnée et blockpnée ; sur ce terrain, où la prévalence du tabagisme et donc des bronchopathies obstructives est élevée, une origine respiratoire pure est possible. Le dosage des taux sanguins du BNP ou du NT-pro-BNP prend dans ce cas toute sa valeur. Œdème pulmonaire. Enfin, il est relativement fréquent que l’insuffisance cardiaque se manifeste par la survenue brutale d’un œdème ou d’un subœdème pulmonaire. Dans ce cas, il convient de systématique rechercher, comme facteur responsable de cette décompensation ventriculaire gauche, un syndrome coronarien aigu indolore.   Évaluation de la viabilité myocardique Elle doit être une préoccupation centrale lors de la prise en charge de la dysfonction ventriculaire gauche du coronarien chronique, quelles que soient les circonstances ayant amené à ce diagnostic. L’existence ou non d’une viabilité, c’est-à-dire en pratique le diagnostic différentiel entre hibernation myocardique et cicatrice postinfarctus conditionne les possibilités de récupération de la fonction systolique régionale après revascularisation. S’il s’agit bel et bien d’une hibernation, la revascularisation du territoire correspondant représente, et de loin, la meilleure chance d’améliorer le pronostic (figure 1). Encore faut-il que le territoire hibernant soit d’étendue suffisamment conséquente pour que l’amélioration de la fonction systolique soit utile. Il n’y a cependant pas de réelle nécessité à quantifier l’étendue du territoire hibernant. - Si la fonction ventriculaire gauche globale n’est que modérément altérée aux alentours de 45 % : « récupérer » un petit territoire hibernant et probablement dénué de réel intérêt. - En revanche, si la fonction de base est à 30 %, et a fortiori s’il existe des signes de décompensation ventriculaire gauche, la récupération de la contractilité du même « petit » territoire peut spectaculairement améliorer les symptômes et peut-être, dans une moindre mesure également fournir un bénéfice significatif en matière de survie. Figure 1. Effets comparatifs du traitement médical et de la revascularisation selon l’existence ou non d’une viabilité myocardique. La première étape est l’échographie La première étape de la démarche d’évaluation d’une viabilité consiste à analyser soigneusement la simple échographie transthoracique en la comparant à l’examen de référence. Si les zones nouvellement akinétiques ont conservé leur épaisseur pariétale, l’existence d’une viabilité peut être espérée. S’il y a, en revanche, amincissement significatif, il s’agit très probablement d’une cicatrice fibreuse d’infarctus (figure 2). Figure 2. Suivi échographique de la fonction VG chez le coronarien chronique. Plusieurs techniques sont envisageables pour préciser le diagnostic d’hibernation myocardique. L’échographie de stress à la dobutamine complète l’échographie transthoracique classique et peut être performante avec cependant deux limites : • l’extrême « opérateur-dépendance » de cette technique qui n’est réellement fiable que lorsqu’elle est effectuée par une équipe particulièrement entraînée à cette méthode d’évaluation ; • de surcroît, la présence d’un traitement bêtabloquant, qui devrait être constant chez ce coronarien chronique, rend sinon impossible, tout du moins plus difficile, la mise en œuvre de cette méthode.   La tomographie à émission de positons À l’autre extrême, elle représente certainement le gold standard. Cette méthode isotopique permet d’analyser simultanément le débit de perfusion et l’existence ou non d’une activité métabolique au niveau du territoire exploré. Si le débit régional est effondré et s’il existe une captation de glucose témoignant donc d’un métabolisme résiduel, le diagnostic d’hibernation est formellement établi (figure 3). La probabilité d’observer une restauration de contractilité en postrevascularisation est maximale. Cette technique a l’immense inconvénient d’être très peu disponible, notamment en France. Figure 3. Recherche de viabilité par TEP (tomoscintigraphie par émission de positons). Image en coupe grand axe retrouvant une fixation homogène du traceur au niveau de l’ensemble du myocarde et