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Focus

Publié le 30 sep 2015Lecture 7 min

20 années de stimulation cardiaque en Afrique sub-saharienne

X. JOUVENa, P. SAGNOLb, E. MARIJONc, B. DODINOTd a : Cardiologie & Développement ; b : Université Paris Descartes, Paris ; c : Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris ; d : STIM Développement, Paris.

Depuis la première implantation en 1958, l’activité de stimulation cardiaque n’a cessé de croître. Bien que le besoin en stimulation cardiaque soit universel, les pays en voie de développement, notamment en Afrique sub-saharienne, n’avaient pas la possibilité d’implanter de stimulateur cardiaque en routine(1,2). Par exemple, un pays comme la République Démocratique du Congo (80 millions d’habitants) n’a vu son premier stimulateur cardiaque posé qu’en 2014 !

Pour initier et développer la stimulation cardiaque dans un pays, plusieurs stratégies sont envisageables. Il est possible, par exemple, de proposer des formations (fellowship) en Amérique du Nord ou en Europe aux étudiants cardiologues locaux les plus prometteurs pour qu’ils importent et développent une expertise rythmologique dans leur propre pays. Cette stratégie, qui pourtant est la plus courante, reste décevante : l’étudiant s’habitue à un niveau de technologie et d’équipement qu’il ne pourra pas avoir dans son pays, et finalement pour une multitude de raisons, la tentation de rester est trop forte… Une stratégie alternative est alors de proposer d’initier et de développer localement la stimulation sous forme d’un partenariat au long cours avec une équipe européenne ou américaine ayant pour objectif d’autonomiser complètement cette activité, et même d’avoir l’ambition de rendre ce pays formateur pour ses voisins. Ceci nécessite une certaine organisation réunissant des compétences humaines, du matériel et du temps… Favoriser la collaboration « Sud-Sud » Cardiologie & Développement (http:// cardiologie-et-developpement.org) (figure 1), basée à l’hôpital européen Georges Pompidou est une organisation qui propose une activité de recherche, de soins et d’enseignement dans les pays en voie de développement(3), autour de différentes thématiques, comme par exemple le rhumatisme articulaire aigu, la fibrose endomyocardique, les conséquences cardiovasculaires de la drépanocytose, etc.(4-7). Une section est dédiée à la stimulation cardiaque (STIM développement, Association humanitaire Loi 1901, déclarée au JO du 29.01.1997 n°1628) (figure 2). L’objectif de ce programme est d’initier la stimulation cardiaque, de rendre par un suivi régulier ces équipes autonomes, et de favoriser la collaboration « Sud-Sud », c’est-à-dire que les pays en avance (Sénégal, Côte d’Ivoire) puissent aider au développement de leurs voisins africains.… Ces missions de stimulation ont débuté en 1996, avec à chaque fois l’objectif d’implanter une dizaine de patients, d’enseigner la stimulation cardiaque et d’aider à organiser des travaux de recherche localement. En pratique, chaque mission est initiée par une invitation du ministère de la Santé du pays et de l’institution médicale sélectionnée. Cette dernière doit avoir l’ambition de construire et développer son activité de stimulation cardiaque. Elle doit donc avoir identifié, parmi son personnel, les leaders du projet. Le secrétariat de Cardiologie & Développement finalise les autorisations administratives, notamment les visas, autorisations de travail et formalités de douane, en général très peu de temps avant le départ ! Figure 1. Figure 2. L’organisation des missions La mission est constituée d’un cardiologue électrophysiologiste français (plus récemment accompagné d’un cardiologue africain expérimenté), habitué à travailler de façon un peu différente de ce que nous effectuons au quotidien dans nos hôpitaux français… Le cardiologue consenti pour être le futur rythmologue de l’équipe locale doit avoir identifié son équipe infirmière. La liste des patients (en général un minimum de 15 patients pour déclencher une mission) a été validée par le responsable local et leur bilan cardiovasculaire de base, incluant ionogramme sanguin et bilan de cardiopathie sous-jacente (échocardiographie), réalisé. Certains cas sont discutés avant la mission, lors de la conférence téléphonique de préparation. Le soir de l’arrivée est dédié à la revue des dossiers médicaux au lit des patients. On vérifie que tout le matériel est fonctionnel, suivant la « check-list » habituelle. Une attention toute particulière est donnée à la scopie, tendon d’Achille de la mission ! Le cardiologue qui mène la mission répartit les tâches de chacun. Le matériel (stimulateurs mais également sondes et introducteurs) est fourni par Cardiologie & Développement. Les sources principales de ce matériel ont évolué dans le temps, mais le don de matériels proches de la date de péremption par les industriels a été la source principale. Le cardiologue français effectue les 2 premières procédures en prenant le temps de montrer au cardiologue local les différentes