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Mise au point

Publié le 19 déc 2023Lecture 9 min

Résultats à long terme de l’ablation dans le syndrome de Brugada

Éloi VACHER*, Jean-Baptiste GOURRAUD**, Vincent PROBST**, *Angers, **Nantes

Le syndrome de Brugada (BrS) est une maladie arythmogène héréditaire caractérisée par un électrocardiogramme (ECG) avec élévation du segment ST dans les dérivations précordiales droites et un risque accru de mort subite (MS) cardiaque en raison d’une fibrillation ventriculaire (FV) ou d’une tachycardie ventriculaire polymorphe (TV). La première description par les frères Brugada a été réalisée en 1992 en rapportant le cas de 8 patients ayant présenté une mort subite récupérée avec cet aspect de « right bundle branch block, persistant ST segment elevation »(1).

Le risque d’arythmie fatale chez les patients atteints de BrS varie considérablement et a fait l’objet de nombreuses études visant à identifier les individus présentant un risque élevé de MS. Actuellement, il existe des facteurs prédisposants reconnus pour les troubles du rythme ventriculaire chez les patients atteints de BrS, notamment des antécédents d’arrêt cardiaque avorté, des épisodes de syncope ou la présence d’un aspect spontané de BrS de type 1(2-4). L’incidence des événements varie considérablement, avec un taux de 10,9 %/an dans les syndromes de BrS spontanés de type 1 avec antécédent de MS récupérée (risque élevé), et de 2,3 %/an dans les syndromes de BrS spontanés de type 1 après un épisode de syncope. Ce taux diminue fortement chez les pa tients asymptomatiques pour atteindre 0,81 %/an(5). La présence d’un QRS fragmenté, d’une onde S dans la dérivation DI et d’un intervalle Tpeak-Tend > 100 ms dans les dérivations précordiales semblent également être des marqueurs d’événements(6-8). Plusieurs scores de risque ont été développés pour évaluer le risque de syncope et de mort subite. Cependant, ces scores sont souvent limités lorsqu’il s’agit de stratifier avec précision les patients présentant un risque intermédiaire(9). Les recommandations suggèrent l’implantation d’un défibrillateur (DAI) chez les patients ayant présenté une MS récupérée ou un épisode de TV soutenue (I, C)(10). Ces patients sont considérés en prévention secondaire avec un risque de récidive élevé. En cas de syncope en lien avec des troubles du rythme objectivés chez des patients porteurs d’un BrS avec type 1 spontané, l’implantation d’un DAI peut s’envisager selon les mêmes recommandations (II, A). En cas de lipothymie et/ou syncope dont l’origine rythmique est incertaine, l’implantation d’un holter sous-cutané peut s’avérer d’une aide précieuse(11).   Traitement médical   Le seul traitement de fond dans les recommandations, en prévention des arythmies ventriculaires, est l’hydroquinidine qui semble jouer un rôle bénéfique par son action pharmacologique (blocage du courant Ito) mais est associée à des effets secondaires invalidants, notamment digestifs(12,13). Les patients les plus susceptibles d’en bénéficier sont ceux aux multiples thérapies appropriées délivrées par leur DAI(14). En cas d’orage rythmique, l’utilisation d’isoprénaline peut également s’envisager.   Physiopathologie   Le progrès des connaissances physiopathologiques du BrS a permis d’avancer deux théories probablement complémentaires : la théorie de la repolarisation avec création par perte de fonction des canaux INa et la disparité du courant repolarisant Ito d’un gradient transmural entre endocarde et épicarde prédominant au niveau de la chambre de chasse du ventricule droit sur son versant épicardique (RVOT : right ventricular outflow track). L’hétérogénéité spatiale de la repolarisation à travers la paroi du ventricule droit épicardique peut créer des réentrées de phase 2 possiblement responsables de l’arythmogenèse du BrS(15,16). La seconde théorie est la théorie de la dépolarisation, qui suggère que le développement du BrS est associé à des zones de conductions lentes au niveau de la RVOT. Ces zones de conduction lentes en lien avec le blocage des canaux sodiques associés à un tissu cicatriciel sous-jacent seraient donc le substrat à l’initiation d’arythmies ventriculaires par réentrée. Alors que le BrS a été décrit à l’origine comme une canalopathie avec la présence d’un cœur structurellement normal, certaines études ont révélé la présence d’une fibrose interstitielle et d’une réduction de l’expression des gap-junctions dans les biopsies endomyocardiques(17-19). Ces théories ont permis d’identifier une cible potentielle du BrS : l’infundibulum pulmonaire sur son versant épicardique.   