Cardiologie interventionnelle
Publié le 15 mai 2017Lecture 8 min
Le TAVI va-t-il remplacer la chirurgie ?
Éric DURAND et coll.*, CHU de Rouen
Le traitement par implantation d'une valve aortique par voie percutanée (TAVI) occupe une place croissante dans la prise en charge des patients porteurs d'un rétrécissement aortique serré. Actuellement les indications sont limitées aux patients inopérables ou à haut risque chirurgical. Les meilleurs résultats du TAVI sont obtenus par voie transfémorale car cette voie d'abord est moins invasive. Les dernières études ont montré la non-infériorité du TAVI par rapport à la chirurgie conventionnelle chez les patients à moindre risque et la supériorité du TAVI par voie transfémorale par rapport à la chirurgie dans cette même population, ce qui conduira très prochainement à l'extension des indications et à une augmentation exponentielle des procédures.
Le TAVI est donc en train d’occuper une place croissante et majoritaire par rapport à la chirurgie. Le TAVI pour tous n’est pas encore d’actualité, mais il est fort probable qu’il devienne la stratégie privilégiée si les études chez les patients à bas risque sont positives et si le suivi à long terme des patients implantés ne montre pas de signe d’alarme en termes de détérioration valvulaire précoce.
Rappels historiques
Le premier cas de remplacement valvulaire aortique (RVA) chirurgical dans le traitement du rétrécissement aortique (RA) a été rapporté par Hanken en 1960. À ce jour, le RVA est encore considéré comme le gold standard du traitement du RA serré symptomatique, mais pour combien de temps ?
Le traitement percutané du RA a quant à lui débuté il y a environ 30 ans au CHU de Rouen sous l’initiative d’Alain Cribier dans le but de pouvoir traiter des patients présentant un RA serré symptomatique récusés pour la chirurgie soit en raison de leur âge ou de leurs comorbidités. En 1985, le premier cas de valvuloplastie aortique au ballonnet a été réalisé dans le service et cette technique a d’emblée suscité un engouement important car, à cette époque, 30 à 40 % des patients ne pouvaient pas être opérés. Malgré une amélioration fonctionnelle significative initiale, la valvuloplastie aortique est tombée secondairement en désuétude compte tenu de l’apparition d’une resténose quasi constante à moyen terme et l’absence de bénéfice sur la mortalité. Le premier cas d’implantation d’une valve aortique par voie percutanée (TAVI) a été réalisé dans le service avec succès en avril 2002 par Alain Cribier et depuis 14 ans, nous assistons à une évolution exponentielle de cette nouvelle approche thérapeutique. Initialement proposée à visée compassionnelle, le TAVI est actuellement réservé en Europe aux patients inopérables ou à très haut risque chirurgical. Ses indications vont être très prochainement étendues aux patients à risque intermédiaire et il est fort probable que dans les cinq années à venir le TAVI soit également indiqué chez les tous les patients porteurs d’un RA quel que soit le niveau de risque chirurgical. À terme, il est possible que le RVA soit réservé aux patients pour lesquels le TAVI est contre-indiqué ou considéré comme à haut risque.
Indications actuelles
D’après les recommandations européennes (2012) et nord-américaines (2014), le TAVI est actuellement indiqué chez les patients inopérables ou est considéré comme une alternative à la chirurgie chez les patients à haut risque. Ces indications sont basées sur les résultats des études PARTNER 1 avec les valves déployées à l’aide d’un ballonnet (Sapien, Edwards Lifesciences) et US Corevalve avec les valves autoexpansives (CoreValve, Medtronic). L’étude PARTNER 1B, publiée en 2010, a randomisé 358 patients présentant un RA serré et considérés comme inopérables entre un TAVI par voie transfémorale avec la valve Sapien de 1re génération et un traitement médical. Le critère de jugement principal (décès) à 1 an était de 30,7 % dans le groupe TAVI et de 50,7 % dans le groupe médical (p < 0,001, figure 1A).