étapes. L’implantation du stimulateur cardiaque se fait donc sous anesthésie locale, après antibioprophylaxie, en privilégiant un accès céphalique de première intention. Positionnement apical ventriculaire et auriculaire droit, sachant que les sondes ne sont pas testées lors de la procédure étant donné l’absence de câble de mesure ou une mauvaise stérilisation. Le cardiologue français prend ensuite de plus en plus de recul puis ne s’habille pas, pour laisser la place à l’opérateur local. Les patients sortent en général au 4e jour afin de s’assurer du début de cicatrisation, après un bilan minimal standard comprenant ECG et une radiographie de thorax de face. Une visite à 1 mois est programmée. Parfois un programmateur est disponible, mais la plupart du temps il s’agira d’un simple test à l’aimant. Un suivi de la mission est effectué par un Attaché de recherche clinique en collectant les informations à 1 mois (CRF spécifique). Par la suite on prépare la 2e voire la 3e mission. Associé à cette activité clinique de stimulation cardiaque, un enseignement de rythmologie est donné aux étudiants et infirmières, avec participation/aide à l’élaboration de protocole de recherche. Depuis 1996, 61 missions ont permis d’implanter 502 patients dans 14 pays africains (figure 3). Dans 11 de ces pays, il s’agissait du premier stimulateur cardiaque implanté. La durée moyenne de séjour était de 7 jours. Le temps d’attente médian entre l’indication et l’implantation était 8,4 mois, avec près de 50 % des patients décédés avant la mission. L’âge moyen était 66 ± 11 ans (14-92 ans) et 311 (62 %) étaient de sexe masculin. La majorité des patients était implantée pour BAV (paroxystique ou permanent), dans 94 % des cas, alors que la dysfonction sinusale ne représentait que 6 % des implantations. Hypertension artérielle sévère, cardiopathie rhumatismale et maladie coronaire étaient associées dans 82 % des cas. Figure 3. Au total, 14 pays africains dans cette aventure ! Le plus souvent, un stimulateur simple chambre était implanté (89 %). Seulement 3 cas de resynchronisation ont été effectués au cours de l’année 2014. Une proportion importante de BAV complets sont survenus au cours des implantations (environ 20 %), le plus souvent sans rythme d’échappement, probablement du fait d’un tissu conductif en bout de course, mais sans décès perprocédure. Étant donné qu’il n’y a pas d’isoprénaline disponible dans la plupart des centres visités, certaines équipes tiennent absolument à positionner une sonde d’entraînement avant l’implantation ce que nous déconseillons fortement. Au total, la fréquence des complications périopératoires au cours de ces missions était de 6 %, en particulier en rapport avec des hématomes et des déplacements de sondes, avec nécessité de reprise dans la moitié des cas. L’activité locale s’est développée indépendamment, le plus souvent après 3 missions, et le Sénégal et la Côte d’Ivoire participent à ce développement en assurant une collaboration « Sud-Sud » dans les suites de cette collaboration « Nord-Sud ». Actuellement, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Gabon, le Cameroun ont établi leur propre activité, alors que le Niger, Congo (Brazzaville), la République Démocratique du Congo, le Mozambique, le Mali, le Benin et le Togo sont en cours d’autonomisation (figure 4). Au total, la proportion des implantations gérées par les équipes locales est passée de 3 % en 1996 à 87 % en 2015. Le taux d’implantation peut être actuellement estimé à 3-4 par million et par an, soit 200-300 fois plus faible qu’en Europe. Figure 4. Janvier 2012 : pose du premier stimulateur cardiaque au Congo (Brazzaville). Une transition épidémiologique Ce programme, basé sur le travail sur le terrain, a permis le développement de la stimulation cardiaque en Afrique(8-11). La stimulation cardiaque en Afrique ne doit pas être considérée comme un luxe ; ceci est dramatiquement illustré par le taux de mortalité des patients en attente d’un stimulateur cardiaque. La pratique de la stimulation cardiaque dans ces régions est bien différente de notre quotidien au laboratoire d’électrophysiologie, et cela demande une expertise spécifique pour les cardiologues qui vont faire des missions. Alors qu’une transition épidémiologique est engagée, avec une augmentation des cardiopathies ischémiques, et que l’espérance de vie (50-60 ans dans la majorité de ces pays) ne fait que croître bien heureusement, nous pouvons prévoir que le besoin en stimulation cardiaque va augmenter dans les années à venir. Le chemin est encore long et, au-delà de l’expertise médicale, la problématique du matériel est réelle. À notre demande, deux constructeurs proposent des kits, dédiés à l’Afrique, pour 1 000 USD, incluant la sonde et l’introducteur. La (re)stérilisation des appareils usagés est de plus en plus reconnue comme source fiable pour lutter contre cette difficulté d’accès(12), avec un problème réglementaire puisqu’en France on ne peut restériliser.   

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