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Insuffisance cardiaque

Publié le 15 oct 2018Lecture 11 min

Insuffisance cardiaque et cardiomyopathies

Damien LOGEART, Paris

Le congrès ESC 2018 a été très riche en nouveautés et enseignements pour la thématique insuffisance cardiaque et cardiomyopathies. On retiendra notamment la première démonstration de l’efficacité d’un médicament de l’amylose cardiaque TTR, une étude de télémédecine très positive, une démonstration de l’absence d’intérêt à anticoaguler systématiquement les IC en rythme sinusal, et les résultats négatifs du premier essai randomisé sur le MitraClip® dans l’IM fonctionnelle de l’IC.

Un traitement efficace pour la cardiomyopathie amyloïde à transthyrétine (TTR) : le tafamidis Parmi les amyloses cardiaques, les formes liées à une accumulation de TTR sauvage (forme dite « sénile ») ou mutée (forme familiale ou génétique) sont les plus fréquentes. Jusqu’à ce jour, il n’y avait aucun traitement spécifique et le pronostic est sombre après l’apparition des premiers signes d’insuffisance cardiaque. Le tafamidis est un agent qui stabilise la tétramérisation naturelle des molécules TTR et les empêche ainsi de s’agréger sous formes de fibrilles, ces dernières étant responsables de l’accumulation intracellulaire amyloïde. Cet agent avait déjà démontré une certaine efficacité dans les neuropathies amyloïdes à TTR mutée, avec l’obtention d’une AMM. Cette fois c’est dans les formes cardiaques que le tafamidis a été testé avec succès et les résultats ont été présentés en hotline par C. Rapezzi. L’essai ATTRACT est un essai de phase 3 avec randomisation contre placebo, double aveugle et un critère principal « dur » (mortalité toutes causes et hospitalisations pour insuffisance cardiaque). L’essai a inclus 441 patients ayant une amylose systémique confirmée par une biopsie (glande salivaire essentiellement) et une atteinte cardiaque échographique avec un NT-proBNP augmenté et une NYHA 2 à 3. Les trois quarts étaient des formes séniles, expliquant un âge moyen de 74 ans et 90 % d’hommes. Le tafamidis était testé avec 2 doses 20 ou 80 mg/j pendant une durée de 30 mois. Le taux de décès sous placebo était de 43 % confirmant ainsi la gravité de ces patients. Le tafamidis a réduit de 30 % la mortalité toutes causes (HR 0,70 [0,51-0,96]) et de 32 % les réhospitalisations (RR 0,68 [0,56-0,81]). De même, les améliorations fonctionnelles des patients traités par tafamidis sont très intéressantes que ce soit sur le test de marche de 6 minutes (environ 76 mètres de mieux sous tafamidis) ou les échelles de qualité de vie. Il n’y avait pas d’interaction avec le type d’amylose même si la réduction du critère primaire n’atteignait la significativité que dans le groupe « sénile ». Les courbes de Kaplan Meier se séparent (apparition du bénéfice) seulement à partir du 18e mois, probablement en rapport avec le mécanisme d’action à la source du tafamidis. Enfin, il n’y a pas eu d’effets secondaires significatifs selon les auteurs de l’essai. Parmi les questions qui mériteront des approfondissements est celles des patients à traiter : âgelimite ? Formes précliniques ou au contraire « installées » comme dans l’essai ATTRACT ? Durée de traitement ? TIM-HF2 : démonstration de l’utilité d’une télésurveillance « bien réalisée » chez l’insuffisant cardiaque La télésurveillance et la télémédecine sont sous les feux de la rampe en France avec la loi de financement de la Sécurité sociale de 2017 étendant les champs de réalisation de la télémédecine, avec la publication du cahier des charges pour l’IC et enfin, avec l’arrivée récente d’une tarification de l’acte. Néanmoins, son déploiement tarde à se mettre en place en raison d’une certaine complexité et de ressources humaines et financières souvent jugées insuffisantes. De plus et malgré son bien-fondé, le niveau de preuves scientifiques