attestant de la présence de viabilité dans l’ensemble des territoires. NB: un territoire est dit « viable » son niveau fixation est au moins égal à la moitié du territoire présentant le niveau de fixation le plus important. La scintigraphie de perfusion au thallium Associée à la réinjection au bout de 24 h d’une deuxième dose d’isotope et à la pratique de cliché tardif, voire ultra tardif, elle représente une alternative à la tomographie de l’émission de positon. Il s’agit cependant d’une technique plus rustique, nettement moins sensible et probablement un peu moins spécifique (figure 4). Figure 4. Recherche de viabilité par tomoscintigraphie myocardique après injection de thallium 201(petit axe). Au repos : présence d’une hypofixation intéressant l’ensemble de la paroi inférieure, la paroi antérieure, l’apex et le septum. La paroi latérale présente une fixation satisfaisante témoignant dès à présent de l’existence de viabilité. En redistribution (clichés tardifs à la 24e heure) : amélioration de la fixation au niveau de la paroi inférieure, du septum et une portion de l’apex et témoignat le la présence de viabilité. L’IRM cardiaque Elle représente depuis peu une alternative que l’on peut considérer comme validée. Cette IRM est associée à l’injection d’un contraste paramagnétique, le gadolinium. Ce produit de contraste ne diffuse habituellement pas dans le myocarde si l’architecture capillaire et cellulaire est conservée. Si l’on observe une imprégnation myocardique en gadolinium, cela témoigne de dégâts myocardique irréversibles. Plus la fixation de gadolinium est importante, plus le pourcentage de cellules nécrosées par rapport aux éventuelles cellules hibernantes sera élevé. La place de l’IRM au sein des techniques de détection de la viabilité est donc probablement amenée à augmenter chez le coronarien à mauvaise fonction ventriculaire. Elle peut être guidée : • par l’existence d’une ischémie résiduelle documentée non-contrôlable par le traitement médicamenteux ; • par la constatation, comme chez tous les coronariens de lésions à très haut risque anatomique (tronc commun, tritronculaire concernant l’IVA proximale) ; la seule réserve peut venir d’une altération extrême de la fonction ventriculaire gauche < 25 %. Dans ce cas, la recherche d’une viabilité peut conditionner l’indication opératoire ; • par la mise en évidence d’un territoire myocardique hibernant, lors du bilan d’une détérioration progressive de la fonction gauche, accessible, comme nous venons de l’envisager, à une revascularisation. Le tableau suivant compare les avantages et les inconvénients de ces méthodes d’évaluation de la viabilité (tableau). Traitement Le choix entre chirurgie et angioplastie dépend des conditions anatomiques et d’éventuelles comorbidités. Lorsqu’il s’agit de récupérer un territoire hibernant d’étendue « moyenne », il peut être raisonnable de poser l’indication de la revascularisation si elle peut être effectuée dans de bonnes conditions techniques par angioplastie. En revanche, on sera plus réticent si le prix à payer, pour une telle récupération de cinétique segmentaire passe par la validation d’une revascularisation chirurgicale. Il s’agit-là d’une discussion devant être menée au cas par cas, lors de réunions médicochirurgicales.   Le traitement médicamenteux de la dysfonction ventriculaire gauche chronique ischémique Actuellement bien standardisé, il comporte le traitement de base de la maladie coronaire : antiagrégants plaquettaires et statines. Les bêtabloquants et les IEC sont les deux classes pharmacologiques incontournables. Dans la plupart des cas, les patients étaient déjà bêtabloqués, dès le début de leur maladie coronaire, avant même que ne se détériore la fonction gauche. Il n’y pas de raison de changer de molécules bêtabloquantes ; en revanche, la bonne adaptation de la posologie mérite d’être réévaluée. Si le patient n’était pas soumis à un traitement IEC, l’apparition de symptômes d’insuffisance cardiaque et/ou la constatation d’une altération franche de la fonction ventriculaire gauche avec une FE < 40 % représente une indication formelle. Comme