Publié le 27 mar 2007Lecture 11 min
La pharmacologie de demain : optimiser avant tout ce dont nous disposons déjà
M.-D. DRICI, hôpital Pasteur, Nice
Si les maladies cardiovasculaires sont le facteur de mortalité le plus important des pays industrialisés, nous assistons à un essoufflement des innovations médicamenteuses dans cette pathologie, au profit de la technique, de la biomédecine mais surtout de la prévention. Il semble que l’effort futur se concentre sur la validation de nouvelles prises en charge hygiéno-diététiques, l’amélioration de l’observance des traitements existants, ou même la validation de nouveaux concepts comme celui du traitement préventif de l’hypertension…
Les « innovations » font largement appel à des classes de molécules ou des modes d’action déjà largement connus (anti-rénines, inhibiteurs des canaux ioniques membranaires, etc.).
Les révolutions technologiques médicamenteuses sont surtout applicables aux traitements à index thérapeutique étroit, ce qui est d’un intérêt modeste pour le principal bailleur de la recherche médicamenteuse en cardiologie : l’industrie pharmaceutique.
Une crise sanitaire annoncée
Les maladies cardiovasculaires sont responsables de plus de 50 % de la mortalité en Europe, et vont encore constituer le problème le plus important de santé publique des pays industrialisés au 21e siècle. Cela est une large conséquence de notre mode de vie puisque leurs origines sont sous-tendues par les éléments du syndrome métabolique et les perturbations inflammatoires. Le vieillissement de la population va accentuer cette tendance, si bien que l’on prédit déjà dans certains pays des crises « sanitaires » dans ce domaine, que ce soit par l’augmentation exponentielle des coûts de santé publique en cardiologie, par la diminution progressive du nombre de cardiologues, ou par les difficultés que chacun d’entre nous connaît pour maintenir et accroître une formation médicale continue adéquate. Dans les années à venir, et malgré l’apparition de nouveaux outils médico-techniques diagnostiques, la notion de coût/efficacité et sa mesure précise va devenir essentielle à considérer. Le coût sans cesse croissant des thérapeutiques cardiovasculaires « innovantes » renforcera probablement les inégalités avec l’admission des pays de l’Est au sein de l’Europe.
Si les facteurs de risque des maladies cardiovasculaires sont maintenant bien identifiés (et suggèreraient même une origine commune aux maladies cardiovasculaires, au diabète et au cancer), nous sommes obligés de constater que leur prévention, nécessitant des changements drastiques du mode et de l’hygiène de vie, fait largement défaut.
Si l’on n’attend pas de grandes révolutions pharmacologiques dans notre domaine au cours des prochaines années, il faut néanmoins souligner que l’utilisation de la pharmacopée à notre disposition est loin d’être optimale.
Pharmacologie cardiovasculaire du futur ?
La pharmacologie future dans le domaine cardiovasculaire comporte deux notions différentes : la pharmacologie du futur et la cardiologie du futur, et la congruence des deux n’est pas évidente. Dans la cardiologie du futur, un effort particulier devra être réalisé pour la prévention sérieuse des maladies cardiovasculaires. La pharmacologie du futur va faire appel aux innovations thérapeutiques médicamenteuses (de moins en moins nombreuses), ou galéniques (déjà utilisées pour la plupart). Elle va consister à mettre sur le marché, d’une part dans des pathologies très fréquentes, modérées et non compliquées des médicaments dont l’index thérapeutique est large et la prise extrêmement simplifiée, et d’autre part, des traitements spécifiques qui vont agir sur des cibles extrêmement précises correspondant à un petit nombre de patients dans chacune des pathologies considérées.