restait très faible avec des résultats assez discordants et au final, un niveau de recommandation faible (IIb) par l’ESC/HFA. Les résultats positifs de l’étude allemande TIM-HF2 devraient lever certaines réticences et aider à argumenter les solutions à mettre en place. Il est intéressant de se rappeler que les auteurs de TIM-HF s’étaient cassé les dents avec un premier essai randomisé dont les résultats neutres avaient été publiés en 2011. Au lieu de renoncer, ils ont tiré profit de certaines erreurs pour affiner et renforcer leurs systèmes de télésurveillance et d’intervention à distance et qu’ils ont finalement validé dans ce nouvel essai randomisé multicentrique. Par rapport à leur premier essai et pour éviter de reproduire le même résultat, les auteurs ont, d’une part, exclu les patients dépressifs et, d’autre part, verrouillé que la télésurveillance soit bien réelle, quotidienne, et donne lieu à des actions correctrices médicales ou paramédicales en retour. Ce dernier point semble évident mais le plus difficile en pratique en raison de l’énergie demandée aux intervenants. Dans TIM-HF2, la télésurveillance se faisait sur le poids, la pression artérielle, le rythme cardiaque, l’oxymétrie et un score (noté de 1 à 5) d’évaluation des symptômes. Ces variables étaient saisies quotidiennement, envoyées par un système de télétransmission, triées par un algorithme (générant des alertes) et une structure de télémédecine 7/24 (avec astreinte la nuit et le week-end…) analysait les alertes générées pour proposer en retour et directement au patient des conseils/modifications de traitement/consultation ou hospitalisation. Par ailleurs, certaines « cibles » (PA < 140, FC < 75, FA de novo, NYHA 2 à 4) étaient suivies quotidiennement et en cas de dépassement, la structure alertait les médecins pour optimiser davantage les traitements. Les patients étaient également classés tous les 3 mois en haut risque ou faible risque selon un dosage trimestriel non pas du NT-proBNP mais du midRproADM. Les patients à haut risque étaient télésurveillés par des médecins et les autres par des infirmiers. L’étude a inclus 1 571 insuffisants cardiaques chroniques ambulatoires, NYHA 2/3, ayant un antécédent d’hospitalisation pour IC dans les 12 mois précédents, et quelle que soit la FEVG (1/3 des patients avaient une FEVG préservée). La randomisation était en 1/1 entre gestion à distance + soins courants versus soins courants, et suivis au maximum 393 jours. Les soins courants comprenaient au moins une consultation tous les 3 mois auprès du médecin cardiologue ou généraliste. Le critère principal était le nombre de jours d’hospitalisation pour cause CV non anticipée ou la mortalité toutes causes. Avec un suivi de 12 mois chez plus de 85 % des patients, la télésurveillance a réduit significativement le nombre de jours perdus en hospitalisation non programmée : 17,8 contre 24,2 jours. La mortalité toutes causes a également été réduite significativement de 30 % (HR 0,70 ; IC95% : 0,50-0,96 ; p = 0,028) et il existait une tendance mais non significative sur la mortalité cardiovasculaire. Il n’y a pas d’interaction pour les différents sous-groupes. Il n’existait, en revanche, pas de différences sur les autres critères secondaires comme l’évolution de la qualité de vie ou les biomarqueurs. Ces résultats semblent très probants mais on voit bien que cet excellent résultat a nécessité un investissement énorme. En d’autres termes, faire de la télésurveillance n’a probablement de réelle utilité que si cela s’appuie sur des structures suffisamment armées avec une prise en charge intensive et holistique impliquant complètement les médecins référents. Il sera également intéressant d’avoir une analyse médico-économique. Selon les résultats de l’étude, le système de télésurveillance a permis de prévenir un mois d’hospitalisation non planifié pour 5 patients suivis pendant 