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Publié le 10 juin 2024Lecture 14 min

Le chirurgien vasculaire et l’innovation : quel parcours ? (2e partie)

Yves ALIMI*, Frédéric MOURET**, *Professeur de chirurgie vasculaire, CHU Nord, Marseille ; cofondateur de Protomed et Bypass Solutions, **Ingénieur, cofondateur et CEO de Protomed et Bypass Solutions

Dans une 1re partie de cet article paru dans le n°23 de L’Interventionnel, nous avons décrit le long parcours du développement d’un dispositif cardiovasculaire. Celui-ci nécessite de progressivement réunir des compétences humaines et des ressources matérielles et financières importantes. À chaque étape, il faut sécuriser le projet afin de le rendre suffisamment solide pour pouvoir financer l’étape suivante. Nous décrivons dans cette 2e partie, les précautions à prendre et comment trouver les ressources nécessaires au succès du produit.

Protéger l’innovation   Tout contact avec l’extérieur (partenaire potentiel, sous-traitant, autre société, etc.) doit être précédé par la signature d’un accord de confidentialité (non disclosure agreement [NDA]), qui cherche à prévenir l’utilisation ou la divulgation d’informations sur l’innovation. Celui-ci doit contenir a minima le nom des personnes/des sociétés impliquées, la portée de l’innovation, les obligations de confidentialité et les exclusions éventuelles, l’utilisation des données confidentielles, le devenir des données en fin de discussion, une échéance et la loi applicable. Si vous n’avez pas de NDA, vous pouvez accepter celui de votre partenaire en vous assurant bien du caractère mutuel de l’engagement, de sa portée et de la loi applicable. Le NDA n’est pas un moyen de protection à proprement parlé, il engage votre partenaire à ne pas divulguer l’information et à vous reconnaître une « certaine » paternité de l’innovation. Mais attention, rien ne prouve qu’il n’avait pas déjà eu l’idée. Si vous n’avez pas encore déposé de brevet à ce stade, il serait bien de pouvoir au moins dater votre innovation. Pour cela, l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi, www.inpi.fr) a mis un outil à disposition : e-Soleau.   La procédure e-Soleau Anciennement enveloppe Soleau, cette procédure permet de déposer des documents décrivant votre invention (textes, images et vidéos) sous forme dématérialisée pour un tarif très modique. Contrairement au dépôt de brevet, de marque ou de modèle, l’e-Soleau ne confère pas au déposant un droit de propriété intellectuelle sur le contenu déposé, mais cela lui permet d’obtenir une date certaine de sa création, et ainsi de faire valoir cette antériorité en cas de litige. Il est recommandé de la déposer aussi tôt que possible dans le projet, même si l’idée n’est pas encore complètement matérialisée. Il ne faut pas hésiter à faire d’autres dépôts au fur et à mesure que le concept avance, sauf si le dépôt d’un brevet devient indispensable.   Dépôt de brevet En termes de « propriété industrielle », une protection réelle est uniquement assurée par un dépôt de brevet, qui nécessite une description précise du dispositif innovant et de son procédé d’utilisation. Il est fortement recommandé de le faire rédiger par un cabinet spécialisé, car c’est un document juridique fort, obéissant à des règles strictes. Chaque partenaire (académique, hospitalier ou industriel) peut avoir une politique différente, avec une préférence pour un dépôt de brevet à un stade précoce en milieu académique du fait d’une reconnaissance et/ou d’une valorisation de l’activité (l’enveloppe budgétaire des Merri pour les CHU est indexée sur les dépôts de brevet) ou au plus proche du marché pour les industriels (afin d’éviter de multiplier des brevets coûteux, en cas d’évolution du dispositif médical [DM] au cours de son développement). Une technique opératoire innovante peut uniquement être brevetée aux États-Unis (non reconnue en Europe).   Déclaration de l’innovation et brevets Une déclaration de l’innovation doit être initialement faite à son employeur, avec une confidentialité pour ne pas divulguer les informations. Il est ensuite nécessaire de réaliser un dépôt de demande de brevet à un office de propriété industrielle, qui est l’Inpi en France, ou l’Office européen ou américain des brevets. Cette demande doit faire figurer l’ensemble des revendications, ce qui justifie l’aide d’un cabinet de conseil spécialisé (coût : 5 à 6 000 euros). Il y a ensuite des échanges entre les examinateurs de l’office de propriété industrielle et l’inventeur pour préciser les points litigieux, jusqu’à obtenir un refus ou une acceptation, dans un délai d’environ 3 à 5 ans. Une 1re publication de la demande initiale de brevet est réalisée à 18 mois de la demande initiale. Une 2e publication de la demande de brevet revue par les examinateurs est publiée après les 3 à 5 ans d’échanges (figure 1). Un brevet est valable pendant 20 ans (à partir de la demande initiale) et nécessite d’être financé chaque année dans chacun des pays protégés, choisi par l’inventeur. Le coût total d’un brevet et de son entretien pendant 20 ans est d’environ 200 000 euros. Figure 1. Procédure classique de dépôt de brevet et d’extension à l’international (reproduction d’un document de présentation de la propriété intellectuelle (PI), réalisé par R. Rauly de SATT Sud-Est avec son autorisation).   