Innovations galéniques
Les « nano-médicaments »
Parmi les innovations galéniques qui devraient devenir prééminentes au cours des 20 prochaines années figurent les nanotechnologies et les futurs « nanomédicaments » qui sont fabriqués à l’échelle du milliardième de mètre, soit la taille d’une molécule. Un des exemples est la sécurité cardiaque qui sera accrue lors de l’utilisation des futures chimiothérapies anticancéreuses. Il est, en effet, difficile de diriger spécifiquement une molécule thérapeutique vers l’organe, le tissu ou la cellule cibles et les principes actifs du médicament sont souvent libérés loin du site d’action, perdant ainsi de leur efficacité et entraînant des effets secondaires toxiques pour des zones saines de l’organisme. C’est le cas des anthracyclines qui sont délétères pour la fonction cardiaque. La mise au point de vecteurs de médicaments de taille nanométrique est en passe de contourner cet obstacle. Le principe consiste à insérer la molécule active dans de minuscules capsules ou vésicules creuses, ou encore à l’introduire dans des nanotubes de carbone qui la protègent et permettent, une fois cette nanosonde introduite dans l’organisme par voie intraveineuse ou orale, de contrôler sa libération dans le temps et dans l’espace.
Les nanovecteurs de première génération, reconnus comme des corps étrangers et captés par les macrophages du foie, où ils se concentrent, ont permis des avancées récentes dans le traitement des hépatocarcinomes. La doxorubicine, provoque des troubles cardiaques sévères, mais ce même médicament, administré sous forme de nanoparticules, s’avère non seulement actif à dose beaucoup plus faible, mais n’entraîne pas d’insuffisance cardiaque, sa diffusion restant cantonnée à la zone hépatique.
Les chercheurs développent aujourd’hui des nanovecteurs de deuxième génération, qui sont recouverts d’un leurre constitué de polymères leur permettant d’échapper aux macrophages hépatiques. Ces « clandestins » peuvent ainsi franchir la barrière hémato-encéphalique, ce qui ouvre des espoirs nouveaux dans le traitement des pathologies cérébrales.
Les nanovecteurs de troisième génération, comportant des ligands (anticorps, peptides, sucres, acides) reconnaissant les antigènes ou les récepteurs spécifiques seront capables d’atteindre précisément leur cible. Il est possible d’y intégrer des nanoparticules métalliques qui, excitées par un moyen physique, détruisent en chauffant sélectivement les cellules visées.
Les nanotechnologies ouvrent encore d’autres voies à la médecine de demain puisque les chercheurs évoquent, grâce aux nanomatériaux, des biopuces au sein de prothèses et implants rendus plus résistants et présentant une meilleure biocompatibilité humaine.
Les artifices galéniques
Dans le cadre des formes médicamenteuses à libération prolongée utilisées fréquemment dans l’hypertension artérielle, il semble qu’on ait fait le tour des artifices galéniques destinés à prolonger l’exposition du patient à un médicament dont la demi-vie est courte (que ce soit en utilisant des gels matriciels, des comprimés dotés d’une « éponge osmotique », percés au laser, etc.).
Il faut toutefois signaler que la réponse thérapeutique d’une population à ces monothérapies monodosées prend l’aspect d’une courbe de Gauss dont les extrêmes sont soit insuffisamment traités pour l’une, ou font les frais d’effets indésirables pour l’autre. C’est malheureusement le prix à payer pour une simplicité des traitements et une observance optimale des patients. C’est aussi la raison pour laquelle le fameux serpent de mer « les patients des essais réagissent différemment de ceux de la vraie vie » revient régulièrement à la surface.