1 an. COMMANDER-HF : pas de bénéfice à une anticoagulation systématique (par anti-Xa) dans l’IC en rythme sinusal Les résultats négatifs de cet essai confortent l’idée qu’un traitement anticoagulant efficace dans l’IC chronique avec FEVG altérée mais en rythme sinusal n’a pas de bénéfice. Auparavant, 4 essais randomisés avaient déjà testé l’hypothèse avec la warfarine et n’avaient pas montré d’efficacité. Mais il restait un doute car il y a quand même un rationnel à essayer d’anticoaguler ces patients (risque élevé d’accident thrombotique) et les 4 essais précédents avec les AVK comportaient des biais méthodologiques. À noter également que dans l’essai COMPASS (rivaroxaban et/ou aspirine en prévention secondaire), le bénéfice de l’anticoagulant + aspirine était bien présent dans le sous-groupe avec IC. COMMANDER-HF est un essai randomisé qui a comparé en double aveugle le rivaroxaban 2,5 mg deux fois par jour (dose modérée mais ayant démontré un bénéfice clinique dans l’étude COMPASS) au placebo dans une population de 5 022 IC à FEVG < 40 % d’origine ischémique, sans histoire de FA, et ayant déjà eu une décompensation hospitalisée. Le critère principal de jugement était classique pour ce type d’essai avec un antithrombotique : décès toutes causes, ou IDM ou AVC. Au terme d’un suivi médian de 21,1 mois, il n’y a pas eu de différence significative entre les groupes pour le critère principal (25,0 % sous rivaroxaban versus 26,2 % sous placebo ; p = 0,27). Il n’y a pas eu de différence significative pour ce qui est des critères secondaires : mortalité totale (21,8 vs 22,1 %) et hospitalisations pour IC (27,5 vs 27,5 %). À noter une réduction statistiquement significative de 1 % en valeur absolue de l’incidence des AVC (HR 0,66 [0,47-0,95]). Le critère principal de sécurité était également neutre : 18 hémorragies fatales ou source de handicap sous rivaroxaban et 23 sous placebo (p = 0,48). L’explication probable de ce nouvel échec est que les événements purement thrombotiques (AVC, SCA) sont assez rares dans l’IC à FEVG altérée en rythme sinusal en comparaison des autres événements, ce qui ne permet pas de dégager de bénéfice clinique dans l’essai COMMANDER. En pratique, on peut quand même se poser la question d’une anticoagulation efficace chez certains patients avec IC sévère, anévrisme VG, contraste spontané échographique… mais ceci reste non démontré et il est à nouveau possible que l’histoire de ces patients sévères se complique d’abord d’événements type IC décompensée, mort subite, décès plutôt que d’AVC. Résultats négatifs du MitraClip® dans les insuffisances mitrales fonctionnelles de l’insuffisant cardiaque à FEVG réduite : l’étude française MITRA.FR L’insuffisance mitrale fonctionnelle est très fréquente dans l’IC à FEVG réduite, est un paramètre de mauvais pronostic et il est habituellement considéré que cette fuite crée un cercle vicieux avec aggravation de l’IC. Ce rationnel a poussé au développement de différentes techniques de correction de la fuite par chirurgie et plus récemment par technique percutanée. Dans ces outils percutanés, non le plus ancien. Il est indiqué dans les fuites mitrales primitives ou organiques (en cas de CI chirurgicale) et est régulièrement utilisé dans les fuites secondaires dans de nombreux pays. Alors même que des milliers de MitraClip® ont déjà été implantés, aucun résultat d’essai randomisé n’avait jusque-là été publié dans l’IM fonctionnelle d’où une absence de franche recommandation (classe IIb dans les recommandations ESC). Jusqu’à présent, les seuls résultats étaient ceux de registres suggérant un possible bénéfice clinique. Autant dire que les résultats de MITRA.FR étaient donc très attendus par la communauté. MITRA.FR est un essai multicentrique français (coordonné par J.