Du point de vue du législateur, l’analyse de la « brevetabilité », repose sur trois critères principaux : l’originalité, l’inventivité et l’aspect commercialisable. Enfin, la publication orale ou écrite de l’idée, accompagnée ou non de résultats expérimentaux, constitue également un moyen de reconnaissance de la propriété « intellectuelle ». La publication admise aux États-Unis dans l’année précédant un dépôt de brevet, rend caduque, en France, cette possibilité de dépôt de brevet ultérieur. Il est important de préciser qu’une technique chirurgicale n’est pas brevetable en Europe, mais peut être brevetée aux États-Unis. Enfin, les brevets peuvent couvrir des innovations de différentes maturité et impact par rapport à l’état de l’art. En fonction de leur qualification (encadré 1), la stratégie de PI ainsi que la stratégie de financement et d’exploitation de l’innovation pourront être significativement différentes.   La recherche de partenaires financiers et la création d’une startup   Le développement d’un dispositif médical cardiovasculaire a un coût élevé, souvent de plusieurs millions d’euros, l’inventeur ne peut que très rarement rester isolé pour aller au bout de son projet. Comme présenté dans la 1re partie de l’article, avant de rechercher des sources de financement, l’inventeur doit préparer un dossier solide et argumenté, qu’il devra présenter et défendre devant les éventuels partenaires financiers. Ce dossier comprend : - une étude de marché consciencieuse incluant les risques (disponible sur https://www.legalplace.fr/guides/etudede-marche-creation-entreprise) ; - un business plan complet et réaliste (disponible sur https://www.legalplace.fr/guides/creer-business-plan-complet) ; - un plan financier détaillé et cohérent ; des garanties liées à l’équipe, au projet et aux financements ; - le caractère innovant du projet de la startup ; - les compétences et les expériences professionnelles dans le domaine. La recherche de partenaires doit être réalisée très tôt et permet de confronter son projet à l’analyse des structures d’aide, voire à de futurs partenaires.   Les sociétés d’accélération de transfert de technologies (SATT) Pour les médecins, chirurgiens, chercheurs publics, les SATT représentent un atout essentiel, car leur mission est de simplifier, accélérer et faciliter le transfert de la recherche technique des laboratoires académiques vers l’entreprise. Créées en 2012, les SATT ont pour actionnaires les établissements de recherche et l’État, avec pour rôles d’identifier les opportunités de valorisation économique, puis d’apporter une analyse approfondie de leur potentiel et de construire un projet autour de la meilleure voie de valorisation. Les SATT protègent ensuite la propriété intellectuelle et investissent dans le développement des preuves de concept pour transférer cette innovation à un industriel. Un praticien exerçant dans un établissement public peut prendre contact avec la cellule de valorisation de son établissement employeur. Il est mis en relation avec la SATT de sa région, qui l’aide à remplir une déclaration d’invention et l’accompagne étape par étape dans le développement de son projet : analyse technico-économique, étude de brevetabilité, détermination du meilleur modèle de valorisation et soutien financier à travers un programme de développement. En cas d’accord, les brevets financés par la SATT appartiendront aux tutelles publiques (université, centre hospitalier, etc.) et le chirurgien bénéficiera des retombées attribuées aux inventeurs. Un médecin du secteur privé ne pourra avoir accès à cette ressource et devra trouver les premiers financements de manière différente. Attention, même si les sociétés Medtech (Medtronic, Gore, etc.) se montrent très intéressées par le projet, il est très, très rare qu’elles investissent dans une idée et donc la probabilité de signer un partenariat avec un industriel à ce stade de développement est faible.   La création d’une entreprise ou startup La question de la création d’une entreprise doit être envisagée en fonction du type d’innovation, du contexte de son développement et de la volonté des partenaires pour l’exploitation de l’innovation, ou de revente à un stade avancé du développement. La startup peut alors détenir en son nom tout ou partie de la propriété intellectuelle, et chercher des nouveaux partenaires lors des tours financiers à venir.   