L’essor de l’ablation   Le premier cas rapporté d’ablation ciblant spécifiquement les ESV initiatrices de FV a été réalisé par l’équipe bordelaise du Pr Haïssaguerre en 2003. Il s’agissait de 2 patients BrS type 1 spontané aux antécédents de FV avec ablation endocavitaire en ciblant les extrasystoles ventriculaires (ESV) du Purkinje localisée au niveau de la RVOT. Le suivi de ces patients était de 7 ± 6 mois, sans récidive de FV(20). Une des limites de cette approche est la faible incidence des ESV chez les BrS, rendant ces procédures longues et applicables à un pourcentage limité de patients. En 2005, Nademanee publie une série de 9 patients, tous BrS type 1 spontané, symptomatiques avec épisodes récurrents de TV/FV avec procédure d’ablation endocavitaire et épicardique. Les cartes d’activations en rythme sinusal retrouvaient des zones de bas voltages et des zones de conductions lentes exclusivement situées dans la partie antérieure de la RVOT (figure 1). L’ablation de ces sites a permis de rendre non inductible 7 patients sur 9, et aucune récidive de TV/VF n’a été objectivée après 20 ± 6 mois. De plus, il a été observé une disparition de l’aspect du sus-décalage dans les dérivations droites chez 5 patients sur 9(21). Figure 1. À gauche€ : carte d’activation, avec en violet un retard d’activation prolongé (système CARTO, Biosense Webster) de l’infundibulum pulmonaire, fusionnée avec une tomodensitométrie cardiaque (jaune€: ventricule droit€; bleu€: infundibulum pulmonaire€; vert : artère pulmonaire€; violet€: ventricule gauche€; rouge€: aorte et artères coronaires). À droite €: électrocardiogramme avec dérivations V1–V2–V3 et EGM local (cathéter NaviStar-Thermocool, Biosense Webster) unipolaire (Uni-DIST- et bipolaire Bi-DISTAL)€: le point représenté par la flèche jaune représente un EGM local face antérieure de l’infundibulum pulmonaire avec présence de bas voltages (0,43 mV) et un EGM fractionné mesuré sur Bi-DIST à 164 ms. D’après(21).   Optimisation des techniques   Afin de mieux apprécier ces zones cibles d’ablation, Brugada publie en 2015 une autre série de 14 patients, avec administration per-procédure d’inhibiteurs de canaux sodiques (flécaïne 2 mg/kg pendant 10 minutes) lors de la réalisation de la cartographie d’activation épicardique. Cette administration d’antiarythmiques de classe I a permis d’étendre les zones de bas voltage (définit comme < 1,5 mV) d’une surface pré-flécaïne de 17,6 cm2 à 28,5 cm2 post-flécaïne. Après tirs de radiofréquence, les 14 patients n’avaient plus d’aspect de Brugada sur leur ECG, malgré l’injection de flécaïne ou d’ajmaline sur un suivi médian de 5 mois (3,8-5,3)(22). Cette technique a été réutilisée sur autre étude publiée 2 ans plus tard sur 135 patients avec normalisation des ECG chez tous les patients et obtention d’une non inductibilité (figure 2). Lors du suivi (10 mois) il a été observé la réapparition de l’aspect de BrS chez 2 patients avec récidive de TV/VF nécessitant une seconde procédure(23). Figure 2. Mapping épicardique (système CARTO Biosense Webster) de la face antérieure de la RVOT. En mauve (cercle externe), des zones de conductions lentes > 200 ms, et > 300 ms pour le cercle interne. En haut€ : mapping à gauche et ECG avec aspect de BrS. En bas€ : aspect après ablation de ces zones cibles avec aspect de ST plat dans les dérivations droites et disparition de l’aspect typique de BrS. D’après(23).   