-F. Obadia à Lyon) qui a randomisé 307 patients en 1/1 pour une procédure avec MitraClip® versus la poursuite du seul traitement médicamenteux. Les patients avaient une IC avec FEVG < 40 %, NYHA 2 à 4, et une fuite mitrale importante avec SOR > 20 mm2 (les échographies étaient relues par un corelab indépendant avec randomisation). La procédure MitraClip® a été réussie dans 95 % des cas et 92 % des patients n’avaient plus qu’une fuite grade ≤ 2 au décours de l’intervention. Le critère principal de jugement était la mortalité toutes causes et les réhospitalisations pour IC. Il n’y a pas eu de différence entre les 2 groupes ni même de tendance favorable : 51,3 % dans le groupe contrôle et à 54,6 % avec le MitraClip® (OR 1,16 ; IC95% : 0,73-1,84 ; p = 0,53). Il n'y avait pas non plus de bénéfice sur les critères secondaires autres que la réduction de la fuite. Dans le groupe Mitra-Clip®, il y a par ailleurs eu évidemment plus d’hémorragies, chocs, tamponnade. Ce résultat suggère que l’insuffisance mitrale serait essentiellement un marqueur de sévérité de l’IC mais pas tellement un facteur aggravant. Il reste encore des questions, notamment concernant la pérennité de la correction de la fuite dans le temps (peut-être insuffisante avec le MitraClip®) et l’intérêt d’autres systèmes percutanés de correction de la fuite. Ces derniers nécessiteront d’être évalués par des essais randomisés avant d’être largement utilisés comme cela avait été le cas avec le MitraClip®. Très prochainement, les résultats d’un autre essai avec le MitraClip®, essai américain randomisé et contrôlé, seront présentés au congrès TCT et apporteront peut-être un éclairage différent. Le shunt interatrial pour prévenir la congestion pulmonaire dans l’IC à FEVG préservée Les résultats à un an de l’essai de phase 2 REDUCE LAP-HF 1 ont été présentés et confortent les premiers résultats (publiés début 2018) et l’idée que cette technique de shunt interatrial a un possible intérêt dans l’IC à FEVG préservée. Ceci reste encore à confirmer dans un essai de phase 3. Le principe de ce shunt est très simple : permettre une baisse de la pression atriale gauche, et donc le risque de congestion pulmonaire, en créant un petit trou serti d’une prothèse type stent, de 8 mm de diamètre, dans le septum interatrial et bien sûr par voie percutanée. Ceci semble intéressant notamment pour l’IC à FEVG peu altérée où une grande partie des symptômes est liée à un problème de remplissage VG et un excès de pression en amont. REDUCE LAP-HF est un petit essai randomisé portant sur seulement 44 patients avec IC très symptomatiques (NYHA 3 ou 4) et FEVG > 40 %. Cet essai a 2 mérites : avoir un groupe contrôle SHAM avec une procédure invasive sans implantation du shunt et des explorations fines avant et après shunt avec notamment un cathétérisme de repos et d’effort. Les résultats hémodynamiques à 30 jours avaient été publiés et confirmaient que le shunt diminuait l’augmentation excessive de pression atriale gauche (et capillaire pulmonaire) à l’effort. La baisse de pression n’était pas spectaculaire et sa pertinence clinique reste à démontrée. À un an, le shunt restait perméable chez les 20 patients encore vivants du groupe shunt et ces patients avaient une tendance non significative pour une réduction du nombre d’hospitalisations et une amélioration de la symptomatologie NYHA. L’incidence cumulée des événements cardiovasculaires montre une tendance non significative pour un bénéfice dans le groupe shunt interatrial mais l’essai n’a pas la puissance statistique nécessaire pour montrer une différence significative entre les deux groupes. L’approche s’avère donc faisable et avec une bonne tolérance sur un suivi de 1 an. Il est néanmoins signalé une majoration de taille des cavités droites dans le groupe shunt par rapport au groupe Sham ce qui pose la question de la balance bénéfice-risque (moins d’OAP vs plus d’IC droite ?) à long terme.

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