Publié le 06 mar 2007Lecture 7 min
La saga des stents actifs : le choc des photos, le poids des preuves scientifiques
C. SPAULDING et O. VARENNE, hôpital Cochin, Paris
Le New England Journal of Medicine vient de consacrer un numéro entier au problème du devenir à long terme des stents actifs : cinq articles accompagnés d’une mise au point par les éditeurs et d’un éditorial. Ce dossier est disponible sur le site web (www.nejm.org), avant sa publication dans l’édition papier du 8 mars (Vol 36 ; n°10).
ESC : un débat vite relayé par la presse grand public
La polémique sur les stents actifs avait débuté lors du congrès de cardiologie de la Société Européenne de Cardiologie (ESC) à Barcelone en septembre 2006. Une présentation orale par E. Camenzind avait suggéré, sur la base d’une métaanalyse, que l’implantation de stents actifs était suivie d’une augmentation de mortalité et d’infarctus du myocarde à trois ans. Une deuxième analyse similaire par A. Nordman, récemment publiée dans l’European Heart Journal, contredisait cette analyse en montrant des mortalités globales comparables, mais suggérait une augmentation de mortalité non cardiaque avec les stents actifs au sirolimus comparativement aux stents non actifs. Ces présentations avaient ensuite été suivies par un commentaire passionné de S. Yussuf qui avait demandé une enquête immédiate sur les effets indésirables des stents actifs. Ces trois communications ont été largement relayées sur des sites internet médicaux en langues anglaise et française et dans la presse grand public alors même que les informations n’étaient pas validées. De façon surprenante, ces informations issues de présentations orales ont été acceptées et diffusées sur ces sites médicaux sans que ne soit remise en cause la méthode utilisée pour l’analyse statistique.
De la soumission à la publication : un long chemin…
Dans ce débat passionnel, le but des éditeurs du New England Journal of Medicine était de donner aux lecteurs des informations claires, scientifiquement validées, sur le devenir à long terme des patients porteurs de stents actifs. Comme d’habitude, chaque article issu d’une sélection rigoureuse et drastique a été soumis à une « relecture critique par les pairs », c’est-à-dire par 5 à 8 « reviewers » (dont un ou deux statisticiens) et par l’ensemble du staff éditorial. Après les différentes révisions, l’article est ensuite soumis à une relecture non médicale. Ces correcteurs traquent la moindre erreur dans le texte et vérifient les figures et tableaux. Le premier auteur de l’article participe à ces derniers changements, qui sont souvent longs et fastidieux. Le produit final publié a donc été largement critiqué, revu et corrigé, tant sur le plan méthodologique et statistique que sur celui la mise en page.
Nous laissons au lecteur de Cardiologie Pratique le plaisir d’approfondir ses connaissances en compulsant directement le New England Journal of Medicine, et de digérer le contenu de tous ces articles, dont voici un résumé.
Une analyse « poolée » des 4 études randomisées
Quatre articles présentent des analyses du suivi des études randomisées comparant les stents actifs au sirolimus ou au paclitaxel aux stents métalliques non actifs (« nus »). Elles montrent très clairement qu’il n’y a pas de différence entre les deux groupes en termes de mortalité ou d’infarctus du myocarde. Les stents actifs réduisent de façon significative les réinterventions itératives pour resténose. En ce qui concerne les thromboses de stent, les données sont difficiles à interpréter. Si l’on utilise les définitions des études, qui sont contestables, il y a une légère augmentation des thromboses survenant après un an chez les patients recevant des stents actifs. Si l’analyse est faite en utilisant des définitions standardisées (ARC), il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes. Deux études suggèrent une augmentation des événements ischémiques aigus chez les diabétiques ayant reçu un stent au sirolimus. Cependant ce résultat, issu d’une étude de sous-groupe non définis à l’avance, demande à être confirmé par des études à grande échelle chez les patients diabétiques.
Un registre suédois
Une étude issue d’un registre suédois suggère une augmentation des décès chez des patients implantés avec des stents actifs, quand ils sont comparés à des patients implantés avec des stents nus. Cette augmentation apparaît après six mois, et le surcroît de mortalité et d’infarctus du myocarde est de 0,5 à 1 % par an. Cependant, cette étude est limitée par sa méthodologie (étude de registre).