À l’opposé, certaines affections cardiovasculaires nécessitent des médicaments dont l’index thérapeutique plus ou moins étroit ne permet pas cette approche monodose à une population globale, le traitement des troubles du rythme par exemple. Chaque patient ou chaque famille de patients (les insuffisants rénaux, les insuffisants cardiaques, les femmes, les sujets âgés, les enfants, les insuffisants hépatiques…) deviennent alors autant de populations « niches » et le traitement préconisé devient adaptable à la carte de par l’adaptation de posologies qui en découle. Voici quelques avancées dans le domaine cardiovasculaire…
Hypertension
Nous n’attendons plus de miracle pharmacologique dans cette pathologie dans les prochaines années. Les nouvelles classes d’antihypertenseurs font appel aux mécanismes d’action qui ont fait leur preuve comme la classe des inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone. Ainsi, le dossier de l’aliskiren, nouvel antirénine, vient d’être déposé pour l’enregistrement aux États-Unis. Les premiers antirénines ont été synthétisés il y a plus de 25 ans mais se sont révélés peu efficaces, avec des biodisponibilités médiocres. Bien que ce dernier partage peu ou prou les mêmes caractéristiques pharmacocinétiques, l’aliskiren paraît aussi efficace qu’un IEC avec une bonne tolérance, et un effet additif lorsqu’on l’associe aux thiazidiques ou aux inhibiteurs des canaux calciques. Il agit en se liant au site actif de la rénine et sa demi-vie est longue. En association avec un IEC, il offre l’avantage et les inconvénients potentiels d’un blocage plus efficace de l’axe rénine-angiotensine : chute plus importante de la pression artérielle mais risque majoré d’hyperkaliémie et/ou d’anémie en cas d’insuffisance rénale, collapsus ou insuffisance rénale chez le patient dont la pression artérielle et la fonction rénale sont rénine-dépendants (sujets âgés ou après déplétion sodée ou sous AINS ou avec sténose d’artère rénale ou recevant une anesthésie générale). Il ne semble pas que l’aliskiren ait un effet additif en association avec un ARAII. La place de cette nouvelle classe des antirénines demeure donc à définir en l’absence d’avantage net par rapport aux ARAII.
Troubles du rythme et angine de poitrine
Dans les troubles du rythme, pas de nouveauté pharmacologique à l’horizon. Après avoir vainement tenté d’augmenter les périodes réfractaires des cellules myocardiques en prolongeant leur potentiel d’action par des médicaments de classe III de plus en plus spécifiques, il s’est avéré que l’on induisait un substrat proarythmogène et que la mortalité des patients auxquels ces molécules étaient destinées augmentait ! Puis il est apparu que le fait de raccourcir le potentiel d’action était également arythmogène avec les magnifiques observations du syndrome du QT court ! L’obligation de maintenir le potentiel d’action dans ses sages limites homéostasiques pour ne pas être délétère a fait que les industriels ne se précipitent plus sur les troubles du rythme, tant ils ont été échaudés… De nouvelles voies d’action sur de nouveaux canaux (potassiques : Kv1.4, mitochondriaux…) sont ouvertes mais seules les études cliniques à large échelle avec la mortalité en critère de jugement imposé par les agences emporteront les décisions. L’« ex-future » dronédarone en a fait les frais.
Dans l’angor, là encore peu d’ouvertures. Les bêtabloquants, incontournables, et les inhibiteurs des canaux calciques vont être concurrencés en deuxième intention par l’ivabradine qui possède un mode d’action pharmacologique tout à fait particulier en bloquant les canaux de type HCN et le courant If qui en résulte au niveau du noeud sinusal, et en induisant une bradycardie chez le patient tout en maintenant la fonction inotrope cardiaque. D’autres médicaments de cette classe ont été développés et ont été arrêtés en route. Reprendront-ils ? L’expérience de l’ivabradine nous le dira. La ranolazine, quant à elle, inhiberait certains canaux sodiques tardifs et aurait un effet antiangineux… Nous attendons son arrivée pour juger.
Diabète
Chez les adultes occidentaux et asiatiques en surpoids et atteints de tolérance abaissée au glucose, une perte de poids modérée accompagnée de modifications spécifiques de l'alimentation et du niveau d'activité physique permet de réduire le risque de développer un diabète de type 2. La perte de poids des diabétiques obèses diminue les risques de morbi-mortalité cardiovasculaire pendant au moins une dizaine d'années. Toutefois, les interventions cliniques permettant d'y parvenir nécessitent une supervision intensive.
Cette stratégie de prévention et de gestion est difficile à réaliser au vu des millions d'enfants et d'adultes concernés. De nouvelles stratégies radicales de lutte contre l'obésité et le diabète à l'échelle mondiale sont en cours (diminution des publicités, arrêt du tabac, combat des lobbying industriels, promotion du sport et d’une alimentation équilibrée…).
Parmi les classes médicamenteuses en développement, une d’entre elles apparaît innovante dans le traitement futur des diabètes de type 2 chez l’adulte : celle des incrétines, active par voie orale et inhibant l’enzyme responsable de la dégradation d’hormones circulantes maintenant l’homéostasie glucidique (cf Cardiologie Pratique n° 795). Ces traitements seraient grevés de beaucoup moins d’hypoglycémies que les thérapeutiques actuelles, ce qui est une avancée en termes de sécurité.