Efficacité à long terme   Plus récemment a été publié le registre BRAVO(24), premier registre multicentrique international incluant 159 pa tients. Tous les patients présentaient des symptômes, 125 avaient un antécédent de MS avortée et 34 présentait une syncope arythmogène. Sur l’ensemble, 154 patients ont eu l’implantation d’un DAI, comme recommandé, tandis que 5 ont refusé l’implantation. Les procédures étaient réalisées par abord épicardique percutané pour 151 patients, et 8 patients ont eu un abord par minithoracotomie. La cartographie endocardique et épicardique a été réalisée en rythme sinusal. L’ablation visait les EGM anormaux et ces zones ont été ciblées avec ou sans bloqueur des canaux sodiques (ajmaline, procaïnamide, flécaïnide ou pilsicaïnide). Tous les patients présentaient un substrat dans la RVOT et/ou l’épicarde du ventricule droit, mais 29 % avaient également un substrat localisé sur la paroi inférieure du ventricule droit, et 3 patients localisé au niveau épicardique de la paroi postérolatérale du ventricule gauche (figure 3). À noter que les 3 patients dont une partie du substrat était localisé sur la paroi postéro-latérale du ventricule gauche avaient un aspect de repolarisation précoce sur leur ECG. Figure 3. Répartition du substrat épicardique (registre BRAVO). Tous les patients avaient du substrat épicardique en face antérieure du ventricule droit / RVOT€; 29€% avaient également du substrat sur la paroi inférieure du ventricule droit et 2€% sur la paroi postéro-latérale du ventricule gauche. D’après(24). LAD = artère interventriculaire antérieure, PDA = artère interventriculaire postérieure.   Après une première procédure, 81 % des patients n’avaient plus récidive de TV/FV, et 96 % après une deuxième intervention. Il n’y a pas eu de décès d’origine cardiaque sur une période de suivi moyenne de 48 ± 29 mois (figure 4). Concernant les complications, un hémopéricarde est survenu chez 4 patients ainsi qu’un cas de péricardite sévère. Le seul facteur prédictif d’une ablation réussie était la disparition de l’aspect BrS sur l’ECG, avec ou sans bloqueur de canaux sodiques (figure 5). Figure 4. Nombre de chocs électriques délivrés, avant et après l’ablation pour chaque patient. D’après(24). Figure 5. Courbes de Kaplan-Meier comparant la survenue de FV après ablation entre les 2 groupes de patients, selon que l’aspect de syndrome de Brugada est absent vs présent après l’ablation. D’après(24).   Cette étude confirme les données accumulées au cours de la dernière décennie, démontrant la sécurité, la faisabilité et l’efficacité de l’ablation par cathéter dans la prise en charge des patients atteints de BrS symptomatique. Ces résultats très encourageants ont entrainé la mise en place d’une étude randomisée (BRAVE Study, ClinicalTrials identifier NCT02704416) comparant un groupe contrôle avec mise en place d’un DAI seul versus ablation par radiofréquence et implantation d’un DAI, avec comme critère de jugement principal le taux de récidive de TV/FV ou la survenue de chocs appropriés par le DAI.   Quid des patients asymptomatiques€ ?   La prise en charge des patients asymptomatiques reste délicate. La réalisation d’études est difficile en raison du taux d’événements faible observé chez ces patients. En effet, le taux d’événements annuel estimé pour les patients asymptomatiques présentant un aspect de BrS de type 1 spontané est estimé à 0,81 % par an, alors qu’il est de 0,35 % par an pour les patients asymptomatiques présentant un aspect de BrS induit(5). Néanmoins, ces patients sont le plus souvent jeunes et l’on sait que ce taux est cumulatif au cours du temps, conduisant donc sur une période longue à un taux d’évènements non négligeable. Ainsi, la question de la prise en charge soulève trois axes principaux : – juge-t-on acceptable le risque de 1 % par an d’une potentielle mort subite chez un patient souvent jeune en appliquant les règles hygiéno-diététiques et l’éviction des médicaments contre-indiqués et déconseillés ; – l’implantation d’un DAI en prévention primaire dans cette population n’est pas sans conséquence avec les risques de défaillance de sondes et de thérapies inappropriées, plus fréquents chez les jeunes(25) ; – une procédure d’ablation épicardique, dont les complications peuvent varier entre 4,5 % et 17 %, d’hémopéricarde principalement(26,27), dépendant principalement de l’expérience du centre.

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