Publié le 29 juin 2024Lecture 5 min
Peut-on diagnostiquer un décès par télésurveillance ?
Sylvain PLOUX, Bordeaux
Environ un tiers des patients de plus de 70 ans décèdent à domicile ou en maison de retraite, potentiellement à proximité de leur télétransmetteur. Les professionnels de la télésurveillance des dispositifs cardiaques implantables doivent être capables d’identifier une transmission diagnostique de décès.
Diagnostic
Les transmissions permettant le diagnostic de décès sont initiées par des alertes généralement transmises entre minuit et 4 heures du matin, mais certains dispositifs autorisent une transmission directe à n’importe quelle heure de la journée.
Le plus souvent, l’alerte est initiée par un épisode ventriculaire. Une arythmie ventriculaire peut être enregistrée par un stimulateur ou un moniteur cardiaque. Elle peut aussi être enregistrée par un défibrillateur si elle est sous-détectée (apparaissant comme une TV non soutenue ou comme un épisode terminé), mal discriminée (« tachycardie supra-ventriculaire ») ou traitée inefficacement (dernier choc inefficace). Dans une série de 28 cas décrite par Monkhouse et coll., ce type d’épisodes représentaient 68 % des alertes initiatrices de la transmission(1).
En dehors des arythmies, on retrouve essentiellement des alertes relatives aux paramètres électriques d’une ou plusieurs électrodes : seuil élevé (ou impossible à réaliser), chute de l’amplitude de détection, ou majoration de l’impédance. Les majorations de seuil et les chutes des capacités de détection vont survenir dans les minutes qui suivent le décès. Cependant tous les dispositifs ne génèrent pas d’alerte pour ce type d’anomalie. Les impédances vont croître simultanément sur tous les canaux, dès les premières heures, et elles sont significativement augmentées à J1 (figure 1). À l’exception de l’impédance de choc, l’augmentation des impédances est limitée et ne permet pas d’atteindre des valeurs extrêmes (> 2 500 Ω). Stroobandt et coll. ont rétrospectivement déterminé sur une série de défibrillateurs Biotronik® qu’une augmentation abrupte de l’impédance VD (≥ 109 Ω) permettait de déterminer le jour du décès avec une sensibilité de 80 % et une spécificité de 85 %(2). Pour la sonde VG, une augmentation ≥ 96 Ω était associée à une sensibilité de 94,7 % et une spécificité de 83,6 %.
Figure 1. Transmission d’un stimulateur Biotronik® EDORA 8 DR-T en date du 11 janvier 2021 pour un épisode de tachycardie atriale enregistré à 4 heures 58. L’EGM révèle à l’étage atrial une authentique fibrillation, mais sur le canal ventriculaire il existe très probablement une fibrillation ventriculaire sous-détectée. On tente en vain de joindre le patient qui ne sera retrouvé à son domicile que 10 jours plus tard. Les graphiques illustrent les tendances des impédances de sondes (A), de l’impédance thoracique (B), de l’amplitude de détection VD (C), et des pourcentages de stimulation (D), le 20 janvier 2021 à la découverte du corps. Entre le 11 (décès vers 5 heures) et le 12 janvier à 0 heure 30 l’impédance VD est passée de 371 à 624 Ω. L’impédance atriale est passée de 332 à 605 Ω. Ces impédances vont rester stables sans atteindre de valeur critique. A contrario, l’impédance thoracique (VD-Boitier) passe de 86 à 94 Ω le 12, puis 146 Ω le 13, et 152 Ω le 14 janvier 2021 (B, valeur limite). À partir du 12 janvier, l’appareil n’est plus en mesure de déterminer le seuil VD ni l’amplitude de détection (C), il stimule à la fréquence de base 100 % du temps (D).
Parfois, c’est un algorithme anti-bruit qui initie la transmission (figure 2).