Sources de financement Dès lors, il existe plusieurs sources de financement qu’il convient d’envisager pour démarrer et se développer. Ces sources seront dilutives ou non suivant le fait qu’elles impactent ou pas le pourcentage du capital détenu par le fondateur. • L’autofinancement Il se définit par l’apport des fonds propres des associés ou de l’entrepreneur individuel. Cet investissement personnel peut prendre la forme d’un apport en argent ou en nature (biens matériels ou immatériels) (voir : https://www.legalplace.fr/guides/apport-numeraire et https://www.legalplace.fr/guides/apport-nature). Il est fortement recommandé de réaliser un apport en argent, car la valorisation des apports en nature est toujours soumise à discussion et n’est pas toujours considérée dans les contreparties de fonds propres que pourraient vous demander certains partenaires financiers. Ces apports en nature doivent être valorisés par un commissaire aux apports. • La love money La sphère familiale et amicale peut souhaiter investir dans l’entreprise ou prêter de l’argent à l’inventeur avec ou sans intérêt et dans un délai relativement flexible. Cependant, les proches doivent être clairement informés des risques de ce prêt, en étant conscients qu’ils peuvent perdre leur argent en cas d’échec du projet. Par conséquent, il est vivement recommandé de rédiger un écrit pour éviter tout litige. • Le prêt bancaire Il est souvent difficile à obtenir, car les banques exigent généralement un apport en capitaux propres minimum de la part du fondateur de la startup et des garanties suffisantes reposant sur les biens propres du fondateur. Par ailleurs, le remboursement du prêt est soumis au paiement d’intérêts et doit intervenir dans un délai précis. Pour un dispositif cardiovasculaire, qui a un accès au marché très long, les banques n’interviendront que de manière très ponctuelle et probablement sur l’achat d’équipements qu’ils pourraient récupérer en cas de défaillance. • Les pépinières d’entreprise, aussi appelées incubateurs Elles ont un rôle de soutien financier et d’accompagnement auprès des startup, en apportant une aide financière au démarrage de l’entreprise et des conseils dans leur création et leur expansion. Pour en savoir plus : https://www.legalplace.fr/guides/comment-creerpepiniere-entreprise/#Quels_roles_et_ missions_pour_une_pepiniere_dentreprise • Les concours de startup Ils peuvent permettre d’obtenir une contribution financière à leur issue et de rencontrer de potentiels investisseurs, ainsi que d’obtenir une certaine visibilité. • Les aides publiques à la création d’entreprise et à l’innovation Elles existent sous la forme d’aides fiscales et sociales, telles que le crédit d’impôt recherche (CIR) ou encore le crédit d’impôt innovation (CII), ou les statuts de Jeune entreprise innovante (JEI). De plus, il existe un certain nombre de programmes d’aides à l’innovation proposés par Bpifrance. Des dispositifs régionaux et européens (EIC Accelerator) proposent également leur soutien aux jeunes entreprises innovantes. • Le financement participatif ou crowdfunding Il consiste à présenter son projet de startup sur une plateforme en ligne et repose principalement sur une communication convaincante. Si le projet séduit, certains investisseurs peuvent apporter leur soutien financier sous la forme d’un don, d’un prêt ou d’une contribution financière. Pour en savoir plus : https://www.legalplace.fr/guides/nouveaux-seuilscrowdfunding/ • Les « business angels » Ils sont des actionnaires privés qui participent au financement de la startup, car ils croient au potentiel du projet. Ces derniers accompagnent et guident généralement l’entrepreneur dans la création et le développement de son entreprise. Même si ce n’est pas toujours possible, il est recommandé de solliciter des business angels qui comprennent bien le business model, le développement d’un DM et sont prêts à rester aux côtés du fondateur pendant une longue période. • Les investisseurs institutionnels Plusieurs catégories existent là aussi. Ils peuvent être régionaux, nationaux ou internationaux, appartenir à une famille souhaitant investir (family office), thématiques, etc. On constate toujours cependant 3 types d’investisseurs les fonds d’amorçage, les fonds de capital risque et les fonds de capital développement (figure 2). Il faudra solliciter les bons investisseurs au bon moment. La catégorie de l’innovation et l’avancement du projet peuvent fortement impacter la capacité à mobiliser une source de financement ou une autre. Il existe une vraie stratégie de financement à considérer et à mettre en place par le fondateur, afin de solliciter les bonnes personnes au bon moment et ne pas passer à côté d’opportunités. C’est un des rôles principaux du futur dirigeant. L’entrée d’investisseurs au capital est une étape-clé dans le développement de l’innovation. Elle nécessite l’appui de cabinets de conseil (comptabilité, juridique, PI, etc.) qui aideront à réaliser une opération au mieux des intérêts du fondateur : détermination d’une valorisation, choix des véhicules de financement, rédaction du pacte d’actionnaires (qui définit les droits et devoirs des fondateurs et investisseurs, et souvent les modalités de sortie). Figure 2. Les étapes de financements durant le cycle de vie d’une entreprise (d’après la fiche pratique du site : frenchfunding.fr).   