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Mise au point

Publié le 15 oct 2018Lecture 5 min

Quand stopper les antiarythmiques dans l’ablation de la FA ?

Guillaume KABALU, Saint-Laurent Polyclinique, Rennes

La fibrillation atriale est le trouble du rythme le plus fréquemment rencontré dans la pratique quotidienne et sa prévalence comme son incidence sont en augmentation constante. Pendant des décennies, le traitement antiarythmique pharmacologique (AAR) a représenté la pierre angulaire de la prise en charge. Mais les études ont montré que son utilité se limite en réalité à la diminution des symptômes provoqués par la FA et qu’il peut même avoir un impact négatif sur le pronostic des patients. Surtout, l’approche interventionnelle ou « ablation de la FA » représente désormais une alternative sérieuse. Un certain nombre de patients ne sont cependant améliorés que par une approche hybride combinant ablation et maintien du traitement AAR.

Ainsi, la prescription des AAR avant, pendant et après une procédure d’ablation de FA est désormais une problématique quotidienne tant pour le cardiologue en cabinet que pour le rythmologue interventionnel. Paradoxalement, si la gestion du traitement anticoagulant autour des procédures est désormais bien codifiée, il n’en est pas de même concernant l’usage des AAR. Les praticiens doivent donc individuellement ajuster leur stratégie à partir des recommandations, des quelques études réalisées sur le sujet et du succès espéré de la ou des procédure(s) d’ablation effectuée(s) pour leur patient. Recommandations La société européenne de cardiologie ne propose pas d’attitude prédéfinie. La dernière mise à jour de 2016(1) n’aborde pas la question directement mais seulement sous l’angle de traitement « hybride » en soulignant le manque de données (pas d’étude prospective). Il est constaté une prescription fréquente d’AAR pour limiter les récidives précoces ; le maintien d’un traitement AAR indéfini est évoqué comme une option raisonnable en cas de FA récidivante après ablation. Les autres documents de référence(2, 3) restent également très ouverts dans leur conclusion. Il faut retenir l’absence de consensus sur le sujet faute de preuves suffisantes. Le maintien des ARR 1 à 3 mois postablation (durant la blanking period) est une pratique courante mais l’interruption immédiate est également acceptable ; l’arrêt des AAR préprocédure est possible mais il est alors conseillé de respecter un temps d’élimination suffisant de 4 à 5 demi-vies du produit. Éléments de réflexion sur les AAR Préablation L’efficacité des AAR reste modeste et souvent au prix d’effets secondaires non négligeables. Dans une métaanalyse de 2006, C. Lafuente et son équipe(4) ont montré que si toutes les classes testées à l’exception des bêtabloqueurs s’avéraient supérieures au placebo pour le maintien du rythme sinusal à 1 an après cardioversion électrique, une proportion importante de patients expérimentait des effets secondaires imposant parfois l’arrêt du traitement (9 à 23 % selon les études incluses). De plus, ces produits modifient les propriétés électrophysiologiques du myocarde (vitesses de conduction, périodes réfractaires) et peuvent altérer les informations analysées lors d’une procédure d’ablation. C’est ce que semble montrer le travail de S. Mohanty en 2015(5) qui a étudié l’impact de l’arrêt ou du maintien de l’amiodarone avant ablation chez 112 patients souffrant de FA persistante de longue durée, randomisés en deux groupes. Les patients chez qui l’amiodarone avait été interrompue avaient des procédures plus longues, avec plus de foyers extraveineux identifiés, mais de meilleurs résultats à long terme (figure 1). Ces éléments sont plutôt en faveur d’une interruption du traitement AAR avant l’ablation, sous réserve de l’acceptabilité par le patient si les symptômes sont très importants. Dans la pratique courante, le registre de l’European Heart Rhythm Association publié en 2014(6) montre que c’est l’attitude la plus courante dans les centres d’ablation expérimentés. Figure 1. Récidives d’arythmies comparées avec ou sans arrêt du traitement antiarythmique (amiodarone) préprocédure. Postablation Théoriquement, le traitement par ablation a pour but de supprimer les crises de FA et doit permettre l’interruption des AAR. En dehors des échecs du traitement (reconnexion veineuse pulmonaire, foyers extraveineux non traités), des récidives précoces peuvent survenir sous-tendues par d’autres mécanismes physiopathologiques (modulation du système nerveux autonome, réponses inflammatoires, effets retardés des lésions d’ablation). La maladie peut même s’aggraver chez 15 % des patients. Cependant, jusqu’à 30 % des patients touchés par ces récidives précoces resteront libres de tout symptôme à long terme(7). D’où l’intérêt d’une période de couverture ou blanking period postablation, proposée par de nombreuses équipes, durant laquelle les AAR peuvent être poursuivis, pour une durée de 1 à 3 mois. La plus grosse étude randomisée sur le sujet(8) a montré chez 110 patients souffrant de FA paroxystique que la prescription d’AAR diminuait la survenue d’événements (critère composite associant arythmie documentée persistant plus de 24 h, nécessitant une intervention médicale ou intolérance aux AAR) à 6 semaines sans impacter le pronostic à 6 mois (figure 2). Ces résultats ont été confortés par une métaanalyse de B. Xu(9) comprenant plus de 800 patients. Figure 2. Diminution des récidives précoces postablation avec ou sans maintien des antiarythmiques (étude 5A). Pronostic postablation L’estimation au cas par cas du résultat attendu de l’ablation et le profil du patient sont également des éléments clés pour la gestion du traitement AAR autour de l’ablation. Schématiquement, plus on aura confiance dans le succès du traitement interventionnel, plus on stoppera facilement les AAR. Ainsi on considérera : • Les caractéristiques de la FA : ancienneté de la maladie ; forme paroxystique, persistante, ou persistante de longue durée, avec toutes les limites de cette classification ; les traitements antérieurs éventuels (pharmacologiques ou interventionnels). • Le terrain médical : présence d’une cardiopathie structurelle, taille de l’oreillette gauche, comorbidités associées : obésité, HTA, diabète, syndrome d’apnées du sommeil, etc. • La procédure d’ablation : cas index ou redux, approche complexe visant le substrat atrial ou simple isolation des veines pulmonaires, validation des cibles et constatations peropératoires (déconnexion, bloc intra-OG, inductibilité, firing d’une veine, etc.), survenue de complications (péricarde, autres arythmies, dysfonction sinusale postréduction). • Le profil du patient : fréquence des symptômes et ressenti, tolérance des AAR, psychologie du sujet. Chaque équipe définira ainsi sa stratégie pour le traitement AAR. L’approche utilisée sur notre centre est résumée figure 3. Avec les progrès techniques et l’expérience croissante des opérateurs, on peut s’attendre à ce que l’arrêt des AAR soit proposé de plus en plus tôt et définitivement pour un nombre croissant de patients. C’est la constatation que nous faisons sur notre activité. Conclusion Le projet d’ablation de FA est généralement associé à l’échec du traitement AAR et/ou au souhait de l’interrompre. Il n’y a pas de recommandations claires sur la gestion du traitement et l’évaluation doit se faire au cas par cas en fonction du terrain, du déroulement de la procédure d’ablation et des souhaits du patient. L'arrêt du traitement AAR en préablation puis la reprise pour une période de 1 à 3 mois est une attitude courante mais l'interruption immédiate devrait se développer avec les progrès techniques et l'expérience croissante des opérateurs.

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