La confirmation du diagnostic est généralement obtenue par l’analyse de l’EGM en temps réel, acquis au moment de la transmission (non disponible chez Biotronik®). Typiquement, l’appareil va stimuler à la fréquence de base sur tous les canaux. Les différents EGM sont affichés avec un gain maximal, sans que l’on puisse discerner une dépolarisation ou une repolarisation quelconque (seuls les artéfacts de stimulation sont visibles).
Figure 2. Transmission d’un défibrillateur Medtronic® Evera MRI ™ XT DR, en date du 27 février 2021 à 9 heures, induite par une alerte Lead Integrity Alert (LIA). Le LIA est déclenché par la survenue de plus de 30 cycles RR courts et d’une variation abrupte de l’impédance VD bipolaire. Il n’y a qu’un épisode de fréquence élevée non soutenue enregistré le 27 février 2021 à 6 heures 13, correspondant à un rythme ventriculaire à QRS larges sans activité atriale (rythme ventriculaire agonique). Ce rythme est détecté selon une séquence répétitive d’un cycle long (VS) suivi de 2 cycles courts (FS-FS) qui est incompatible avec la validation du compteur FV (nécessite 3 cycles longs sur 4). Les cycles FV sont très courts et implémentent le compteur de RR courts (< 130 ms) pour un total de 40 cycles entre minuit et 9 heures le 27 février (premier critère LIA validé). Ce dispositif effectue 4 mesures d’impédance du conducteur de stimulation/détection parjour à 3, 9, 15 et 21 heures. À 9 heures, le 27 février, le défibrillateur enregistre une variation abrupte d’impédance VD bipolaire (de 450 à 1 045 Ω, flèche orange) qui valide le deuxième critère du LIA et déclenche une transmission immédiate. Nous recevons cette alerte à 9 heures, ce qui indique que le patient est toujours à proximité de son télétransmetteur. L’EGM actuel(acquis aumoment de la transmission)révèle un tracéde choc (EGM2) plat en dépit d’une stimulation atriale (EGM1) et ventriculaire (EGM3) à la fréquence de base (artéfacts de stimulation sans réponse évoquée ni repolarisation). Les données de cette transmission indiquent que le patient est décédé vers 6 heures dumatin le 27 février 2021. L’origine rythmique du décès est difficile à préciser.
Diagnostic différentiel
En général, le décès du patient ne fait pas de doute, surtout si un EGM temps réel est disponible. Attention aux données télétransmises par un dispositif explanté conservé à proximité d’un télé-transmetteur (dans ce cas on retrouvera toutes les impédances strictement hors limites (> 2 500 Ω), ce qui n’est jamais le cas lorsque les sondes sont intracorporelles.
Conduite à tenir
Lorsqu’un décès est suspecté, nous avons l’habitude de chercher à joindre le patient. Cet appel sera effectué au mieux par le médecin responsable du télésuivi, ou par un infirmier expérimenté, car dans un faible nombre de cas le décès n’est pas encore connu de l’entourage. Lorsque personne n’est joignable, les pompiers peuvent être dépêchés à domicile pour authentifier le décès du patient (on rappelle que les télé-transmetteurs ne sont pas géolocalisables).
Aspects médico-légaux
L’analyse des télétransmissions permet potentiellement de déterminer l’heure et parfois la cause du décès. Lorsqu’une arythmie ventriculaire en est la cause, l’heure du décès est facilement identifiable. Les mesures automatiques des paramètres électriques des sondes permettent également, dans une certaine mesure, de situer l’heure du décès(2). Déterminer l’heure exacte de la mort du patient peut être important par exemple dans le cadre d’une enquête judiciaire, et dans ce cas l’expertise du fabricant sera sollicitée. Si le décès semble imputable à un dysfonctionnement du dispositif cardiaque, il y a lieu d’effectuer une déclaration à l’ANSM. Enfin on rappelle que les données télétransmises doivent être conservées dans le dossier médical durant 20 ans, attention donc aux déconnexions hâtives qui entraînent parfois la disparition irrémédiable des données.
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