Coagulation
La classe des antithrombines directs (désirudine, lépirudine, bivalirudine, mélagatran, argatroban, dabigatran), poursuit son développement. Cette classe agit sur la thrombine liée à la fibrine, et serait plus efficace (en théorie) que l’héparine qui agit indirectement. La bivalirudine, entrée récemment sur le marché français comme alternative à l’association héparine-inhibiteur de la GPIIb/IIIa, n’a d’avantage par rapport à la stratégie classique qu’en cas de thrombopénie induite par l’héparine. L’argatroban intraveineux est déjà disponible sur le marché nord-américain et partage ces caractéristiques et restrictions, bien que d’autres indications soient actuellement évaluées pour ce médicament.
Le dabigatran, proche du mélagatran, peut être administré par voie orale et son élimination est essentiellement rénale. Son intérêt pour la prévention de la thrombose veineuse a été évalué chez des patients ayant bénéficié d’une mise en place de prothèse de genou ou de hanche. Il semblerait que 50 mg/j de dabigatran soient aussi efficaces que l’énoxaparine, avec moins d’hémorragies et une prise orale. Ce médicament semble également efficace dans la prévention des accidents thromboemboliques de la fibrillation auriculaire avec une meilleure tolérance hépatique que le mélagatran. Cela constitue une avancée indéniable pour la prise en charge future des patients âgés, chez lesquels la prévalence de la fibrillation auriculaire est importante et les risques hémorragiques des AVK majeurs.
Perspectives thérapeutiques
Un quart des patients n’est pas compliant vis-à-vis des traitements médicamenteux, et tout particulièrement dans l’hypertension artérielle et les dyslipidémies. Or, la mauvaise observance est une des difficultés thérapeutiques majeures pour le médecin car une fois l’ordonnance écrite, le sort de la prise médicamenteuse relève de la bonne volonté du patient. Pourtant, l’industrie pharmaceutique fait des efforts en mettant à la disposition des cardiologues et des patients des médicaments pour lesquels le nombre de prises et l’adaptation de posologie est limitée à son minimum : un comprimé pour l’ensemble de la population (ce n’est pas tant de la philanthropie que le critère incontournable pour l’obtention d’un blockbuster). Il semble pourtant, comme les études le prouvent, que les patients qui suivent à la lettre les prescriptions médicamenteuses correctes de leur médecin aient un bien meilleur pronostic vital que les « malobservants ». Mais s’il est difficile de convaincre des patients asymptomatiques du bien-fondé de prendre des médicaments, comment allons-nous gérer les résultats qui remettent en cause la conception même de l’hypertension artérielle ?
Une étude ouvre cette question essentielle : l’étude TROPHY (The Trial of Preventing Hypertension) dans laquelle un traitement par candesartan prévient non seulement la progression d’une pression artérielle haute vers une hypertension avérée, mais persiste encore deux ans après arrêt du traitement. Parmi les patients qui ont pu être suivis jusqu’à la fin de l’étude, l’apparition d’une HTA avérée a été observée chez ² 40 % des patients préhypertendus après deux ans de placebo contre ² 13 % des patients traités par candesartan. L’écart significatif a persisté entre les deux groupes alors même que le traitement actif était interrompu depuis 24 mois. S’agit-il d’une prévention de l’hypertension ? Pourrait-on prendre le traitement un mois sur deux ? Une année sur deux ? Traiter séquentiellement beaucoup plus tôt ? Autant de questions extrêmement intéressantes auxquelles il faudra apporter une réponse dans le futur.
Au total, la pharmacologie du futur, dans les maladies cardiovasculaires, fait une pause alors même que cette pathologie est la première cause de mortalité dans les pays industrialisés. Il nous faut surtout optimiser ce qui existe déjà : améliorer l’observance et encore plus insister sur la prévention qui nécessite de nouvelles stratégies radicales du mode et d’hygiène de vie pour lutter contre l’obésité et le diabète au niveau mondial.
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