La recherche de ressources opérationnelles   Le développement d’un projet innovant impose très vite de créer une équipe opérationnelle, qui comprend des membres de son équipe de recherche et/ou des partenaires motivés. Un médecin peut difficilement tout contrôler et tout apprendre dans le domaine de l’entreprise s’il souhaite continuer son activité en parallèle. Il doit trouver progressivement l’ensemble des moyens humains et matériels nécessaires à chaque étape d’évolution du projet. Cette équipe est un paramètre fondamental dans le succès du projet car c’est le critère n°1 scruté par les investisseurs. Cette équipe peut être interne ou externe à la startup. Il n’y a pas de règle en la matière mais il faut toujours chercher à avoir les bonnes personnes ou partenaires au bon moment. Cela peut se faire via le recrutement de collaborateurs ou des appuis extérieurs.   Le recrutement de collaborateurs Il nécessite d’établir une fiche de poste adaptée aux besoins de la structure, associée à un type de contrat (CDD ou CDI), qui sera diffusée sur des réseaux adaptés ou confiée à des cabinets de recrutement. Il est nécessaire d’avoir des ressources en interne, les sociétés sans salariés ne sont que peu supportées par les aides publiques. Il est toutefois recommandé de recruter avec beaucoup de précaution pour éviter d’avoir des charges fixes trop élevées. En cas de retard du programme de développement, elles pèseront lourd dans le financement.   Les appuis extérieurs Ils comprennent : - les appuis stratégiques : il peut être très utile de monter un conseil d’administration et/ou scientifique. En choisissant des experts de plusieurs domaines (entreprenariat, financement, chirurgie, etc.), le fondateur aura des regards extérieurs qui pourront l’aider à garder le cap ou prendre les bonnes décisions ; - les consultants, spécialistes dans un domaine précis, qui permettent de résoudre des difficultés ponctuelles ou donner un avis extérieur et avisé sur un aspect de développement. Ils sont très présents dans le domaine réglementaire qui est un aspect stratégique du développement, leur regard expert sur une thématique pourra faire gagner de nombreux mois sur le programme ; - les OEM (original equipment manufacturer ou fabricant d’équipement d’origine) désigne une entreprise chargée de la fabrication de pièces détachées pour une autre entité (entreprise, assembleur, etc.). De nombreux fabricants cardiovasculaires (WL Gore, BD, Getinge, etc.) disposent d’un département OEM qui peut fabriquer des produits proches de leurs gammes (stents, stentgrafts, prothèses, etc.) sur demande et design établi par une autre entreprise. Il est cependant complexe de discuter avec eux trop tôt dans le développement du produit car il s’agit très souvent de très grandes entreprises. Si le projet est trop loin du marché, ils risquent de ne pas être motivés, voire de refuser de travailler sur le projet ; - les sociétés de recherche sous contrat. Il est donc souvent préférable de passer par une société plus spécialisée en R&D qui restera indépendante des futurs moyens de production. Des nouveaux groupes se développent, on peut citer parmi d’autres : Constellation (Strasbourg, France – http://medicaldevicedevelopment.services) qui intervient sur les thématiques cardio vasculaires et mini-invasives. Leur approche est de regrouper des petites et moyennes entreprises indépendantes aux compétences complémentaires en s’appuyant sur un écosystème (universités, clusters, partenaires industriels stratégiques) afin d’offrir une expérience sur-mesure aux innovateurs et startups. Ces groupes sont très agiles et capables d’intervenir de manière verticale : de l’idée au marché ; - les plateformes de support R&D, les universités développent des plateformes de R&D qui assistent les innovateurs dans la réalisation de leur innovation. Elles regroupent souvent un ou plusieurs laboratoires de recherche, des hôpitaux et des centres d’expérimentation préclinique, parfois des industriels.   En conclusion   • Développer une innovation chirurgicale est une (très) longue entreprise risquée, qui nécessitent de fortes compétences médicales, mais aussi organisationnelles et d’anticipation. • C’est un voyage qui va demander énormément d’investissements, personnel et financier. On ne s’y aventure que si on est vraiment convaincu de pouvoir y consacrer le temps nécessaire. Cela va représenter plusieurs années (5 à 10 ans) et chiffrer entre 5 et + 20 M avant de vraiment pouvoir profiter du fruit de son effort. Il faudra savoir déléguer, partager, faire confiance aux équipes de développement et se relever à chaque échec. • Cela reste une formidable aventure intellectuelle et humaine, fortement soutenue par les tutelles, et qui peut permettre de trouver une solution adaptée aux difficultés de nos patients.

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