L’étude PARTNER 1A, publiée en 2011, est une étude randomisée de non-infériorité comparant, chez 699 patients présentant un RA serré et considérés comme à haut risque chirurgical, le TAVI par voie transfémorale (2/3 des patients) ou transapicale avec la valve Sapien de 1re génération et le RVA. Le critère de jugement principal (décès) à 1 an était de 24,2 % dans le groupe TAVI et de 26,8 % dans le groupe RVA (p = 0,62, figure 1B). Les résultats échographiques à 1 an retrouvaient une légère supériorité du TAVI par rapport à la chirurgie en termes de surface aortique et de gradient moyen résiduel et une augmentation significative des fuites aortiques paravalvulaires significatives après TAVI (12,2 % versus 0,9 %, p < 0,001). Les résultats de ces deux études pivots ont donc permis l’entrée du TAVI dans les recommandations européennes pour la prise en charge des patients porteurs d’un RA serré (2012). Le TAVI est limité aux patients inopérables et considéré comme une alternative à la chirurgie chez les patients à haut risque. Les patients doivent avoir une espérance de vie supérieure à 1 an, les procédures doivent être validées par une réunion médicochirurgicale (Heart Team) et réalisées dans des centres expérimentés avec chirurgie cardiaque sur site. En 2014, une autre étude réalisée avec la valve CoreValve de 1re génération a également été publiée. Cette étude compare le TAVI et le RVA chez 795 patients porteurs d’un RA serré et considérés comme à haut risque chirurgical. Le critère de jugement principal (décès) à 1 an était de 14,2 % dans le groupe TAVI et de 19,1 % dans le groupe RVA (p = 0,04, figure 2). Comme pour les études PARTNER, il était également noté une augmentation significative des fuites aortiques paravalvulaires après un TAVI avec cette valve de 1re génération.
Figure 1. Études PARTNER 1B. (A) et PARTNER 1A, (B). RVA : remplacement valvulaire aortique chirurgical.
Figure 2. Étude US Corevalve. RVA : remplacement valvulaire aortique chirurgical.
Résultats du TAVI chez les patients à moindre risque
Trois études majeures ont été rapportées récemment chez des patients porteurs d’un RA serré et à moindre risque chirurgical.
La première étude (NOTION), réalisée au Danemark et en Suède, porte sur un effectif réduit de 280 patients (> 70 ans), quel que soit le niveau de risque chirurgical. Les patients ont été randomisés pour le TAVI avec une valve CoreValve ou la chirurgie. Le critère principal de jugement à 1 an (associant décès, infarctus et AVC) était similaire dans les 2 groupes (13,1 % versus 16,3 %, p = 0,43 ; figure 3).
Figure 3. Étude NOTION.
La seconde étude a été réalisée avec la valve Sapien de 2e génération (modèle XT, étude PARTNER 2) et publiée cette année. Cette étude a randomisé 2 032 patients, considérés comme à risque intermédiaire, entre le TAVI et la chirurgie conventionnelle. Les 3/4 des patients ont été traités par voie transfémorale. Le critère principal de jugement à 2 ans (combinant décès et AVC) était similaire dans les 2 groupes (19,3 % versus 23,1 %, p = 0,25 ; figure 4A) dans l’ensemble de la population étudiée. En revanche, la survenue d’un décès ou d’un AVC était significativement plus faible dans le groupe de patients ayant eu un TAVI par voie transfémorale par rapport à la chirurgie (16,8 % versus 20,4 %, p = 0,05 ; figure 4B). Comme dans toutes les études comparant le TAVI et le RVA, il y avait des différences concernant les complications post-procédurales. Après un TAVI, il y avait une augmentation des fuites aortiques paravalvulaires, du taux d’implantation d’un pacemaker et des complications vasculaires. Après chirurgie, il y avait une augmentation des complications hémorragiques, rénales et de la survenue d’une fibrillation atriale.
Figure 4. Étude PARTNER 2. A : population totale. B : voie transfémorale.