Une efficacité des stents actifs dans les indications validées
Dans un éditorial accompagnant ces articles, les auteurs concluent que les études randomisées montrent clairement que les stents actifs diminuent la resténose clinique, sans augmenter les taux d’infarctus du myocarde ou de décès. Il est donc parfaitement licite d’implanter des stents actifs dans des indications validées par ces études. À l’inverse, les données actuelles ne permettent pas de conclure sur l’efficacité ou la sécurité des stents actifs dans des indications non validées par des études randomisées (encadré 1). Par ailleurs, un doute demeure sur la persistance d’un risque numériquement faible de thrombose très tardive (après un an) avec les stents actifs et sur la durée du traitement antiplaquettaire par clopidogrel et aspirine à prescrire après implantation (six à douze mois, voire plus ?).
Pourquoi y a-t-il une contradiction entre ces études et les données présentées à la ESC en septembre 2006 ?
Un problème méthodologique
Il existe un contraste entre les analyses sur les études randomisées entre stents actifs et non actifs émises dans les présentations faites en septembre 2006 et celles publiées dans le New England Journal of Medicine. Cette différence est probablement liée à un problème méthodologique. Il est possible que les auteurs des présentations n’ont pas suivi le cheminement rigoureux nécessaire à une métaanalyse : collection des données soit à partir des bases de données, ou en faisant vérifier les chiffres par les investigateurs principaux, intégration de toutes les données disponibles, réalisation des calculs statistiques par deux équipes indépendantes (encadré 2).
Une diffusion hâtive
Ce qui reste surprenant dans cette affaire c’est la rapidité avec laquelle ces données non vérifiées ont été diffusées sur les sites internet médicaux, et acceptées par l’ensemble de la communauté cardiologique. Ceci démontre très clairement qu’une information médicale doit être soumise aux règles strictes de la publication dans des revues renommées avec comité de lecture avant d’être prise en compte dans la pratique quotidienne.
En 2007, la lecture critique et posée des articles médicaux reste le fondement du raisonnement médical, et ne peut être remplacée par les présentations orales aux congrès, ou par le « scanning » rapide de résumés de congrès ou d’articles disponibles sur internet.
Que faut-t-il conclure en pratique quotidienne ?
L’éditorial du New England Journal of Medicine résume remarquablement la situation actuelle. L’utilisation des stents actifs au sirolimus et au paclitaxel, dans des indications validées par les études randomisées diminue la fréquence de la resténose clinique, sans augmentation significative de la mortalité ou du risque d’infarctus du myocarde à quatre ans. Ces indications correspondent en France, à quelques exceptions près, aux indications de remboursement des stents actifs (indications « LPPR »), décidées par des commissions où siègent des représentants du groupe de cardiologie interventionnelle de la Société Française de Cardiologie (tableau). L’implantation d’une endoprothèse active doit s’accompagner de la prescription d’une association de clopidogrel et d’aspirine dont la durée reste débattue (un an ?). En raison de cette prescription, l’implantation d’une endoprothèse active doit être évitée chez des patients non-observants ou présentant un risque hémorragique accru durable ou pendant l’année qui suit l’implantation de l’endoprothèse (chirurgie programmée, anticoagulants pour une arrythmie, etc..). En dehors de ces indications, les données sont insuffisantes pour conclure à l’efficacité et surtout à la sécurité des stents actifs. Ces indications doivent donc être réfléchies et adaptées au cas par cas. Dans tous les cas de figure, la technique de pose doit être optimale.
Et pour l’avenir ?
La saga des stents actifs est loin d’être terminée. Des données de registre avec suivi à long terme sont indispensables pour évaluer le risque de thrombose tardive, tant dans les indications validées que non validées. La définition de la thrombose de stent doit être dans ces registres particulièrement rigoureuse, précise et homogène d’une étude à l’autre pour autoriser des comparaisons. Les cardiologues participants à ces registres doivent rapporter tout élément clinique évocateur de phénomène thrombotique. Idéalement, la durée du traitement par clopidogrel devrait être évaluée par une étude randomisée.
À défaut, des données sur l’adaptation des doses de clopidogrel au moyen de tests biologiques semblent prometteurs. Enfin, même si de nombreuses indications cliniques et angiographiques restent encore à valider, l’ensemble de ces débats ne doit pas nous faire oublier le réel progrès que représentent les stents actifs sur la limitation du risque de revascularisation, et le réel espoir qu’ils pourraient apporter en termes de solution alternative aux patients relevant d’une revascularisation chirurgicale.
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