Publié le 29 fév 2016Lecture 6 min
Les accidents emboliques silencieux lors des ablations de FA
V. MANENTI, M. AIT SAID, J. HORVILLEUR, J. LACOTTE, F. SALERNO, Institut Cardiovasculaire Paris Sud, Massy, J. CAPRON, Service de neurologie, Hôpital Saint-Antoine, Paris
Un accident ischémique silencieux est défini comme une nouvelle lésion cérébrale détectée par l’IRM encéphalique, ayant les caractéristiques d’une ischémie cérébrale, chez un patient sans déficit neurologique apparent. Le terme silencieux est à privilégier à celui d’asymptomatique car une évaluation neuropsychologique plus élaborée peut, à terme, révéler un déclin neurocognitif.
Silencieux, asymptomatique, de quoi parle-t-on ?
L’IRM encéphalique est la pierre angulaire de la détection de ces événements silencieux. La littérature différencie les événements cérébraux silencieux (silent cerebral event-SCE) des lésions cérébrales silencieuses (silent cerebral lesion-SCL). La séquence de diffusion met en évidence une souffrance cérébrale aiguë à type d’œdème cytotoxique (lié à l’ischémie neuronale). Cette ischémie neuronale, si elle est suffisamment étendue et si elle persiste, conduit à une positivation de la séquence FLAIR (Fluid Attenuated Inversion Recovery) après approximativement 4 ou 5 heures et signe une nécrose irréversible (tableau).
La complexité des séquences IRM
Pour comprendre cette logique, rappelons que la séquence de diffusion détecte l’ischémie dans les minutes qui suivent son apparition, tandis que la séquence FLAIR met au moins 4 heures à se positiver. En outre, les lésions les moins volumineuses, bien que visibles en diffusion, ne se positiveront pas systématiquement en FLAIR, même après plusieurs jours. Ces deux techniques ont donc une sensibilité et une spécificité différentes, dépendant du temps écoulé entre la survenue de la lésion et l’IRM, mais aussi de la taille de la lésion.
En pratique, pour détecter ce phénomène, une IRM encéphalique avec séquence de diffusion doit être réalisée dans les 24 h après une ablation de fibrillation atriale, et un délai supplémentaire, de 2 à 7 jours, est adéquat pour la détection de lésions cérébrales silencieuses, en séquence FLAIR.
Quelle est l’amplitude du problème ?
Les données publiées sur le sujet ont toujours eu pour objectif d’évaluer la thrombogénicité de nouveaux protocoles d’ablation : cathéters, antithrombotiques, etc. Indépendamment de la définition utilisée (lésion ou événement cérébral silencieux), l’incidence moyenne est de 12,6 %(1). Les trois quarts de ces patients ont une lésion unique quand le quart restant en présente 2 à 13 !
Si l’accident vasculaire cérébral symptomatique reste une complication redoutée, il demeure néanmoins rare, avec une incidence estimée à moins de 1 % (accident ischémique transitoire y compris) dans les registres les plus récents quand les accidents silencieux peuvent concerner jusqu’à 50 % des patients avec les techniques d’imagerie les plus sensibles. Le rapport entre accidents symptomatiques et silencieux dans les études cliniques est donc d’environ 1 sur 100.
Qui cherche… trouve
L’incidence des embolies silencieuses varie en fonction de la définition donnée et de la résolution spatiale de l’imagerie utilisée. Une équipe a retrouvé un hypersignal FLAIR à J1 d’une ablation de fibrillation (figure) pour un tiers seulement des lésions avec hypersignal de diffusion précoce(2). L’autre biais est technologique : quand la plupart des études utilisent une IRM 1,5 tesla, un article rapporte une incidence d’embolies silencieuses deux à trois fois supérieure avec une IRM 3 teslas(3).
Figure. Exemple d’événement cérébral silencieux (d’après T. Deneke et al.(1)). Coupes IRM concernant le même patient, réalisées au même moment, montrant un normosignal en séquence FLAIR (A), mais un hypersignal en séquence de diffusion (B).
Quel en est le mécanisme ?
La survenue d’une embolie cérébrale silencieuse lors d’une ablation de FA est multifactorielle : mobilisation d’un thrombus déjà présent, création de thrombus sur le cathéter ou la gaine transseptale, embolies gazeuses (favorisées par les échanges de cathéter), voire embolie solide (dénaturation protéique et agrégation des protéines plasmatiques lors de la radiofréquence). Cette myriade de mécanismes explique la pluralité des facteurs corrélés à l’apparition de ces lésions silencieuses, qu’ils soient en lien avec le patient, la technique utilisée ou le protocole antithrombotique.
