Publié le 20 oct 2023Lecture 6 min
Antiarythmiques et grossesse
Caroline GRIMARD, Neuilly-sur-Seine
La grossesse est classiquement associée à une augmentation des troubles du rythme cardiaque, et les patientes aux antécédents de trouble du rythme ont un risque accru de récurrence. Depuis 2 décennies, on note aux États-Unis une augmentation de la survenue de ces troubles du rythme, en lien avec l’augmentation des facteurs de risque cardiovasculaires(1).
Quels en sont les mécanismes ?
Pendant la grossesse, le volume sanguin augmente d’environ 50 %. La pression artérielle, elle, baisse en raison de la vasodilatation systémique, liée aux estrogènes et au facteur natriurétique cardiaque. Le débit cardiaque augmente de 40 % environ dès le premier trimestre.
D’un point de vue hormonal, on observe une stimulation parasympathique diminuée et sympathique majorée. On note une augmentation de la concentration sanguine de catécholamines. Ces modifications hormonales ainsi que des facteurs « émotionnels » contribuent à un état pro-arythmique(2).
La fréquence cardiaque augmente d’environ 10 bpm, avec pour conséquence un raccourcissement des périodes réfractaires et une accélération des vitesses de conduction.
Toutes ces modifications ne se normalisent que 6 à 8 semaines après l’accouchement. Des facteurs « sociétaux » s’ajoutent à ces constatations : l’âge de la grossesse augmente, rendant les facteurs de risque cardiovasculaire plus fréquents dans cette population un peu plus âgée. L’obésité est elle aussi associée avec un risque accru de troubles du rythme.
Quels troubles du rythme ?
Tachycardies jonctionnelles paroxystiques
Ce sont les arythmies soutenues les plus fréquentes. Environ 20 % des patientes ayant des tachycardies préexistantes ont des crises majorées, et dans 5 % des cas la grossesse est le facteur révélateur.
Les manœuvres vagales sont la technique de choix pour tenter de terminer une crise, car les tachycardies sont bien tolérées. En cas de syndrome de pré-excitation, il s’agit le plus souvent de tachycardie orthodromique et la probabilité de survenue d’une arythmie maligne est très faible.
Fibrillation atriale et flutter
Les études rapportent une survenue très souvent combinée de ces arythmies, le flutter ne survenant presque jamais seul pendant la grossesse, sauf lorsqu’il existe une cardiopathie sous-jacente, notamment valvulaire ou congénitale ; malgré le caractère pré-thrombotique de la grossesse, le risque thrombo-embolique semble identique à celui de la population générale(3), mais le score CHA2DS2-VASc n’est pas validé chez la femme enceinte. En cas d’arythmie très instable ou mal tolérée, une cardioversion électrique d’urgence peut être envisagée (recommandation de classe I), avec surveillance du rythme fœtal au décours immédiat de celle-ci.
Tachycardies ventriculaires
Leur prévalence est très faible (< 2 pour 100 000 grossesses), mais le risque de récurrence est majoré lorsqu’il existe une cardiopathie.
Sur cœur sain, ces TV sont hémodynamiquement stables et associées à un bon pronostic. Elles sont le plus souvent infundibulaires (retard gauche/axe droit) ou catécholamine-dépendantes (retard droit/axe hypergauche ou hyperdroit).
Sur cardiopathie, souvent non ischémiques ou congénitales. La tolérance est moins bonne et le traitement plus difficile dans ce cas.
La perfusion de magnésium intraveineux peut être utilisée avec sécurité pour stabiliser une situation hémodynamique précaire, avant d’utiliser des drogues plus fortes.
Syndrome du QT long
La survenue d’arythmies n’est pas majorée pendant la grossesse, mais l’est significativement dans les 9 mois postpartum, particulièrement avec le LQT1 (accouchement, en raison de déclencheurs adrénergiques), et LQT2 (postpartum).
Une attention particulière doit être portée en cas de vomissements importants lors de la grossesse, car les antiémétiques allongent le QT.
Arythmies et bradycardies fœtales
• Tachyarythmies : elles sont définies par une FC fœtale > 180/min. On les retrouve dans des situations maternelles particulières telles que fièvre, infection, dysthyroïdie, anémie ou prise excessive de stimulants. Ces tachycardies peuvent être du flutter atrial (25 %) ou des tachycardies atriale ou jonctionnelle (75 %). Elles doivent faire l’objet d’un monitoring fœtal rapproché, délivrance de drogues transplacentaires, voire accouchement prématuré.