pour les bêtabloquants, la pleine efficacité en matière de contrôle symptomatique comme d’amélioration du pronostic nécessite l’utilisation des « pleines » posologies. Moyennant une adaptation progressive des doses, éventuellement la diminution d’autres thérapeutiques vasodilatatrice ou diurétique, il est le plus souvent possible d’instaurer, sans effet indésirable inacceptable, un traitement IEC fortement dosé. L’utilisation des diurétiques est indispensable lorsqu’il existe des symptômes d’insuffisance cardiaque ; l’indication est plus discutable lorsqu’il s’agit d’une dysfonction gauche asymptomatique. Contrairement aux bêtabloquants et aux IEC, c’est la posologie minimale efficace de diurétique, généralement furosémide, qui sera instaurée. Le but, en dehors d’une éventuelle décompensation œdémateuse, n’est en effet pas d’induire une déplétion hydrosodée mais de se contenter de normaliser le bilan des entrées et des sorties du sodium. Dans les formes sévères, l’adjonction de spironolactone améliore les symptômes et, dans une certaine mesure, le pronostic moyennant une surveillance soigneuse de la fonction rénale et du ionogramme plasmatique. Si malgré les bêtabloquants, persiste une ischémie et s’il n’y a pas d’indication de revascularisation, il peut être nécessaire d’adjoindre une autre classe pharmacologique d’anti-ischémique soit : - un dérivé nitré ou une molécule apparentées (nicorandil ou molsidomine) ; - une dihydropyridine de génération récente ; l’amlodipine a apporté la preuve de sa sécurité d’utilisation sur ce terrain. Rappelons cependant qu’elle est indiquée non pas en tant que traitement systématique de la dysfonction ventriculaire gauche du coronarien mais en tant qu’anti-ischémique s’il persiste un angor symptomatique et/ou une ischémie silencieuse. La constatation d’une dysfonction ventriculaire gauche contre-indique formellement l’utilisation des anticalciques bradycardisants et des anti-arythmiques de classe 1.   Les autres approches thérapeutiques - Nous n’envisagerons volontairement pas ici, car cela a fait l’objet de plusieurs mises au point récentes dans Cardiologie Pratique, les indications du défibrillateur implantable chez le coronarien à fonction ventriculaire gauche altérée. Ces indications sont relativement larges si l’on se fixe l’objectif thérapeutique paraissant éminemment raisonnable qu’est l’augmentation de l’espérance de survie ! Si l’insuffisance cardiaque n’est qu’imparfaitement maîtrisée par le traitement et s’il existe un anasynchronisme de contraction clairement établi, une resynchronisation par stimulation multisite améliore souvent la symptomatologie et probablement également le pronostic. - Bien que nous ne disposions pour l’instant d’aucun résultat d’essai thérapeutique contrôlé, les tentatives de traitement par transplantation cellulaire ont, du fait de l’élégance du concept et du potentiel entrevu, récemment capté de façon répétitive l’attention des médias… Deux approches sont actuellement à l’étude : • l’utilisation de cellules souches médullaires dont on espère pouvoir guider la différenciation vers des cellules myocardiques efficaces ; • l’autre abord, consiste à prélever une petite quantité de muscle strié, squelettique chez le patient lui-même, la cultivé ex-vivo et la réinjecter, à l’occasion d’un pontage aorto-coronaire, dans un territoire cicatriciel d’infarctus. Il est déjà démontré que les cellules squelettiques ainsi « transplantées » restent vivantes et probablement contractiles. Il n’est en revanche pas encore établi, et c’est l’objet d’une étude en cours, que ce type de transplantation cellulaire améliore au long cours la fonction ventriculaire gauche et plus encore les symptômes et la survie. Il s’agit de deux voies de recherche passionnantes méritant poursuite de l’investissement. Il convient cependant de rappeler à certains patients peut-être surinformés médiatiquement sur ce sujet qu’il ne s’agit pour l’instant que d’une piste de recherche et non pas d’une thérapeutique validée pouvant leur être proposée sur une base individuelle.

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