Quelles sont les techniques à risque ?
Deux techniques semblent à plus haut risque : le PVAC (cathéter d’ablation par radiofréquence, circulaire, non irrigué, Medtronic) et le nMARQ (cathéter d’ablation par radiofréquence, circulaire, multipolaire, irrigué, Biosense Webster) avec des incidences estimées à plus de 30 %(1). Certaines mesures simples ont démontré leur capacité à réduire ces embolies silencieuses : purge des gaines avant chaque échange de cathéter, retrait de la gaine dans l’oreillette droite dès que possible(1), modification de la géométrie des cathéters ou des modalités de délivrance de l’énergie. En revanche, il n’a jamais été mis en évidence de différence significative entre la radiofréquence irriguée et la cryothérapie(4).
Quelle anticoagulation optimale ?
L’héparinothérapie perprocédure est un des paramètres clés. Une étude a prouvé qu’un TCA moyen inférieur à 320 secondes était le seul paramètre indépendamment corrélé à la survenue de lésions cérébrales silencieuses(5). Une autre étude a rapporté qu’un seul TCA inférieur à 300 secondes pendant la procédure multipliait par 3 le risque de lésions cérébrales silencieuses ! Dans cette seconde étude, l’absence de bolus d’héparine avant la ponction transseptale augmentait le risque de lésion silencieuse par 1,6(6).
Le régime d’anticoagulation encadrant plus largement l’ablation modifie également le risque d’accidents emboliques silencieux : l’anticoagulation continue par AVK réduit ce risque si l’INR à J0 est supérieur à 2(7). Du côté des nouveaux anticoagulants oraux, des données existent uniquement pour le rivaroxaban. Sa prise continue diminue significativement le taux de lésions cérébrales asymptomatiques par rapport à un relais anticoagulant (0 % contre 29 % de lésions cérébrales silencieuses).
Des patients plus à risque ?
Les données concernant les facteurs de risque liés au patient sont divergentes. Pourraient être impliqués, le caractère persistant de la fibrillation atriale, le volume atrial gauche, l’âge du patient, le score CHA2DS2-VaSc ou la présence de contraste spontané à l’ETO(6).
Comment évoluent ces lésions silencieuses ?
Ces lésions, ou ces événements silencieux n’ont jamais été corrélés à des séquelles neurologiques tardives : leur suivi dans le temps montre que seules 6 % des lésions sont toujours détectables par l’IRM encéphalique après un suivi médian de 3 mois, ces lésions persistantes étant initialement toutes d’un diamètre supérieur à 10 mm(8). Dans tous les cas, il n’existe aucune preuve à ce jour que ces lésions silencieuses ou que l’ablation de fibrillation atriale au sens large soient pourvoyeuses d’un déclin neurocognitif à court ou long terme(1). Il faut également peser ces événements rares, face à la multitude de lésions cérébrales silencieuses survenant spontanément au décours de l’histoire naturelle d’un patient atteint de fibrillation atriale, des anomalies de la substance blanche étant visibles chez une majorité de patients avant toute ablation.
Intérêt du dépistage de ces lésions silencieuses en pratique ?
Il s’agit avant tout d’évaluer la thrombogénicité d’un schéma d’anticoagulation périopératoire ou d’un protocole d’ablation, raison pour laquelle ce dépistage n’a pas d’intérêt à titre systématique. L’autre axe de recherche est d’évaluer si l’ablation est capable de prévenir l’apparition des anomalies de la substance blanche à long terme consécutives à l’arythmie au prix de la survenue d’un faible nombre de lésions cérébrales silencieuses, à court terme.
Conclusion
Le dépistage des accidents cérébraux silencieux sur des effectifs limités permet d’aller vers les techniques d’ablation les moins thrombogènes, qu’il s’agisse des outils ou de l’anticoagulation perprocédurale.
La détection de ces événements silencieux dépend beaucoup des modalités de l’IRM, une majorité évoluant sans lésion résiduelle ni conséquence fonctionnelle, la relation entre accidents cérébraux silencieux et déclin cognitif tardif n’ayant pas été démontrée.
Le dépistage systématique de ces accidents silencieux n’est pas justifié en routine.
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