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Thérapeutique

Publié le 27 fév 2007Lecture 11 min

Les inhibiteurs de la rénine : intérêts et limites

M. AZIZI, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris, d'après M. Burnier (Lausanne)


Les Journées d'HTA
Le blocage du système rénine-angiotensine (SRA) par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou les antagonistes de l’angiotensine II (ARA II) est devenu l’une des approches thérapeutiques majeures dans le traitement de l'HTA, des pathologies cardiovasculaires et rénales. Dans ce contexte, la question de la place et de l’intérêt potentiel des inhibiteurs de la rénine humaine se pose. En quoi le blocage pharmacologique du SRA par les inhibiteurs de la rénine diffère-t-il de celui exercé par les IEC ou les ARA II ?

Les inhibiteurs de la rénine Alors que les premiers inhibiteurs du SRA développés ont été les IEC, il aurait été plus intéressant d’un point de vue physiopathologique, de développer des médicaments qui ciblent plus spécifiquement le SRA tels qu’un inhibiteur de la rénine ou un ARA II. En effet, l'enzyme de conversion a de nombreux autres substrats que l'angiotensine I, incluant la bradykinine, la substance P, les enképhalines, l’angiotensine (1-7) et l'AcSDKP. La diminution de la formation de l'angiotensine II, mécanisme d'action souhaité des IEC, s'accompagne en effet d'une accumulation de bradykinine, du fait de la double action de l'enzyme sur l'angiotensine I et la bradykinine. C'est à cette accumulation locale de bradykinine (ou de substance P) que l'on rapporte les effets secondaires gênants (toux) ou graves (œdème angioneurotique) signalés au cours des traitements par les IEC. La rénine en elle-même offre une cible plus spécifique d'inhibition du SRA puisque l'angiotensinogène est son seul substrat connu et que la réaction rénine-substrat est l’étape limitante du système. La recherche d’inhibiteurs de la rénine a été très active mais s’est heurtée à de très grandes difficultés de mise au point. Les premiers inhibiteurs puissants de la rénine tels que l’enalkiren, le CGP38-560, le renikiren, le zankiren, le ciprokiren et le terlakiren avaient une faible biodisponibilité absolue chez l’homme (1-2 %), et une efficacité clinique limitée. Leurs coûts de synthèse se sont avérés extrêmement élevés, limitant la dose administrée et donc l’efficacité thérapeutique. À ce stade, tous les programmes de développement des inhibiteurs de la rénine ont été arrêtés pour raisons commerciales, ce d’autant que les ARA II apparaissaient comme être des alternatives plus simples à développer. Le succès ultérieur des ARA II a confirmé cette stratégie. De nouveaux inhibiteurs de la rénine humaine ont été récemment développés selon une nouvelle approche fondée sur l’analyse de la structure du site actif de la rénine analysé en cristallographie aux rayons X. Parmi les quatre molécules récemment découvertes, l’aliskiren est celle dont le développement clinique est le plus avancé (phase III). Malgré une biodisponibilité qui reste faible (2 à 3 %), la puissance de l’aliskiren vis-à-vis de la rénine humaine (IC50 : 0,6 nM) ainsi que sa longue demi-vie pharmacocinétique et pharmacologique lui confèrent une activité biologique in vivo équivalente à celle d’un ARA II ou d’un IEC. Ainsi, chez des sujets sains normotendus, l’intensité et la durée du blocage du SRA obtenues par 150 mg d’aliskiren sont similaires à celles obtenues par 20 mg d’énalapril ou 160 mg de valsartan.   Différences biologiques entre les différents bloqueurs du SRA   Sur le plan pharmaco-dynamique, l’administration d’un inhibiteur de la rénine humaine tel que l’aliskiren : – inhibe de façon dose-dépendante l’activité enzymatique de la rénine (activité rénine plasmatique), – supprime totalement la production d’angiotensine I et d’angiotensine II dans le plasma et probablement les tissus, – réduit les concentrations plasmatiques et urinaires d’aldostérone. L’inhibition de la rénine s’accompagne d’une augmentation réactive des concentrations de rénine immunoréactive dans le plasma par interruption du feedback négatif de l’angiotensine II sur la