• Bradycardies : elles sont définies par une FC < 100/min et on les retrouve dans des situations telles qu’une hypoxie, acidose, dysfonction sinusale ou QT long congénital. L’évolution est favorable, mais peut parfois conduire à l’implantation d’un stimulateur cardiaque après l’accouchement.
Quels traitements? (figure et tableau)
La première étape consiste à évaluer le contexte étiologique pour identifier une cardiopathie non connue, sachant que le bilan étiologique complet sera de préférence réalisé après l’accouchement avec les examens appropriés (IRM cardiaque, coronarographie ou scanner, étude électrophysiologique). En ce qui concerne les médicaments, TOUS franchissent la barrière fœto-placentaire et passent dans le lait ; leur utilisation doit donc être limitée. Le risque tératogène est maximal jusqu’à la 10e semaine, et important durant les 2 premiers trimestres de la grossesse. L’effet des médicaments change pendant la grossesse en raison de la modification de l’absorption digestive et de la biodisponibilité. La corrélation entre taux plasmatique maternel et fœtotoxicité est par ailleurs mauvaise.
Figure. Sécurité d’utilisation des antiarythmiques chez la femme enceinte et allaitante.
• Bêtabloquants : à long terme ils sont associés avec un risque de retard de croissance, hypoglycémie et bradycardie fœtales. Le propranolol et le métoprolol sont préférés aux autres molécules. L’aténolol est associé à un risque accru de complications fœtales.
• Inhibiteurs calciques : le vérapamil est la molécule la plus utilisée, même si hypotension et bradycardie fœtale ont été rapportées, mais il est compatible avec l’allaitement. Il est contre-indiqué en cas de préexcitation ventriculaire.
• Antiarythmiques de classe IA : les quinidiniques n’ont pas d’effets tératogènes mais peuvent entraîner des torsades de pointe.
• Antiarythmiques de classe IC : la flécaïne est utilisée pour le traitement des arythmies maternelles, sans effet tératogène confirmé.
• Antiarythmiques de classe III : le sotalol est considéré comme sûr durant la grossesse et l’allaitement, avec un risque très faible de bradycardie et hypoglycémie, et sans effet tératogène détecté dans les modèles animaux.
• Amiodarone : elle doit être évitée en raison de dysthyroïdie importante, de retard de croissance fœtale et du risque d’accouchement prématuré.
• Adénosine : grâce à sa durée de vie très courte, l’administration d’adénosine est sans danger, et doit être considérée comme le traitement de choix pour arrêter une tachycardie jonctionnelle en cas d’échec des manœuvres vagales.
• Digoxine : elle peut être utilisée, avec vérification de la concentration sanguine maternelle et fœtale.
• Anticoagulation : il n’y a pas de recommandation formelle sur le sujet, les données venant de patientes porteuses de valves mécaniques. Les héparines (non fractionnées et de bas poids moléculaire) ne franchissent pas la barrière placentaire. Parmi les AVK, la warfarine peut être utilisée durant le premier trimestre à doses réduites (< 5 mg/jour) et durant le second trimestre à dose normale. Pour les AOD, il n’y a pas de données de grandes cohortes, mais ils franchissent la barrière placentaire avec, semble-t-il, un risque de toxicité fœtale important.
• Cardioversion électrique : elle peut être responsable de contractions utérines accentuées ou inopinées. Les patchs de défibrillation doivent être placés le plus loin possible de l’utérus.
• Ablation : l’utilisation de systèmes de cartographie électro-anatomique tridimensionnelle, réduisant à zéro ou presque l’utilisation de la fluoroscopie, permet de réaliser des procédures durant la grossesse, lorsqu’il n’est pas possible d’attendre le post-partum. L’irradiation fœtale doit être évitée pendant le premier trimestre. Pour ce faire, la patiente doit être idéalement placée en position latérale gauche, pour éviter une compression aorto-cave, avec monitoring fœtal continu.
• Implantation de stimulateur/défibrillateur cardiaque : la survenue de bradycardie/trouble conductif, ou les TV récurrentes non contrôlées par le traitement médical nécessitant l’implantation urgente d’un stimulateur ou défibrillateur est exceptionnelle, et se voit essentiellement chez les porteuses d’une cardiopathie congénitale. Dans ce cas, l’usage de la fluoroscopie sera limité par l’utilisation d’un guidage ETO et/ou système de cartographie électroanatomique(4). La présence de tels appareils ne modifie pas l’accouchement par voie basse, et il n’y a pas d’interférences connues avec le monitoring fœtal.
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