La dernière étude porte sur la valve Sapien de 3e génération (Sapien 3, figure 5). Cette valve a comme particularité d’avoir une jupe externe dans sa portion annulaire permettant de réduire considérablement l’incidence des fuites paravalvulaires. D’autre part, la taille du cathéter permettant son implantation a été considérablement diminuée à 14-16F, permettant de réduire les complications vasculaires. Il s’agit d’un registre comparant 1 077 patients à risque intermédiaire traités par TAVI et 944 patients traités par RVA appariés à partir de la cohorte chirurgicale de l’étude PARTNER 2. Le critère principal de jugement (combinant décès, AVC) à 1 an était significativement plus faible chez les patients traités par TAVI (10,8 % versus 18,8 %, p < 0,001 ; figure 6). Les résultats de ces trois études vont donc permettre d’étendre les indications du TAVI lors des prochaines recommandations établies par la Société européenne de cardiologie attendues en 2017 et vont probablement proposer le TAVI aux patients à risque intermédiaire, notamment quand une voie transfémorale est envisageable.
Figure 5. Évolution de la valve SAPIEN.
Figure 6. Étude S3.
Quelles sont les barrières à une extension des indications à tous les patients ?
Malgré une amélioration constante des dispositifs implantables par voie percutanée, deux éléments essentiels restent à démontrer avant de proposer « le TAVI pour tous ». Il faut étudier, d’une part, le TAVI pour les patients à bas risque (en comparaison avec la chirurgie) et, d’autre part, vérifier la durabilité des prothèses aortiques implantées par voie percutanée. Deux études randomisées ont débuté cette année, ayant pour but de comparer le TAVI et la chirurgie conventionnelle chez les patients à bas risque > 65 ans. Il s’agit de l’étude PARTNER 3 avec la valve Sapien de 3e génération et de l’étude US Corevalve avec la valve CoreValve de 2e génération (Evolut R, Medtronic). Le deuxième volet porte sur la durabilité des bioprothèses implantées par voie percutanée, un point essentiel. À ce jour, aucune étude n’a rapporté une détérioration précoce des valves implantées par voie percutanée lors du suivi clinique et échographique par rapport à la chirurgie. Cependant, le recul du TAVI est encore insuffisant pour l’affirmer et l’âge des patients inclus dans les différentes études randomisées (> 80 ans) limite les possibilités d’évaluation à long terme. Dans notre centre pionnier ayant traité environ 1 200 patients par TAVI depuis 2002, seul 1 patient a présenté une détérioration de sa bioprothèse à 6 ans nécessitant une nouvelle procédure de TAVI.
Quoi qu’il en soit, la chirurgie gardera une place dans la prise en charge des patients présentant un RA mais sera probablement limitée à une population restreinte de patients ne pouvant pas être traité par voie percutanée. Il s’agira probablement des patients très jeunes (< 65 ans), ou à bas risque, ne pouvant pas être traités par voie transfémorale et les patients porteurs d’une cardiopathie plus complexe, notamment en cas de valvulopathie mitrale associée, de lésions de l’aorte ascendante nécessitant une remplacement de l’aorte ascendante, de bicuspidies aortiques très calcifiées où le TAVI donne de moins bons résultats et en cas de lésions coronaires inaccessibles à un traitement par voie percutanée.
Points forts
• Le TAVI occupe une place croissante dans la prise en charge des patients présentant un RA serré symptomatique et le nombre de procédures par an ne fait qu’augmenter au détriment de la chirurgie.
• L’extension des indications du TAVI à des patients à moindre risque, notamment quand la voie transfémorale est possible, est en attente de validation en Europe mais déjà effective aux États-Unis.
En pratique
Il ne fait plus aucun doute que le TAVI est supérieur au traitement médical chez les patients inopérables.
Chez les patients opérables, le TAVI est non inférieur à la chirurgie chez les patients à haut risque et chez les patients à risque intermédiaire, et même supérieur à la chirurgie quand une voie transfémorale est réalisable.
L'extension des indications à des patients à bas risque est en cours d'évaluation. Si la durabilité des bioprothèses implantées par voie percutanée se confirme lors du suivi à long terme, cette technique pourra devenir un traitement de première intention.
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