sécrétion de rénine. Sur le plan biologique, l’interruption du SRA par un inhibiteur de la rénine se différencie de celle induite par un IEC ou un ARA. En effet, si le blocage du SRA s’accompagne toujours d’une augmentation réactive de la concentration de rénine dans le plasma quelle que soit la molécule utilisée, les conséquences du blocage du SRA sur les concentrations des angiotensines ne sont pas identiques : – les ARA II entraînent une augmentation des concentrations d’angiotensine I et II ; – les IEC induisent une augmentation des concentrations d’angiotensine I et une baisse des concentrations d’angiotensine II ; – les inhibiteurs de la rénine inhibent totalement la production des angiotensines. Les ARA II bloquent les récepteurs AT1 et les effets de l’angiotensine II générée par des voies alternatives autres que l’enzyme de conversion telles que l’enzyme CAGE ou la chymase, ce qui n’est pas le cas des IEC. L’augmentation des concentrations d’angiotensine II qui accompagne la prise d’un ARA II stimule les récepteurs AT2 de l’angiotensine. Cette stimulation active une cascade vasodilatatrice et natriurétique impliquant la bradykinine, le NO, le GMP cyclique. La stimulation des récepteurs AT2 aurait des effets bénéfiques, délétères ou neutres, selon les résultats des études expérimentales. Si la stimulation à long terme des récepteurs AT2 s’avérait délétère chez l’homme, les inhibiteurs de la rénine qui entraînent une suppression totale des concentrations d’angiotensine I et II, auraient un avantage clinique sur les ARA II. Les IEC induisent une vasodilatation et une natriurèse par accumulation de peptides tels que la bradykinine et l’Ang (1-7). En effet, ils réduisent la dégradation de la bradykinine qui active le récepteur B2, entraînant ainsi une libération de NO, de prostacycline, et d’autres substances vasodilatatrices dérivées de l’endothélium. Au cours de l’inhibition chronique de l’enzyme de conversion, l’augmentation de l’Ang (1-7) pourrait aussi potentialiser l’activité vasodilatatrice de la bradykinine en stimulant la libération de NO. Les inhibiteurs de la rénine sont dépourvus de ces effets et pourraient être désavantagés par rapport à un IEC. Seuls des essais de grande envergure chez l’homme comparant un inhibiteur de la rénine à un IEC ou à un ARA II à degré égal de blocage du SRA permettront de savoir si cette approche thérapeutique est supérieure aux autres. Ils permettront aussi de lever définitivement les doutes quant à l’importance de la contribution de la stimulation des récepteurs AT2, de la voie de la bradykinine-NO-GMPc et de l’Ang(1-7) dans les effets respectifs des ARA II et des IEC.   Le récepteur de la rénine et de la prorénine La découverte d’un récepteur liant la rénine et la prorénine présent aux niveaux rénal, cardiaque et vasculaire, a modifié la vision générale du SRA. En effet, ce récepteur confère à la rénine une activité propre en plus de son activité enzymatique. La liaison de la rénine à ce récepteur augmente son activité catalytique vis-à-vis de l’angiotensinogène et stimule directement l’activité des ERK intracellulaire (extracellular regulated kinase), sans passer par l’intermédiaire de l’angiotensine II. Ce récepteur lie aussi la prorénine (forme inactive de la rénine) ; la liaison au récepteur confère à la prorénine une activité catalytique susceptible de cliver l’angiotensinogène. Ainsi, l’augmentation de l’activité catalytique de la rénine/prorénine par liaison à son récepteur pourrait être à l’origine de lésions supplémentaires des organes cibles (rein, vaisseau, cœur). Il est donc tentant de spéculer qu’un inhibiteur de la rénine puisse apporter une protection supplémentaire par rapport aux autres inhibiteurs du SRA en interagissant sur la relation rénine/prorénine-récepteur.   Efficacité tensionnelle des inhibiteurs de la rénine humaine Les essais réalisés chez des patients hypertendus avec les premiers inhibiteurs de la rénine humaine actifs par voie orale ont apporté des résultats peu concluants et ces molécules se sont avérées d’une efficacité antihypertensive limitée comparativement aux IEC en raison de leur médiocre biodisponibilité et leur demi-vie courte. Les essais réalisés avec l’aliskiren permettent de mieux évaluer de l’effet tensionnel de cette classe médicamenteuse. Dans un essai multicentrique, randomisé en double aveugle contre placebo et un comparateur actif, l’aliskiren 150, 300, ou 600 mg par jour administré pendant 8 semaines, a réduit significativement et de façon dose-dépendante la PAD 24 heures après la prise du traitement comparativement au placebo. La dose de 150 mg/j d’aliskiren avait une efficacité antihypertensive similaire à la dose de 150 mg/j d’irbésartan. Les doses de 300 et de 600 mg/j d’aliskiren avaient une efficacité antihypertensive supérieure à celle de 150 mg/j d’irbésartan. La tolérance de l’aliskiren 150 et 300 mg/j était similaire à celles du placebo et de l’irbésartan 150 mg/j. La dose de 600 mg/j d’aliskiren a entraîné une diarrhée chez 6,9 % des patients alors que l’incidence de cet effet secondaire n’était que de 1,5 % dans le groupe placebo. Les études en mesure ambulatoire de pression artérielle montrent une courbe dose-réponse plate sur la pression artérielle pour des doses d’aliskiren > 300 mg/j ainsi qu’un bon contrôle tensionnel sur les 24 heures, permettant son utilisation en monoprise quotidienne. Le rapport vallée sur pic était de 0,64, 0,98, 0,86 pour l’aliskiren 150, 300 et 600 mg/j, respectivement. En association avec un diurétique thiazidique (hydrocholorothiazide), l’efficacité antihypertensive de l’aliskiren est renforcée et l’incidence de l’hypokaliémie induite par le diurétique est réduite. Ces caractéristiques sont partagées avec les autres bloqueurs du SRA que soit les IEC ou les ARA II. Bien que la libération et la synthèse de la rénine immunoréactive soient majorées de façon synergique par la combinaison du diurétique et de l’aliskiren, l’activité catalytique des molécules de rénine nouvellement libérées dans le plasma reste massivement inhibée indiquant que la neutralisation de la contre-régulation interne du SRA persiste. Enfin, comme pour les IEC et les ARA II, la combinaison de l’aliskiren 150 mg/j avec l’amlodipine 5 mg/j s’avère aussi additive sur le plan tensionnel. Des résultats récents montrent aussi un effet tensionnel additif des combinaisons aliskiren + ramipril et aliskiren + valsartan chez des patients hypertendus à fonction rénale normale, sans augmentation de l’incidence de l’hyperkaliémie ou de l’insuffisance rénale. Ces études cliniques préliminaires montrent qu’un inhibiteur de la rénine humaine suffisamment puissant et ayant une demi-vie pharmacologique prolongée pour contrebalancer sa mauvaise biodisponibilité, réduit la pression artérielle de façon plus marquée que des doses standard d’un ARA II et ce, avec un profil de tolérance similaire au placebo.   Intérêt potentiel des inhibiteurs de la rénine dans les pathologies rénales L’angiotensine II joue un rôle crucial dans le contrôle de l’hémodynamique et de la fonction rénale. Le blocage du SRA par les IEC et les ARA II a clairement démontré leur très grande efficacité pour réduire l’atteinte rénale chez les patients ayant une néphropathie protéinurique. Malgré l’administration de doses usuelles d’IEC et d’ARA II, un certain nombre de patients restent protéinuriques et leur fonction rénale s’altère inexorablement. La nécessité d’inhiber plus efficacement le SRA intrarénal est d’autant plus importante que sa régulation est indépendante de celle du SRA circulant. Les inhibiteurs de la rénine seraient susceptibles de bloquer plus efficacement le SRA intrarénal et de prolonger ainsi la neutralisation des effets de l’angiotensine II intrarénale. Cette observation pourrait avoir une importance clinique particulière dans des circonstances où la génération d’angiotensine II dans le rein est activée par les voies métaboliques dépendantes ou indépendantes de l’enzyme de conversion, tel que cela a été rapporté chez les patients ayant une néphropathie diabétique ou chez des patients d’origine africaine.   Avantages des inhibiteurs de la rénine chez l’homme La mise au point de substances capables d'inhiber la réaction de la rénine sur l'angiotensinogène permet a priori d'individualiser sans ambiguïté l'action propre du SRA dans la régulation de la pression artérielle et de la fonction cardiaque. Elle offre une nouvelle voie thérapeutique dans le traitement de l'hypertension et de l'insuffisance cardiaque et des néphropathies protéinuriques, avec comme avantage théorique, sa plus grande sélectivité. Les avantages potentiels des inhibiteurs de la rénine : • la grande spécificité de ces inhibiteurs pour la rénine humaine ; • l’inhibition de l’étape limitante de la formation de l’angiotensine II ; • la spécificité de substrat (l’angiotensinogène est le seul substrat connu pour la rénine) ; • la mise au repos du système rénine angiotensine : – suppression de tous les peptides dérivés de l’angiotensine I, – inhibition des voies alternatives de génération de l’angiotensine II indépendantes de l’enzyme de conversion, – pas de stimulation des récepteurs AT2 ou autres récepteurs aux angiotensines IV, (1-7), etc., – neutralisation des conséquences de la libération de rénine stimulée par la levée du feedback négatif de l’angiotensine II secondaire au blocage du SRA, – l’interaction potentielle positive avec le récepteur (pro) rénine ; • la baisse tensionnelle induite par un inhibiteur de la rénine tel que l’aliskiren est de même amplitude voire supérieure à celle d’un antagoniste de l’angiotensine II ; • la bonne tolérance.   Limites des inhibiteurs de la rénine chez l’homme La limite des inhibiteurs de la rénine est celle des IEC et des ARA II. Ces inhibiteurs sont d'autant plus efficaces que l'apport en sel est réduit. Cette ligne thérapeutique, que l'on fasse appel aux inhibiteurs de la rénine, aux IEC ou aux ARA II, ne dispensera jamais d'une intervention sur les apports ou les éliminations sodées par les diurétiques. Une deuxième limite théorique réside dans le fait que le blocage de la rénine aboutit, par une baisse du taux plasmatique d'angiotensine II, à une augmentation de la sécrétion de rénine, comme pour les IEC et ARA II. L'élévation nette de l’enzyme, la rénine, en cas d'administration d'inhibiteur de la rénine, exige un taux plasmatique non négligeable d'inhibiteur pour bloquer cette augmentation secondaire de la rénine.   Tolérance des inhibiteurs de la rénine La tolérance générale de l’aliskiren est bonne et comparable à celle d’un placebo et des ARA II. En revanche, si un inhibiteur de la rénine permet d’obtenir un blocage plus intense du SRA et une neutralisation plus complète des effets hémodynamiques de l’angiotensine II, il existera un risque potentiel d’effet secondaire dans les conditions où la pression artérielle et la perfusion rénale sont extrêmement rénine-dépendantes. Comme pour les IEC et les ARA II à forte dose, il existe incontestablement une augmentation de ce risque chez certains patients : les patients âgés, les patients en hypovolémie (diurétiques à forte dose, vomissement, diarrhée, etc.) et ceux traités par un inhibiteur de la Cox ou ayant une sténose artérielle rénale, et au cours d’une anesthésie générale. Par ailleurs, rappelons que les inhibiteurs de la rénine partageront la même contre-indication formelle que les IEC et les ARA II, c’est-à-dire la grossesse. Une évaluation plus rigoureuse et plus complète de ces risques potentiels sera nécessaire. Elle nécessitera l’étude de nombreux patients ayant différentes pathologies telles qu’une hypertension artérielle, une insuffisance rénale ou une insuffisance cardiaque.   Inhibiteurs de la rénine Intérêts : – une grande spécificité pour la rénine humaine, – une inhibition de l’étape limitante de la formation de l’angiotensine II, – une spécificité de substrat (l’angiotensinogène est le seul substrat connu pour la rénine), – une mise au repos du système rénine angiotensine, – une efficacité tensionnelle similaire à celle d’un ARA II, – une bonne tolérance. Limites : – ces inhibiteurs sont d'autant plus efficaces que l'apport en sel est réduit, comme avec les IEC ou les ARA II, – ils s’accompagnent d’une augmentation réactive de la rénine, comme les IEC et les ARA II, – ils sont contre-indiqués au cours de la grossesse.

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